Revoir de fond en comble la politique agricole
Ce 14 avril, le quotidien Libération s’est saisi des problèmes liés à la crise alimentaire en insistant sur la nécessité de repenser entièrement l’organisation de l’agriculture mondiale (voir, plus loin).
Ces articles contribuent à faire avancer les idées, mais il revient aux élus et aux partis politiques de prendre les décisions, s’ils sont au pouvoir, ou de proposer des solutions, s’ils n’y sont pas encore et aspirent à y être, ce qui est le cas de la gauche en France.
C’est l’occasion de faire référence aux réflexions du Mouvement Républicain et Citoyen. Je renvoie aux articles parus sur ce blog, notamment le 2 juin 2007 (catégorie « Législatives 2007 »), où sont présentés les éléments d’une nouvelle politique agricole (http://mrc53.over-blog.com/15-categorie-1238590.html).
En catégorie « Agriculture et PAC » (http://mrc53.over-blog.com/categorie-740313.html), 82 articles ont été publiés depuis le 17 juillet 2006.
Par ailleurs, j’invite à consulter les articles parus sur le site national du MRC, onglet « Positions », rubrique « Agriculture » (http://www.mrc-france.org/rubrique.php3?id_rubrique=21), le premier étant la base de l’édifice, sous le titre évocateur «La Politique Agricole Commune, pour nourrir l’Europe et faire vivre le monde », à partir duquel la partie agricole du projet du MRC a été rédigée (http://www.mrc-france.org/article.php3?id_article=79).
Revenons à l’actualité et aux articles parus sur www.liberation.fr ce 14 avril.
D’abord, l’éditorial de Didier Pourquery, sous le titre « Le fossé ». On peut ne pas être d’accord avec tout ce qu’il écrit, notamment quand il évoque le retour à une « agriculture productiviste », comme si nous en étions sortis. Son analyse oublie l’essentiel : le caractère néolibéral des choix européens. Toutefois, il y a du vrai dans ce constat.
« Le constat est impitoyable : nous sommes entrés dans un cycle long de hausse des matières premières agricoles qui vont pousser au désespoir nombre d’habitants des pays dits émergents. Face à cette perspective qui affole les grandes organisations internationales, le fossé se creuse entre les problèmes du Nord et ceux du Sud.
Certes, nous constatons en Europe aussi des hausses importantes des produits alimentaires. Notre baguette augmente, mais chez nous le pain ne pèse pas aussi lourd dans le budget des ménages que dans celui des pays pauvres. Au Nord, nous avons depuis plusieurs années considéré comme résolue la question européenne de l’autosuffisance alimentaire et pour réduire le poids de la politique agricole commune nous avons réfléchi à une autre façon de voir l’agriculture: plus économe, responsable, bio, etc.
Le débat sur les OGM que nous avons eu ces dernières semaines illustre cette tendance. Or, face à l’explosion de la demande, à la baisse mondiale des stocks, à la flambée des cours, aux émeutes de la faim, il faut se remettre à produire. Produire beaucoup, vite et moins cher.
Nous voici face à un dilemme douloureux: revenir à une agriculture productiviste, en utilisant toute la palette des nouvelles technologies (agrochimie, OGM…), ou continuer de défendre un modèle raisonnable et raisonné qu’on pourrait considérer comme frileux au vu des enjeux de la planète. Evidemment, la réponse est quelque part entre les deux attitudes. Mais les pays du Sud ne pourront pas attendre très longtemps. Il faut repenser entièrement le modèle agricole mondial ».
Esther Duflo, économiste et enseignante, se situe dans la logique libérale, qui voudrait que « les pays riches assurent les pauvres ». Pourtant, la partie descriptive est intéressante.
