Après le Salon, le modèle agricole français à la recherche d’un avenir
Comme le président de la République, je suis resté 12 heures au Salon de l’agriculture, à la demande du Mouvement Républicain et Citoyen et en réponse à l’invitation de la Confédération Paysanne. J’en ai fait le compte rendu dans trois articles publiés sur le blog du MRC 53 les 7, 8 et 9 mars 2018. Voir :
- Salon de l'agriculture 2018 (1) : les consommateurs proches des éleveurs
- Salon de l'agriculture 2018 (2) : comment mieux rémunérer les éleveurs
- Salon de l'agriculture 2018 (3) - EMB la réalité des prix de revient du lait
Dans le prolongement de ce que j’ai entendu et vu au Salon, j’ai rédigé ce complément à partir des informations qui nous ont été communiquées par la presse ces jours-ci.
Après le Salon, le point sur l’agriculture française
Globalement, selon les indications récentes de la Mutualité sociale agricole (MSA, recensement 2017), l’effectif d’agriculteurs a fortement baissé (- 1,9 % par rapport à 2016). Il reste 453 000 chefs d’exploitation et d’entreprise (les entrepreneurs liés à l’activité agricole), dont un quart de femmes. Sur ce total, les éleveurs laitiers (90 000) ont perdu le plus d’effectifs (- 3,4%). Ensuite, les céréaliers (80 000), les producteurs de viande (76 000), ceux qui allient polyculture et élevage (58 000), les viticulteurs (47 000), sont les groupes les plus importants.
Les inégalités de revenus sont très fortes, notamment en grandes cultures et en polyculture élevage. En 2016, 20 % des exploitations étaient déficitaires et 20 % avaient un revenu entre 0 et 4 300 € par an.
La superficie moyenne par agriculteur continue de croître (56 hectares). Plus de la moitié des chefs d’exploitation ou d’entreprise sont en société (l’agriculture sociétaire prend le dessus sur l’agriculture individuelle). L’exploitation familiale commence à être fortement concurrencée par l’agriculture de firme (5 % de la surface - 1,2 million d’hectares - sont détenus par des apporteurs de capitaux qui ne travaillent pas sur l’exploitation, dont des entreprises chinoises qui ont acheté des centaines d’hectares).
L’emploi salarié évolue. Un déficit de candidatures existe dans l’élevage porcin et le machinisme. Certains métiers de la production agricole embauchent : maraîchage, grandes cultures, vigne, élevage. Il existe des vents porteurs d’emploi dans les circuits courts et les signes de qualité : boulangers, bouchers, cuisiniers, commerciaux, pour la transformation et la vente des produits fermiers.
Les chefs d’exploitation sont de plus en plus nombreux à s’associer pour l’embauche d’un salarié. Le salarié intervient pour des missions précises dans plusieurs fermes. C’est le groupement d’employeurs qui effectue les taches administratives. Le salarié acquiert des compétences, de la polyvalence et une capacité d’adaptation.
Le solde du commerce extérieur agricole et agroalimentaire français se dégrade depuis 2012, principalement en raison d’une hausse des importations dans de nombreuses filières, notamment les fruits et légumes et les produits de deuxième transformation. C’est avec les partenaires de l’Union européenne que les.échanges sont de plus en plus déficitaires.
Ce qui est en question, c’est ce qu’on appelait « le modèle agricole français » qui était issu de la modernisation de l’outil de production agricole des années 1950 et 1960 reposant sur l’intensification des productions, la spécialisation des exploitations et leur agrandissement. Avec, tout autour, un ensemble d’organismes para-agricoles qui aident les agriculteurs à se moderniser.
En fait, ce n’est pas un modèle unique mais une grande diversité de modèles (grandes cultures, élevages bovins-lait, élevages hors-sol, label, appellation protégée, ou bio, élevages de montagne). Les uns bénéficient d’aides publiques européennes, d’autres, plus nombreux, n’en bénéficient pas.
Les grandes cultures en bénéficient, en proportion des hectares cultivés. Les prix des produits sont au cours mondial, avec toute la volatilité que cela implique. La suppression des quotas laitiers, décidée par les ministres de l’agriculture en 2008 et mise en œuvre en 2015, a frappé lourdement les éleveurs car ils ont été mis, sans aucune régulation de la production, dans les bras du marché mondial du lait qui concerne seulement à peine 10 % du lait produit dans le monde mais impose ses prix bas à tous les producteurs. A noter que les porcs, les volailles, les fruits et les légumes ont toujours été en dehors des aides européennes et entièrement soumis aux aléas et à la volatilité des marchés.
Ce « modèle agricole français » n’en est plus un depuis longtemps. Il a bénéficié en partie de la Politique agricole commune européenne (PAC) mais celle-ci n’existe plus que par des aides qui compensent mal les pertes de revenus agricoles causées par l’exposition des productions aux marchés et le refus des instances européennes de mettre en place des moyens souples de régulation adaptés à chaque produit.
Le néolibéralisme est une doctrine qui est entrée dans le cerveau du commissaire européen à l’agriculture et elle n’en sortira pas. Dans ces conditions, il importe de définir une politique agricole française digne de ce nom afin de peser avec force sur les orientations de l’Union européenne lors de la prochaine échéance des élections européennes en 2019.
Les principaux enjeux concernent la qualité des productions, la santé des consommateurs, la protection de l’environnement et, surtout, les prix qui permettent la rémunération du travail paysan.
Or, un projet de loi, issu des Etats généraux de l’alimentation, sera présenté au printemps au Parlement. Le gouvernement le fera adopter par ordonnances car il ne voit pas l’intérêt du débat parlementaire. C’est ce même gouvernement qui ne semble pas s’opposer à l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne et quatre pays d’Amérique du sud (Mercosur), dont les effets seraient délétères sur les prix de la viande bovine (- 15 % et 30 000 éleveurs français concernés) et des volailles, en raison de l’accroissement des importations de viande bovine et de poulets sans aucune garantie d’origine de ces produits. Il y a loin du beau discours présidentiel de Rungis aux actes du gouvernement.
Les rares points positifs qui ressortent de l’action des pouvoirs publics en agriculture portent sur la suppression de la mise en marché du glyphosate en trois ans et les dispositions en faveur des producteurs (prise en compte des coûts de production dans l’élaboration du prix du lait, notamment).
- Concernant l’utilisation des pesticides par les agriculteurs, la présidente de la FNSEA - organisation syndicale agricole française qui contrôle la plupart des filières et des organismes intervenant en agriculture - a déclaré, lors du Salon de l’agriculture, que les agriculteurs allaient réduire l’usage des produits dits « phytosanitaires », de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Cela suppose de prendre des moyens alternatifs de protéger les cultures (rotation des cultures, semis décalés, plantes compagnes, couverts végétaux, etc.). Mieux vaut tard que jamais… C’était un engagement que le ministre Le Foll avait dû décaler, faute de résultats concrets en 2015.
- Concernant la prise en compte des coûts de production, tout porte à penser que cette déclaration d’intention sera difficilement traduite dans les contrats que signeront les éleveurs laitiers. En réalité, la principale innovation sera le « renversement de la contractualisation », c’est-à-dire le fait que ce sera le producteur - ou l’organisation de producteurs - qui soumettra le contrat à l’acheteur de lait (l’industriel transformateur).
Cet article est le 3064 ème sur le blog MRC 53 - le 445ème, catégorie AGRICULTURE et PAC