La force potentielle des organisations de producteurs (OP)
La suppression des quotas laitiers (régulation administrative de la production) est effective depuis le 1er avril 2015 au sein de l'Union européenne. Désormais, les producteurs ont la liberté de produire autant qu'ils veulent, dans le cadre de la loi.
Le problème, c'est qu'ils sont sous la dépendance de leurs acheteurs, les industriels, transformateurs de leur lait, qui fixent le prix payé aux éleveurs. Et celui-ci, à l'exception de certains groupements de producteurs, est désespérément bas, au point qu'il est nettement inférieur à leur coût de production. Les industriels tiennent compte du cours des marchés mondiaux, qui concerne le lait transformé en poudre de lait et en beurre, produits qui valorisent peu la matière première, car soumis à la concurrence mondiale très rude des pays à faible coût de production.
Pour se préparer à la fin des quotas, « la France, par la loi de modernisation agricole de 2010, a favorisé la contractualisation entre les transformateurs et les producteurs. Ces derniers négocient directement leur contrat qui prévoit le volume de lait à produire pendant cinq ans. Une mesure unique en Europe. Les premiers ont été signés fin 2011, leur renouvellement est prévu à l’automne 2016 ».
- Voir cet article de Jérémie Lamothe (Le Monde, 5 septembre 2016) : Entre les producteurs de lait et Lactalis, des contrats de défiance.
La confrontation sur le prix du lait vient de se produire fin août entre le géant laitier Lactalis et les producteurs syndiqués à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et à JA (Jeunes agriculteurs).
- Voir cet article d'informations (blog CiViQ, 4 septembre 2016) : Crises en agriculture : récoltes en chute, prix du lait excessivement bas
Dans l'hebdo de l'information agricole des Pays de la Loire L'Avenir Agricole, édition du 2 septembre 2016, Frédéric Gérard se situe dans l'après-accord.
Voir Après un accord, encore des efforts. Il tire « Les leçons de l'accord avec Lactalis ».
La pression médiatisée des producteurs contre le géant mayennais a pesé sur les négociations. L'accord reste insuffisant sur le prix du lait, reconnaissent les syndicats. Mais il laisse entrevoir d'autres perspectives.
- La fin d'une spirale à la baisse.
L'accord a été expliqué sans fanfaronnades. Car derrière « une victoire syndicale » face au leader de la transformation laitière, les prix obtenus par cet accord ne permettent pas d'obtenir le prix de revient d'une bonne partie des éleveurs. Mais le fait que Lactalis s'aligne désormais sur ses concurrents leur ôte tout argument de baisse pour se caler sur « leur environnement ». Avec une progression de + 5 euros/1000 litres par mois, et une réévaluation à 280 euros dès le mois d'août, les producteurs Lactalis de l'Ouest seront payés 300 euros en décembre, 275 euros sur l'année 2016. C'est 10 euros de plus que la proposition de départ de Lactalis, depuis juillet.
- Envisager de nouveaux modes de fixation du prix du lait.
C'est un autre point obtenu lors de ces négociations. Les indicateurs actuels « ne correspondent plus à la réalité des marchés ». Les OP (Organisations de producteurs) veulent maintenant parvenir à une meilleure prise en compte des PGC (produits de grande consommation) dans un calcul qui devra correspondre au mix-produit de l'entreprise (selon les informations fournies…). Si 75 % du chiffre d'affaires de Lactalis est aujourd'hui réalisé à l'étranger, c'est en grande partie dû au rachat de groupes à l'international (dernièrement en Roumanie, en Géorgie, en Inde, etc.). Toutefois, tempère Sébastien Amand, vice-président de l'OPNC (Organisation Normandie Centre) et président de la FDSEA 50), cette orientation, même inscrite dans le protocole d'accord, reste de l'ordre de « l'intention ». Elle devra se vérifier lors de prochaines discussions. « Il ne faudra pas attendre un an, clament les OP. Le risque sera ensuite de ne pas trop « coller » à la réactivité de marchés mondiaux ou aux prix d'autres pays européens aux coûts de production plus bas qu'en France.
