A Reims, les socialistes peuvent-ils surprendre ?
Certes, je n’étais pas à Epinay-sur-Seine en 1971 (car j’effectuais mon service national en tant que coopérant technique à l’Institut de technologie agricole de Mostaganem, en Algérie), mais j’ai lu les comptes rendus de ce congrès du nouveau parti socialiste, qui avait succédé, deux ans plus tôt, à la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière). C’est dans cette ville de Seine-St-Denis (93) que le Parti socialiste actuel est né.
Tout porte à croire que le PS aura un nouveau visage dans les deux ou trois années qui viennent, avant la prochaine élection présidentielle en 2012. Mais lequel ? Celui de la continuité de la dérive libérale, personnifiée, hier par Lionel Jospin, demain par Bertrand Delanoë ? Ou celui de la refondation portée par celles et ceux qui auront la clairvoyance et le courage de l’innovation dans le prolongement des idées de Jean Jaurès ?
Cette semaine, Bertrand Delanoë, qui ne manque pas d’ambition*, a eu les honneurs de la presse, à l’occasion de la parution de son livre ce 23 mai (« De l’audace », Robert Laffont). Il a fait le choix d’assumer ce qu’il est, un libéral au sens classique du terme, c’est-à-dire politique et économique.
Cette prise de position a pour effet d’obliger les autres aspirants aux responsabilités à se déterminer par rapport à lui, et son ombre portée, Lionel Jospin. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Sous le titre « Le libéralisme de Delanoë provoque un tollé au PS », le site du Nouvel Observateur, ce 23 mai, rapporte, notamment, celle de Benoît Hamon (voir www.nouvelobs.com).
"A rebours de l'évolution de la gauche"
Benoît Hamon, pour sa part, estime que Bertrand Delanoë "nous joue l'ode au libéralisme", qui lui semble aller "à rebours de l'évolution de la gauche".
Dans un entretien à paraître jeudi dans France Soir, Benoît Hamon juge "assez baroque" la volonté affichée par le maire de Paris d'inviter la gauche à se réapproprier le libéralisme.
"Au moment où le modèle économique libéral est en plein marasme, où on réalise, partout dans le monde, que la dérégulation du système nous a conduit dans l'impasse, avec les crises bancaires, financières et énergétiques, Bertrand Delanoë nous joue l'ode au libéralisme", juge Benoît Hamon.
"Cela me semble aller à rebours de l'évolution de la gauche", affirme-t-il évoquant les Etats-Unis, où Hillary Clinton et Barack Obama "prennent le contre-pied des positions démocrates en remettant en cause le libre-échange" et en Europe, "où la social-démocratie est en crise, puisqu'elle a perdu 13 des 15 dernières élections!" "Que Bertrand Delanoë fasse son entrée dans le congrès comme cela, je trouve cela surprenant", juge-t-il.
Chacun va devoir choisir, y compris ceux qui ne veulent ni de Bertrand Delanoë, ni de Ségolène Royal, à la tête du PS. Des reclassements vont s’opérer. Ainsi, l’ancienne ministre Yvette Roudy a choisi de ne pas suivre Arnaud Montebourg dans son cheminement « ni Delanoë, ni Royal ». Elle rejoint Ségolène Royal en se justifiant ainsi :
(…) « Nous voulons rester fidèles à la rénovation de notre parti pour laquelle nous avons oeuvré toutes ces années. Nous avions fait le choix en 2007 de soutenir Ségolène Royal. Elle a porté nos idées au delà de nos espérances : démocratie participative, réforme institutionnelle, développement durable, pacte social européen. Aujourd’hui, nous faisons le choix de continuer avec elle le travail de rénovation entrepris ».
D’autres, comme Martine Aubry et les proches de Dominique Strauss-Kahn, rejoindront le maire de Paris, après avoir signé une contribution au débat. Autour de Benoît Hamon, la gauche du parti sera présente et peut jouer un rôle important. Les conditions lui sont plus favorables que ces dernières années. Et Benoît Hamon a les qualités pour rassembler.
Les choix de François Hollande et de Ségolène Royal seront déterminants. Affaire à suivre…
En attendant, voici la réflexion d’un politologue, Jean-Philippe Roy, sur son blog, le 22 mai, concernant le livre de Bertrand Delanoë et la concurrence au sein du PS.
"De l'audace" : un acte politique lourd de Delanoë
« Mercredi, la divulgation des bonnes feuilles du livre de Bertrand Delanoë a eu lieu. Serait-ce un moment fort de l'histoire politique française, ces événements rares qui font qu'il y a un avant ou un après ? La plupart des commentaires se polarisent sur un « coming out » idéologique: le maire de Paris entend assumer, à sa manière, une identité "libérale". Une déclaration que l'on peut essayer de décrypter, tant du point de vue idéologique que du point de vue de la stratégie politique.
Il rappelle, en fait, ce que veut dire libéral, au sens classique du terme : la légitimité de la liberté individuelle comme facteur d'émancipation et de créativité. Il insiste sur la différence entre le libéralisme et le capitalisme, phénomène de concentration des profits, source de conservatisme social, donc la nécessité d'une certaine régulation pour faire que la liberté des uns puisse s'arrêter là où commence celle des autres.