« La semaine dernière, les émeutes violentes à Haïti, provoquées par la colère des habitants face à l’augmentation du prix des denrées alimentaires de base, ont mis la question des prix agricoles sur le devant de la scène. D’autres incidents ont eu lieu en Indonésie, en Guinée, en Mauritanie, au Mexique, au Maroc, au Sénégal, en Ouzbékistan et au Yémen.
Plusieurs gros producteurs de riz (Vietnam, Inde, Egypte) ont imposé de fortes limites sur les exportations de riz. Après plusieurs décades de stabilité des prix des denrées alimentaires, ceux-ci ont recommencé à augmenter à partir de 2005, et leur croissance en 2007 a été phénoménale. De mars 2007 à mars 2008, l’augmentation du prix mondial moyen a été de 30 % pour le maïs, 74 % pour le riz, 87 % pour le soja, et 130 % pour le blé.
Plusieurs raisons expliquent l’augmentation tendancielle des prix, dont la demande pour les biocarburants (qui consomment une partie non négligeable du maïs produit dans le monde) et l’accroissement et l’enrichissement de la population mondiale (en particulier l’augmentation de la demande de viande en Chine : paradoxalement, produire une calorie sous forme de viande requiert une quantité de céréales plus fortes que produire une calorie sous forme de céréale).
Plusieurs facteurs de conjoncture contribuent aussi à expliquer le pic récent : les récoltes de blé ont été mauvaises dans plusieurs gros pays producteurs ; le riz souffre d’un parasite mystérieux au Vietnam ; les stocks de grains, maintenus par les gouvernements (comme l’Inde) pour stabiliser les prix, ont fortement diminué (ils sont à leurs plus bas niveaux depuis 1984).
Les prix sont donc non seulement plus hauts en général, mais plus volatils (on s’attend d’ailleurs a une baisse du prix du riz après les récoltes en Indonésie et en Inde) ; même la crise financière joue un rôle : les produits alimentaires font figure de valeur refuge, ce qui a contribué à la flambée »(…).
Christian Losson passe en revue « les raisons de la colère » qui « préfigurent une crise d’ampleur planétaire ». Parmi les « racines de la crise » :
- La mode des biocarburants. « Le baril de pétrole au sommet (112 dollars) précipite la ruée vers l’or vert. L’Union européenne veut incorporer 10% de biocarburants dans la consommation totale d’essence et de gazole d’ici à 2020. George Bush, lui, rêve de voir 15% des voitures rouler aux biocarburants d’ici à 2017. Même les pays en déficit alimentaire, comme l’Indonésie ou le Sénégal, s’y mettent, sacrifiant des terres arables (…) ».
- L’orgie de la spéculation. « Confession, vendredi, d’un économiste à Washington: «C’est de la folie! Le blé vaut de l’or!» C’est un autre effet pervers de la crise des subprimes. Essorés par le marché des crédits, les fonds d’investissement placent leurs billes sur les matières alimentaires. Soja, blé, maïs, voilà les nouvelles valeurs refuge ! » (…).
- Les effets de la libéralisation. «On nous impose, nous, poids plume, de boxer contre les poids lourds sur le ring commercial», nous confiait, il y a six mois, Jacques-Edouard Alexis, Premier ministre haïtien démis samedi de ses fonctions. «Les politiques de libéralisation à marche forcée, prônées pendant des décennies par le FMI et la Banque mondiale, ont contribué à rendre les pays pauvres encore plus vulnérables», dénonce Sébastien Fourmy, d’Oxfam (…).
- Les bouleversements du climat. « Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’en alarme : les changements climatiques nuisent à la santé et à l’alimentation. «Sécheresse en Australie ou au Kazakhstan, inondations en Asie, ouragans en Amérique latine et un hiver record en Chine», égrène le Programme alimentaire mondial (PAM). Tendance lourde. D’autant que l’agriculture intensive joue contre l’environnement (…) ».
- L’évolution des modes de vie. « Nourrir 60 milliards d’animaux à viande chaque année revient à produire autant de céréales que pour 4 milliards d’habitants (…) ».