Les juges reconnaissent le scandale de la pollution mais prononcent un non-lieu
Le tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 5 janvier, un « non-lieu définitif » sur la pollution massive de la Martinique et de la Guadeloupe par le chlordécone. Une décision qui scandalise associations et élus locaux.
Voir l'excellent article de Franck Lemarc, MAIRE info, le quotidien des élus locaux (AMF), le 6 janvier :
Chlordécone : pour la justice, un « scandale sanitaire »... mais pas de coupable
Extrait.
« Non-lieu définitif ». Le mot sonne comme un clap de fin. Un mois et demi après les réquisitions du parquet, qui avait demandé ce non-lieu, les juges ont mis fin à 17 années de procédure et douché les espoirs de toute une population de voir condamner des coupables d’une pollution qui a contaminé la quasi-totalité des habitants des deux îles.
Risques connus
Le chlordécone est un pesticide qui a été massivement utilisé dans les plantations de bananes entre les années 1970 et 1993, en particulier pour lutter – très efficacement – contre le charançon du bananier. Il s’agit d’une substance très peu dégradable, dont la durée de vie dans le sol pourrait atteindre, selon les études les plus pessimistes, 650 ans.
Breveté dans les années 1950, le chlordécone a été commercialisé dès les années 1960, d’abord aux États-Unis. Les premiers scandales sanitaires sont apparus presque immédiatement, puisque dès les années 1960, une centaine d’ouvriers de la société productrice de ce pesticide, LSPC, ont été gravement intoxiqués, tandis que le fleuve dans lequel l’usine déversait ses effluents, la James River, en Virginie, était très fortement pollué. Au point que pendant 15 ans, toute pêche a été interdite dans la James River dans un périmètre de 160 km en aval de l’usine !
Les États-Unis ont interdit le chlordécone et détruit les stocks en 1975. Autant dire que la toxicité de ce produit, à la fois pour l’humain et pour la faune et la flore, ne faisait pas vraiment mystère.
Dérogations
Pourtant, au début des années 1980, le gouvernement français délivre une nouvelle autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le chlordécone (sous la maque Curlone). Cette AMM sera finalement retirée en 1990. Mais le gouvernement explique alors qu’il reste possible d’utiliser le produit, pour écouler les stocks, jusqu’à deux ans après le retrait de l’autorisation. Et, sous la pression des producteurs de bananes, une année supplémentaire d’utilisation sera accordée en 1992. Ce n’est donc qu’en 1993 que le chlordécone a été officiellement interdit aux Antilles. Il l’a été, par la suite, à l’échelle mondiale, en 2009.
« Sur-incidence » du cancer
C’est lors des décennies suivantes que sont apparus les dégâts majeurs causés par ce pesticide. Dès les années 2010, il est apparu que les sols des deux îles sont massivement contaminés au chlordécone, sur 50 à 60 % de leur surface, non seulement autour des plantations mais bien au-delà, le produit s’étant disséminé, d’une part, par les eaux et, d’autre part, par le déplacement de terres pour les chantiers de travaux publics.
Selon les études les plus récentes, 92 % des Martiniquais et 97 % des Guadeloupéens présentent des traces de chlordécone dans l’organisme. Avec des conséquences multiples, qui ne font hélas que commencer : risques d’atteintes neurologiques, incidence sur la fertilité, risque « fortement accru », selon une étude de l’Inserm, de cancer de la prostate chez les hommes. L’Institut national de veille sanitaire a également pointé, en 2009, « une sur-incidence statistiquement significative » des cancers du sang dans les deux îles.
Voir aussi (franceinfo, 6 janvier) les précisions du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :
Extrait. "Ce n'est pas une manière d'aller nier la réalité du scandale, c'est une décision sur une question pénale précise, ce n'est pas une remise en cause de la peine de ces populations et du préjudice qu'elles ont subi", réagit Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, sur franceinfo ce vendredi. Les juges d’instruction ont prononcé un non-lieu, les faits étant prescrits, mais évoquent tout de même un "scandale sanitaire".
"Est-ce qu'il y a un scandale chlordécone ? Est-ce qu'il y a des conséquences sanitaires avec des empoisonnements de population qui sont documentés ? Personne ne le conteste", a ajouté le ministre. "La réponse des juges n'est pas de nier les faits du chlordécone", assure-t-il néanmoins, évoquant des "difficultés de prescription pénale" et "d'identification des responsabilités", pour des faits qui se sont "déroulé[s] au début des années 90".
Cet article est le 3192 ème sur le blog MRC 53 - le 27ème, dans la catégorie Justice Police Défense.