Les dynamiques agraires englobent puissance, conflit et territoire
MARS, le Mouvement Agricole Rural et Solidaire, organisait le 04 octobre 2022 une réunion sur le thème "Géopolitique de l'agriculture" avec Pierre Blanc*.
* Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, docteur en géopolitique (HDR), Pierre Blanc est professeur de géopolitique à Bordeaux Sciences Agro et à Sciences Po Bordeaux et chercheur au Lam
(Les Afriques dans le Monde, CNRS/Sciences Po).
Voir le compte rendu Géopolitique de l’agriculture sur le site du Mouvement Agricole Rural et Solidaire.
Une réflexion géopolitique sur l’agriculture
Synthèse réalisée par Gérard Choplin
La guerre en Ukraine a mis au cœur de l’actualité l’importance des aspects géopolitiques de l’agriculture et de l’alimentation. Pour Pierre Blanc, qui examine les dynamiques agraires à l’aune de la géopolitique, on peut les articuler autour de trois mots-clés : puissance, conflit et territoire.
L’approche géopolitique des puissances selon les États est en lien avec leur géographie (situation géographique, ressources). L’agriculture est un objet géopolitique : il s’y joue des rivalités d’acteurs à propos de territoires, pouvant se transformer en conflits, notamment autour de la terre et de l’eau. L’agriculture est une fabrique de territoire (contrôle, conquête).
La puissance est la capacité à peser sur d’autres, à ne pas trop dépendre des autres, à faire, à faire faire, à empêcher de faire, à refuser de faire. L’Histoire récente a illustré les liens entre puissance et agriculture, la puissance étant indexée, pour partie, sur l’agriculture.
En voici quelques exemples :
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Pour Hitler, dans sa recherche de « l’espace vital », dans une Allemagne à l’étroit, l’acquisition de terres nourricières a été une visée centrale de la guerre (opération Barbarossa vers l’Europe orientale en 1941).
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États-Unis : Après la 1e Guerre Mondiale, les USA sont passés du rang de 2e exportateur agricole (derrière la Russie) à celui de 1er. Son pouvoir alimentaire s’est développé parallèlement à son pouvoir militaire. De 1950 à 1990, l’aide alimentaire US est destinée en priorité aux pays de l’encerclement de l’URSS. Autre utilisation du food power US : en 1979, dans l’accord de Camp David entre l’Égypte et Israël, les USA ont inclus une aide alimentaire conséquente à l’Égypte.
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Russie/URSS : 1er exportateur avant la 1e Guerre Mondiale, la Russie devenue URSS a soviétisé l’agriculture, ce qui ne lui a plus permis de réaliser son potentiel agricole. L’extermination par la faim des Ukrainiens (Holodomor) dans les années 1930, sur les meilleures terres du monde, la collectivisation (manque de motivation des agriculteurs), puis le développement irréfléchi dans les années 1950-60 de cultures intensives en Asie centrale, débouchant sur la disparition de la mer d’Aral, ont nui à l’URSS comme puissance agricole. Après la dislocation de l’URSS, l’agriculture a été marginalisée et la Russie est devenue importatrice. L’arrivée de V. Poutine au pouvoir en 1999 a conduit à la privatisation des terres au profit d’oligarques. La production agricole a augmenté et la Russie est redevenue le 1er exportateur en 2015, pouvant désormais utiliser sa puissance alimentaire : pour sauver le gouvernement syrien de Bachar El Hassad (Daech contrôlant la plaine de l’Euphrate), la Russie y a envoyé du blé.
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Inde : certes « non alignée », l’Inde a été une cible importante de l’aide alimentaire US, jusqu’à la Révolution verte, l’Inde voulant s’émanciper des USA.
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Chine : Après la collectivisation et la grande famine du « Grand Bond en avant » de 1958-1962 (environ 45 millions de morts), Deng Xiaoping a déconstruit le système collectivisé en redonnant de la responsabilité aux agriculteurs et la production a augmenté. Aujourd’hui, la Chine reste dépendante pour son alimentation, mais elle diversifie ses approvisionnements, en gardant un objectif d’autosuffisance pour les grains (blé, riz).
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Le Brésil est dans une stratégie de puissance agricole depuis 60 ans, en défrichant d’immenses territoires de savane et de forêt, avec un lobby agro-industriel très puissant.
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Au Moyen-Orient, l’eau est le facteur limitant et stratégique de l’agriculture contre la domination US. L’Égypte de Nasser a barré le Nil pour ne plus dépendre de l’aide alimentaire. L’Iran, après la révolution islamique de 1979, a beaucoup augmenté le prélèvement dans les nappes phréatiques, au nom d’un Jihad agricole. Tout comme l’Arabie Saoudite.
Mais cette volonté d’autosuffisance et de non-dépendance se heurte à la rareté de l’eau et au réchauffement climatique, qui fait du Moyen-Orient une région agricole fortement importatrice.
Les conflits fonciers existent depuis toujours. Partout l’inégalité d’accès à la terre a provoqué des conflits et écrit l’Histoire à travers des moments agro-politiques. Ainsi, les dérives autoritaires en Espagne, Italie, Portugal, au 20ème siècle sont très liées à la concentration foncière. De même que plus récemment en Amérique Latine, aux Philippines (rebelles djihadistes du Mindanao), au Liban (paysans sans terre à l’origine du Hezbollah), en Turquie (paysans sans terre du PKK).
Les moments agro-politiques interviennent quand les acteurs de ces conflits croisent des formulations idéologiques qui les agrègent : socialisme en Amérique Latine, nationalisme en Irlande, islamisme au Moyen-Orient.
La façon dont un régime politique règle la question foncière après un moment agro-politique est très caractéristique de la nature de ce régime. Par exemple en Italie, Espagne, Portugal, une réforme foncière a été engagée juste après les dictatures.
Les conflits liés à l’eau sont plus circonscrits et concernent surtout le Moyen-Orient, depuis les années 1980-90, dans un contexte de tension géopolitique forte et de changement climatique très prononcé. La violence hydraulique sévit dans plusieurs bassins hydrographiques comme le Jourdain, l’Euphrate, le Nil, où c’est le rapport de force militaire qui fait l’hydro-gémonie, d’autant plus qu’il n’y a pas de droit international sur cette question.
L’agriculture se trouve au cœur de politique de conquête et de contrôle de territoires en situation de conflit. Le conflit israélo-palestinien en est un bon exemple.
Cet article est le 3200 ème sur le blog MRC 53 - le 468ème, catégorie AGRICULTURE et PAC