Une idée novatrice malmenée par le libéralisme
Le nouveau site national du MRC n’a pas conservé les textes agricoles qui étaient en ligne sur l’ancien. L’un d’eux, qui intéressait de nombreux internautes, est le texte de base que j’avais rédigé en 2005, en tant que délégué national à l’agriculture.
Depuis le congrès du Kremlin-Bicêtre, en juin dernier, je continue de porter la responsabilité des questions agricoles, en tant que membre du secrétariat national (voir Le nouveau secrétariat national du MRC).
Je souhaite mettre en place un groupe de réflexion sur la PAC à réorienter, qui soit composé de militants, membres ou sympathisants du MRC, répartis sur l’ensemble du territoire national.
Afin de porter à leur connaissance ce texte de base, je le mets en ligne sur ce blog du MRC 53 et de la gauche républicaine. Sa longueur m’oblige à le découper en tranches. Voici la première partie de ce document, tel qu’il était sur le site du MRC.
La Politique Agricole Commune (PAC). Pour nourrir l’Europe et faire vivre le monde
Michel Sorin, délégué national MRC à l’agriculture
Ce texte est un document de travail daté du 1er mars 2005, puis amendé en janvier 2006. Il a servi de base à un autre document intitulé « Projet pour l’agriculture et la PAC », daté du 21 octobre 2005, qui a lui-même nourri la rédaction de la partie agricole du projet du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) adopté en avril 2006. St-Berthevin (Mayenne), le 1er juin 2006.
Avant la première guerre mondiale, l’agriculture française couvrait les besoins, sa primauté n’était discutée par personne.
Après la seconde, elle doit importer des céréales et de la viande pendant quelques années, puis, non seulement elle se rétablit mais elle exporte, grâce à la modernisation de ses moyens de production.
Entre 1945 et 1960, l’impulsion réformatrice des gouvernements de la 4ème République porte ses fruits : la France est exportatrice dans toutes les productions. Il lui faut trouver des débouchés.
La Politique Agricole Commune est une aubaine que les premiers gouvernements de la 5ème République ont su remarquablement saisir et négocier avec leurs cinq partenaires européens, peu après la signature du traité de Rome (1957).
Sous l’impulsion de la France, l’Europe naissante fait de l’agriculture sa première politique commune. Cela correspond aux intérêts des pays membres et à de nouvelles perspectives économiques et politiques pour l’entité européenne. L’agriculture française, excédentaire, est en position de force face aux agricultures allemande et italienne, déficitaires.
Cette PAC, née en janvier 1962, est fondée sur trois principes : la libre circulation des produits agricoles au sein de l’espace communautaire, la protection aux frontières et la solidarité financière.
La production céréalière, bien organisée, est la première bénéficiaire de cette nouvelle organisation. Les productions d’élevage, moins faciles à cerner, sont traitées diversement et l’alimentation animale reste en dehors.
L’agriculture européenne se développe si bien qu’elle devient largement exportatrice (2ème derrière les USA) et la cible des pays concurrents dans les négociations internationales, de plus en plus difficiles.
De nombreux agriculteurs des six pays ont pu moderniser leurs équipements, mais cette PAC a quand-même un inconvénient pour beaucoup d’entre eux : elle n’est pas protectrice pour toutes les productions et elle l’est très inégalement selon les produits, les exploitations et les régions.
Les grands bénéficiaires ont été les organismes de collecte/transformation, privés ou coopératifs, qui ont accès à l’intervention (et non l’agriculteur individuel) : ils ont disposé d’un débouché garanti qui leur épargnait de faire des efforts commerciaux et d’innovation. Exemple : les grandes coopératives laitières tournées majoritairement vers la production de beurre et de poudre, plutôt que vers les produits à valeur ajoutée.
En outre, le système des restitutions à l’exportation a été utilisé par les instances européennes comme un moyen de positionner favorablement l’Europe dans les échanges commerciaux et diplomatiques.
Après avoir fait preuve d’audace novatrice, la PAC se transforme peu à peu en une bureaucratie, un guichet, un lieu d’affrontement d’intérêts, sans vision commune.
La CEE, relayée par l’Union européenne, va devenir un tremplin pour la mondialisation libérale et la PAC un boulet, voire un bouc émissaire...
Une suite de compromis entre Etats, sans fil conducteur.
La Politique Agricole Commune a été conçue pour atteindre les cinq objectifs du traité de Rome :
Accroître la productivité de l’agriculture, en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre,
Assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture,
Stabiliser les marchés,
Garantir la sécurité des approvisionnements,
Assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.
Afin d’accroître la productivité du secteur agricole (objectif partagé par tous, agriculteurs, techniciens, fonctionnaires), un système bien articulé est mis en place au début des années 1960, comprenant la production, l’organisation des marchés et les financements.
A partir d’objectifs de prix intérieurs, la PAC intervient par le biais de taxes à l’importation (les prélèvements) et des soutiens à l’exportation (les restitutions), auxquels s’ajoutent des procédures d’intervention sur les marchés (retrait de surplus, qui fait baisser les prix, les quantités stockées étant remises plus tard sur le marché ou bradées vers d’autres pays).