Autrement dit, il réaffirme que liberté et égalité sont liées et non opposées, d'ou la nécessité d'une régulation garantissant les libertés individuelles. Ce faisant, il replace le socialisme français dans l'héritage idéologique des Lumières et de la Révolution française. Mais en même temps, il se différencie de "la gauche de la gauche". Depuis sa campagne contre le TCE, celle-ci avait préempté le mot libéral comme un fétiche repoussoir, permettant de fédérer contre ce mot toutes les contestations, toutes les protestations. En assumant le libéralisme politique, il se pose donc en s'opposant, au risque de ne pas plaire à tout le monde.
Le corollaire de cette posture est qu'il fait un pari politique risqué : il s'agit pour lui de donner des gages à un électorat, celui qui s'est porté sur François Bayrou en 2007. Pour résumer en quelques mots : mieux vaut, pour lui, parler à l'électorat de François Bayrou qu'à François Bayrou lui même. Par ailleurs, il fait le pari qu'en captant des électeurs du MoDem, il serait présent au second tour de l'élection présidentielle, et que mécaniquement les reports des candidats de gauche se feraient par le jeu de la "discipline républicaine".
Il affirme ainsi une différence majeure de stratégie politique par rapport à Ségolène Royal : il est donc temps de casser un commentaire trop souvent ressassé : il n'y aurait pas de différence idéologique entre Delanoë et Royal, ce serait de là que viendrait tout le mal. La discussion sous le dernier post du blog d'Eric Dupin** est particulièrement éclairante. En effet, on y découvre que les "grands congrès socialistes" se sont tous construits, moins sur des sujets de fond que sur des stratégies pour arriver au pouvoir. Autrement dit : comment faire pour gagner et avec qui ? L'acte que pose Bertrand Delanoë n'est donc pas un geste de basse cuisine partisane, mais un acte politique fort qui annonce une volonté stratégique lourde.
Il ne fait donc pas de doute qu'il est en marche vers une candidature à la tête du parti socialiste et pour l'emmener, selon sa stratégie, vers l'élection de 2012 (…).
Un autre problème, de taille, se pose à lui: comment assumer ce tournant idéologique (en réalité ancien au PS, mais nouvellement assumé), sans perdre MM. Mélenchon, Hamon, Emmanuelli et les militants qui vont avec ? Une rupture idéologique et militante peut aussi devenir un gouffre électoral infranchissable.
Cet aspect-là le différencie aussi beaucoup de la vision du parti socialiste que développe Ségolène Royal. Elle souhaite un parti plus nombreux en militant, donc sur une base idéologique plus large et plus diverse, Bertrand Delanoë fait lui le pari d'un "parti épuré", mais plus cohérent. Décidément, à bien y réfléchir, il y a de réelles différences entre ces deux approches ! »
A lire sur http://www.rue89.com/politicom/de-laudace-un-acte-politique-lourd-de-delanoe
* En 1983, nouvellement nommé secrétaire national aux fédérations départementales du PS (par le 1er secrétaire, Lionel Jospin), Bertrand Delanoë faisait le tour des départements. Il nous avait demandé de doubler le nombre d’adhérents en Mayenne, au moment où le gouvernement Mauroy ouvrait la « parenthèse libérale » (non refermée, vingt-cinq ans plus tard), qui eut pour effet de tarir le recrutement de nouveaux adhérents.
** Le commentaire de René Fiévet le 20 mai 2008 est très instructif.
Éric Dupin insiste sur les convergences de fond entre Royal et Delanoë, sans doute pour diminuer la portée des débats qui s’annoncent pour le prochain Congrès du PS. Depuis quelque temps, c’est effectivement très « tendance » de porter un regard désabusé sur tout ce qui se rapporte au PS. Succès assuré.
Mais si on y réfléchit, n’est-il pas finalement assez rare qu’il y ait de fortes divergences de fond entre les différents courants du PS, au plan idéologique s’entend ? Après tout, si on prend l’exemple du Congrès d’Épinay de 1971, les socialistes étaient d’accord sur l’essentiel: la transformation socialiste de la société. Ils étaient en désaccord sur la stratégie politique: programme ou non avec les communistes.
Et Épinay fut un grand congrès politique. De même, au Congrès de Tours en 1920, tout s’est joué sur l’adhésion ou non à l’Internationale Communistes. Mais majoritaires et minoritaires étaient d’accord au plan idéologique sur l’objectif de transformation révolutionnaire de la société. Qui peut nier que Tours a modelé le paysage politique français pour au moins 80 ans ? A mon sens, le dernier Congrès “idéologique” fut celui qui opposa les mitterrandistes et rocardiens au Congrès de Metz en 1979, où il fut beaucoup question de la place du plan et du marché dans la société. Ce fut un grand congrès politique, mais dominé quand même par le contexte de l’affrontement entre 2 personnalités.
Tout ceci pour dire qu’il ne faut pas minimiser les désaccords politiques entre Royal et Delanoë. Le congrès de 2008 s’annonce comme un congrès sur la ligne politique- notamment sur la stratégie d’alliance. Il est aussi un congrès sur la nature du PS dans le système politique français. Pour faire simple; le PS doit il rester ce qu’il est: un parti de militants, axé sur un projet politique (Delanoë) ; ou doit-il prendre le tournant définitif de la présidentialisation du régime politique, et devenir un parti de supporters derrière un “chef” (Royal). Contrairement à ce que laisse penser Éric Dupin, il s’agit de beaucoup plus qu’une « manière différente de faire de la politique ». De ce point de vue, Reims 2008 s’apparente beaucoup au Congrès des Néos de 1933. Voilà qui est de nature à faire du futur Congrès de Reims un grand congrès politique. Ne faisons pas la fine bouche. Cela n’arrive pas si souvent.