- Lactalis a reculé.
C'est le sentiment laissé par le retour aux négociations de l'industriel et l'accord obtenu. Dur en affaire, le groupe a cédé derrière la mobilisation devenue nationale. Après une première semaine médiatisée à Laval, une seconde a entamé dès lundi le blocage de 18 sites Lactalis en France, usines et plateformes logistiques, selon la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait, liée à la FNSEA). C'est surtout l'appel au boycott de marques plus connues que le nom de l'entreprise lavalloise qui semble avoir pesé. Cette nouvelle stratégie de mobilisation a notamment permis de rallier une partie des consommateurs, souvent très éloignés des problématiques agricoles, des revendications des producteurs. Les représentants de Lactalis ont même confié : « Il y a un avant et il y aura un après ». Ils sont les premiers à savoir qu'une bonne communication vaut mieux que des pneus brûlés.
- Les OP rassemblées.
Pour la première fois, les principales organisations de producteurs Lactalis étaient réunies pour négocier face aux dirigeants du groupe. Celles du Grand-Ouest (APLBL, OPLGO,et OPNC)*, le président de l'Unell (union nationale), Claude Bonnet, ainsi que Florent Renaudier, responsable de la section laitière de la FDSEA 53, moteur de l'action de la première semaine. Les représentants d'OP entendent « en tirer les leçons » pour envisager de travailler ensemble. Si elles parviennent à faire bloc dans les négociations (sur les prix, les volumes, les orientations stratégiques), cela s'avérera un atout indéniable dans les phases de négociations. « Nos OP vont devoir construire quelque chose ensemble. Le rassemblement d'un maximum de producteurs est nécessaire pour continuer à avancer, appuie Frédéric Lachambre, président de l'APLBL. On se doit d'aller vers une vraie organisation des producteurs livrant à Lactalis, qui ne pourra plus faire ce qu'il fait depuis cinq ans et devra revoir sa relation contractuelle avec ses producteurs ».
* APLBL (organisation de producteurs Pays de la Loire et Bretagne Lactalis) avec Frédéric Lachambre ; OPLGO (organisation de producteurs Lactalis Grand-Ouest) avec Jean-Michel Yvard ; OPNC (Organisation Normandie Centre) avec Sébastien Amand.
Ce conflit social Lactalis est la conséquence des erreurs de conception et de mise en œuvre de la contractualisation. « Il y a un avant et il y aura un après ». Rien ne sera comme avant pour Lactalis mais pas seulement.
Voir à ce sujet sur le site du ministère de l'agriculture (8 février 2016) Mise en oeuvre de la contractualisation dans la filière laitière française le rapport** de Yves Berger, François Champanhet, Yves Marchal et Yves Riou.
Dans le contexte de la suppression des « quotas laitiers », la contractualisation écrite, rendue obligatoire en France, devait répondre à un double enjeu, stabiliser le revenu des producteurs et leur donner plus de visibilité, garantir aux entreprises de transformation un approvisionnement ajusté à leurs débouchés.
Ce rapport, après avoir dressé un bilan argumenté de l'application de cette régulation privée, formule des recommandations visant notamment à renforcer le rôle des organisations de producteurs et à améliorer la concertation stratégique au sein de la filière laitière.
Rappel (7 mars 2016 : Salon de l'agriculture 2016 : Bastien Faudot y a rencontré les syndicats
Cet article est le 2925ème paru sur le blog MRC 53, le 428ème catégorie AGRICULTURE et PAC
Salon de l'agriculture - 1er mars 2016 - Table ronde sur la crise laitière, au stand de la Confédération paysanne, avec Thierry Roquefeuil (FNPL), Laurent Vial (FNCL), Véronique Le Floc'h (OPL Coordination rurale), Yves Sauvaget (Confédération paysanne), le représentant de la FNIL, , Boris Gondouin (APLI), de gauche à droite.