Ce système spécifiquement européen, qui constitue une arme commerciale et diplomatique, a fait l’objet d’attaques lors des négociations internationales, notamment à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), par les USA, qui utilisent d’autres mécanismes dans le même but, et le groupe de Cairns, nom de la ville d’Australie où se sont réunis, il y a environ vingt ans, des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Argentine, ayant adopté une position libre-échangiste conquérante s’appuyant sur des conditions naturelles ou sociales exceptionnelles. Ces pays « libéraux », dotés d’organismes publics de commercialisation (Boards) manipulent les marchés à leur guise et pratiquent un protectionnisme féroce, sous couvert d’arguments sanitaires.
En fait, derrière le schéma « prix intérieurs - prélèvements - restitutions », se cachent des adaptations diverses, selon les pays et les filières de production.
Ainsi, en France, certaines filières (volaille, porc, fruits et légumes) fonctionnent sur un mode quasi libéral, d’autres (vins) sur une logique de segmentation, d’autres encore (sucre, puis lait à partir de 1984) sur le principe de contingentement des productions (quantum pour le sucre avec garantie d’un prix élevé pour un volume de base correspondant à la consommation intérieure, les excédents étant exportés à la charge des producteurs, quota pour le lait avec limitation absolue de la production, les dépassements étant sanctionnés).
Les productions de viande de volaille et de porc se sont développées avant 1992 sur la base d’importations massives de produits de substitution (manioc, résidus d’industries agroalimentaires) aux céréales, en raison des prix élevés de celles-ci, ce qui n’était plus le cas ensuite.
La production ovine n’a pu se développer en raison de la concurrence néo-zélandaise.
Le secteur céréalier dispose d’une forte antériorité dans les mécanismes d’organisation, à partir de 1936 et la création de l’ONIC (Office national interprofessionnel des céréales).
Les dispositifs PAC s’en sont inspirés, y compris dans la garantie de prix sans limitation de volume par exploitation (ce qui n’a pas manqué de donner libre cours à la concentration des exploitations) et dans l’absence de politique de qualité (exemple : la production de blé fourrager non classé, que l’on ne pouvait que brader sur les marchés extérieurs et qui a ruiné l’image de nos blés dans de nombreux pays).
La filière laitière, combinant petite exploitation familiale et forte intensification du sol et du facteur travail, a démontré une remarquable capacité d’organisation et de négociation collective, à l’initiative des producteurs engagés dans la filière et, le cas échéant, très combatifs sur le terrain.
Les ajustements successifs de la PAC sont le résultat de compromis entre Etats, notamment la France et l’Allemagne, mais pas seulement eux.
C’est un jeu complexe qui réunit les Etats membres et la Commission, celle-ci ayant sa propre logique, et les négociateurs représentant les Etats n’ayant pas, le plus souvent, de vision globale. Il en ressort la volonté de gérer les acquis, mais, rarement, de corriger les lacunes du système.
Un exemple de déséquilibre : le choix de développer les systèmes fourragers à base de maïs avec importation massive de soja américain (le soja est le complément indispensable du maïs grâce à sa richesse en protéines) en provenance, d’abord des USA, puis, plus récemment du Brésil, pays qui disposent de vastes espaces et du climat favorable à la culture de cette plante.
Au moment de la mise en place de la PAC, dans les années 1960, lors des premières négociations commerciales dans le cadre du GATT, les USA ont exigé que la CEE fixe à un taux très faible les droits d’entrée sur le soja. En fait, par le biais de cette « compensation », leur but était de s’assurer des avantages commerciaux et stratégiques substantiels et, aussi, d’interdire à l’Europe d’accéder à l’autonomie pour son alimentation en protéines.
Cette bévue stratégique des négociateurs européens, qui n’a jamais été corrigée par la suite, a eu des conséquences graves.
Les systèmes à base d’herbe, plus riches en protéines, beaucoup plus économes en importation de soja, mais aussi plus protecteurs de l’environnement, ont été systématiquement défavorisés dans les décisions européennes.
La PAC de plus en plus tournée vers l’exportation.
Le succès de la PAC a été d’accroître les productions, positionnant ainsi l’Europe en tant qu’acteur dominant du marché mondial.
Elle a résolu certains problèmes, comme la fameuse « montagne de beurre et de poudre de lait » des années 1970 et début 1980. Ponctuellement, il existe encore des stocks, qui se dégonflent rapidement en jouant sur le dégagement vers des pays comme la Russie ou sur le niveau des restitutions. Toutefois, celles-ci ont l’inconvénient de désorganiser la production locale des pays du Sud.
Pourtant marginales au regard de la consommation européenne, les exportations sont devenues un but en soi, qui a pris le pas sur les objectifs d’autosuffisance alimentaire et de garantie du revenu paysan. Elles pèsent excessivement sur le système de fixation des prix, à la satisfaction des grandes firmes agroalimentaires et des grosses exploitations laitières et céréalières, dont la « compétitivité » est d’ailleurs gonflée, pour une part importante, par les subventions européennes.
La suite de ce texte, dans un prochain article.
Voir aussi la centaine d’articles parus sur ce blog, en AGRICULTURE et PAC