Une stratégie de développement à long terme
Le premier séjour du président Sarkozy en Russie, ces 9 et 10 octobre, ne semble pas avoir donné de résultats spectaculaires. Mais les deux présidents ont beaucoup échangé, ce qui est positif.
Concernant la politique économique, je relève dans un article paru ce jour sur www.lefigaro.fr que « opposées sur les dossiers diplomatiques, la France et la Russie ont en revanche loué leur partenariat sur le plan économique, notamment sur l’espace, l'aéronautique et l'énergie ».
Voici un extrait, qui figure sous le titre « Discours protectionnistes » à la fin de l’article intitulé « Vladimir Poutine et Nicolas Sarkozy brisent la glace ».
« Partenaire stratégique » pour reprendre la formule consacrée, la France n'en est pas moins un partenaire modeste. Elle est le 8e fournisseur de la Russie, qui est son 15e client. Quelque 500 entreprises françaises sont présentes en Russie, contre 3 000 allemandes, constate-t-on à la mission économique à Moscou. La croissance russe (+ 7,8 % en rythme annuel, fin juin) et l'émergence d'une classe moyenne attire comme jamais les grands groupes, Renault, PSA (qui doit construire une usine) ou encore Carrefour (qui doit ouvrir ses premiers magasins en 2008).
Bien sûr, les hommes d'affaires français, comme les autres étrangers, répugnent à parler ouvertement des difficultés rencontrées, en premier lieu la bureaucratie pesante et son corollaire, la corruption. Autant d'obstacles qui sont parfois dissuasifs pour les PME.
Les entrepreneurs français rêvent d'un assouplissement du régime des visas, tant pour les expatriés européens que pour les professionnels russes qui se rendent en France. Le sujet sera au menu des présidents. « L'amélioration du climat des affaires passe par l'amélioration de la circulation des hommes », résume Pavel Chinsky, directeur général du Club France, la chambre de commerce française en Russie. Et de conclure : « Le travail en Russie n'est pas une partie de plaisir, mais les récompenses sont à la mesure des efforts consentis. »
Dans un autre article du même journal, ce 10 octobre sur www.lefigaro.fr (onglet « actualité », rubrique « débats et opinions »), Jacques Sapir, professeur d’économie à Paris, présente un bilan flatteur des années Poutine sur le plan économique. C’est un point de vue très intéressant, à contre-courant de ce qui est écrit habituellement sur la Russie. Voici ce texte.
« En Russie, les "interventionnistes" ont gagné contre les "libéraux" »
« Nicolas Sarkozy arrive en Russie alors que l'économie russe entame sa neuvième année de croissance ininterrompue. À la vue des résultats obtenus, on peut considérer que le pays a enfin surmonté la « crise de transition » qu'il a connue de 1991 à 1998 et qui lui avait fait perdre jusqu'à 40 % du PIB de la fin de l'ère soviétique. Ce n'est qu'au premier semestre 2007 que la Russie retrouve son niveau de PIB de 1990.
Loin d'être le seul produit de la hausse des prix des hydrocarbures, cette croissance est le fruit de la mise en place progressive d'une véritable politique économique en Russie. Le second mandat présidentiel de Vladimir Poutine, entamé en 2004, a, en effet, été marqué par une inflexion significative de la politique économique vers une politique de diversification industrielle volontariste.
Cet éloignement progressif des thèses libérales dominantes a émergé dès 2004 et s'est précisé avec la définition des « priorités présidentielles » à l'automne 2005 et les décisions économiques prises en 2006, en particulier en faveur de la constitution de grandes entreprises publiques ou semi-publiques dans plusieurs branches de l'industrie.
Le remaniement ministériel de février 2007, qui a vu le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, être promu au poste de premier vice-premier ministre, peut être considéré comme un symbole important de ce mouvement. Sergueï Ivanov est en effet parmi les dirigeants russes celui qui peut passer pour le plus engagé en faveur d'une politique industrielle active. Le récent départ du gouvernement de German Gref, un des derniers ministres « libéraux », est encore un signe de la cohérence qu'a désormais acquise la politique économique russe.
Ce processus n'est pas circonscrit au cercle gouvernemental restreint. Il s'inscrit dans le cadre global d'une évolution qui voit l'ensemble de l'élite politique et économique russe se rallier à des conceptions interventionnistes et qui se traduit par la montée d'une forme de « patriotisme économique ». Aujourd'hui, des notions comme la politique industrielle, la nécessaire présence d'un secteur public ou le protectionnisme ne font plus clivage entre ceux que l'on appelle les « libéraux » et les « interventionnistes ».
Ce volontarisme russe s'est traduit par un double mouvement de réaffirmation de l'État dans l'économie et de re-concentration des activités. Dans les faits, on a vu apparaître une organisation de l'économie autour de trois secteurs dans lesquels le rôle de l'État est différencié :
- un secteur prioritaire, celui de l'énergie et des matières premières qui doit être étroitement contrôlé par l'État ;
- un secteur des industries stratégiques qui se définit dans une logique de diversification où l'entrée des acteurs étrangers est possible et même souhaitée, comme c'est le cas pour la production automobile ;
- un secteur des autres industries où l'État n'intervient que pour faire respecter la législation commune.
La diversification de l'économie est devenue un axe stratégique de la politique économique, justifié par un risque de dépendance vis-à-vis des matières premières. Cet objectif a été repris par Alexandre Chokhine, le président de l'Union des industriels et des entrepreneurs de Russie (le RSPP), qui appelle à la mobilisation d'une partie des moyens du fonds de stabilisation et la mise en place de ce qu'il qualifie de « protectionnisme raisonnable ».
Le vote par la Douma de la création d'une Banque d'investissement publique, qui aura pour mission de financer les projets à long terme et les infrastructures et d'aider les PME s'orientant vers les marchés d'exportation, va dans le même sens. On doit ajouter ici que le fonds de stabilisation a été scindé en plusieurs entités avec un fonds des investissements, un fonds des générations futures et enfin un fonds gazier et pétrolier, dont le rôle sera de protéger le budget des variations de recettes que pourrait entraîner une baisse temporaire des prix mondiaux. Ces mesures ont pour but de constituer un instrument efficace d'intervention économique entre les mains de l'État.
On constate aujourd'hui que la croissance dans l'industrie manufacturière (hors énergie et matières premières) a été très forte au premier semestre (8 %). De même, une grande société des techniques avancées est en train de voir le jour (Rustechnologia) et elle sera un partenaire important pour les entreprises françaises et européennes.
On est donc bien en présence d'une stratégie économique et industrielle cohérente. Cette politique suscite aujourd'hui l'intérêt d'un nombre croissant de pays. Au-delà de sa santé économique retrouvée, la Russie s'affirme comme un exemple de pays qui réussit à assouplir le carcan des règles du néolibéralisme pour assurer un développement de long terme. Ceci a des conséquences importantes sur l'image de la Russie dans de nombreux pays en voie de développement et même développés.
Si Moscou ne se prétend plus la 3e Rome ou le centre de la contestation de l'ordre capitaliste mondial, la Russie redevient dans les faits une alternative crédible en matière de stratégie de développement économique et industriel. Le poids international de la Russie en est ainsi autant renforcé que par la présence du pays dans les hydrocarbures ou le secteur minier ».
A propos de la Russie, je recommande vivement aux lecteurs de ce blog de consulter les actes du colloque de la Fondation Res Publica du 11 octobre 2005, « Où va la Russie ? », notamment les conclusions de Jean-Pierre Chevènement.
A voir sur http://www.fondation-res-publica.org