Avec Chevènement, acteur influent du congrès refondateur du PS en 1971
Didier Motchane n’avait, certes, pas la notoriété de Jean-Pierre Chevènement avec qui il a mené ses combats politiques. Mais il avait de très grandes qualités humaines et intellectuelles, qu’il mettait à la disposition du collectif. Il est décédé le 29 octobre 2017, âgé de 86 ans.
C’est à Fabien Escalona, pour Mediapart, qu’il avait accordé récemment (25 mai 2017, après l’élection du nouveau président de la République) un entretien d’un grand intérêt politique. Voir Entretien avec Didier Motchane.
Il était intervenu en 2014 à Caen, au côté de Jean-Yves Autexier, à la veille de l’université de rentrée du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC). Voir Dîner-débat avec D Motchane et JY Autexier à Caen le 19 sept. 2014 - Michel Sorin
Gaël Brustier est, probablement, celui qui a eu le plus de contacts ces dernières années avec Didier Motchane car il a réalisé un important travail historique sur le CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste). Voir « CERES & Didier MOTCHANE ». Voici ce qu’il a écrit ce 30 octobre :
Didier Motchane s’est éteint ce dimanche. C’est un homme exceptionnel à tous égards qui s’en va. Une immense perte mais dont la pensée et l’action auront encore longtemps des répercussions heureuses pour qui s’emparera des idées d’émancipation pour les porter au pouvoir.
Didier a fondé avec plusieurs autres jeunes intellectuels et hauts-fonctionnaires le CERES, le Centre d’Etudes, de Recherches et d’Education Socialiste. C’était en 1964, les statuts furent officiellement déposés en janvier 1966. Parmi les fondateurs, on connait Jean-Pierre Chevènement mais on ne doit pas oublier Jacques-Arnaud Penant, Pierre Guidoni, Alain Gomez. Ils furent rejoints assez vite par Georges Sarre et ses postiers socialistes. Ce groupe ambitieux visait à susciter à l’intérieur même de la famille socialiste la détonation initiale d’une prise de conscience historique collective – mais aussi individuelle – qui dépassait mais comprenait la stratégie d’Union de la Gauche, le projet de transition au socialisme, l’adoption de l’autogestion comme objectif politique. Didier fit rajouter le É de CÉRES, tant il tenait à l’ambition d’autoformation du CERES contenue dès lors dans le mot « Etudes ». Commença une aventure intellectuelle et politique exceptionnelle. Didier a été à l’origine de différentes revues : Frontières, Repères, Non !, Enjeu pour la République et le Socialisme, République. Ces revues exprimaient une même ambition intellectuelle et politique.
Didier, dont la maman était pianiste et été la traductrice du Berlin AlexanderPlatz de Döblin, était virtuose des mots. Virtuose des mots et aussi des idées. Son phrasé et son écriture mêlaient en ce domaine une prudence et une forme de radicalité qui donnaient à sa pensée une forme aussi mélodieuse que soucieuse de vérité. Jeunes militants du MDC, comme auparavant jeunes militants de Socialisme et République ou du CERES nous attendions ses éditoriaux avec un mélange d’excitation et de gravité. C’était une symphonie mêlant concepts et analyses implacables. Ma première lecture de Didier fut celle d’un texte intitulé « radicalité et radicelles », à propose de la continuelle tentative de créer des pôles de radicalité à gauche.
Didier a inventé le Poing et la Rose, c’est un fait. « Hic Rhodus hic salta », « Hier ist die Rose hier tanze ». Le sursaut de la décision et la transition à un monde meilleur. Il ne faut pas résumer son parcours politique et intellectuel ou son apport militant à cela. Didier Motchane a été, avec Daniel Bensaïd, l’un des intellectuels de gauche majeurs, essentiels, du demi siècle passé. Dans son « Voyage imaginaire à travers les mots du siècles », Didier rappelait ses rencontres entre Bensaïd et lui, leurs tours d’horizon commun.
Les mots ne perdaient jamais leur sens avec Didier. Socialisme, laïcité, République, autogestion, je ne vous livrerai que plus tard un aperçu personnel et kaléidoscopique du sens qu’il donnait à ces mots.
Un petit exemple: « SOCIALISME : Du socialisme, prescience d’une société dont chaque civilisation s’efforce, chacune à sa manière de prendre conscience, on pourrait dire qu’il serait non pas l’addition mais la fusion, la synthèse de la démocratie idéale et de l’aristocratie idéale, agora complète et permanente qui constitue la collectivité des citoyens en un seul corps, faisant de la reconnaissance et d’un adoubement des meilleurs par le peuple le petit nombre de fondé de pouvoir chargés d’une mission renouvelable et renouvelée pour les affaires de la cité »…
Didier était un politique exceptionnel mais aussi un homme de lettres remarquable. Son don pour la poésie mérite d’être connu. Il m’a ébloui comme son sens de l’amitié et sa générosité, son empathie, m’ont immensément touché. Intellectuellement, c’est mon maître. Humainement, c’est un ami qui, dans de sombres moments, a été présent, attentif et bienveillant. Sa parole sobre et chaleureuse a énormément compté.
La première rencontre avec Didier c’était d’abord ce regard magnifique qui était la promesse ensuite chaque fois renouvelée et exaucée d’un échange toujours respectueux et exigeant. Récemment nous devisions avec Didier sur ce qui fait le sens d’une vision politique, cette part d’utopie qui, disait-il, permet au « surlendemain de l’emporter sur le lendemain ». Nous nous sommes réellement connus après sa décision de ne plus exercer de responsabilité politique directe. A notre première rencontre, si intimidé que je fus, c’est sa volonté d’inscrire les mots, les paroles, les actes dans le temps long, un temps dépassant nos vies mais leur offrant quelques exaltantes missions, qui m'a marqué. Nous devisions ainsi sur la force des idées.
Le CERES avait suscité, bien au-delà de ses rangs historiques, des boutures intellectuelles et politiques plus lointaines. Ainsi nous échangions sur les revues comme Le Vent se lève et d’autres entreprises heureuses qui s’inscrivaient dans une perspective d’émancipation.
Didier nous a quittés mais il sera toujours présent car son intelligence rayonnera encore longtemps. Il manque déjà à tous ses amis, terriblement, tant il a été d’une si grande humanité. Des larmes oui. Courage à Dominique sa femme.
Voir également :
- MRC (Jean-Luc Laurent, 29 octobre 2017) : Mort de Didier Motchane, une perte immense pour la gauche française
- Jean-Pierre Chevènement, 29 octobre 2017 : Didier Motchane, un homme magnifique
- Claude Nicolet, 30 octobre 2017 : Didier Motchane est mort
- Le Monde, 29 octobre 2017 : Didier Motchane, figure du Parti socialiste et inventeur du logo « Le poing et la rose », est mort
Cet article est le 3021ème sur le blog MRC 53 - le 162ème catégorie Gauche France