L’Europe ne protège pas l’agriculture familiale
Nicolas-Jean Brehon est très favorable à l’idée européenne et fait de son mieux, en tant que professeur, pour faire connaître les travaux et décisions de l’Union européenne (voir FINANCES DE L'EUROPE- Présentation du site et de son auteur NJ BREHON).
Il ne peut éviter de s’en prendre aux ministres de l’agriculture qui laissent dériver la Politique Agricole Commune vers son anéantissement. Les décisions prises lors du « bilan de santé », réalisé en fin d’année dernière, l’ont amené à réagir avec vivacité dans un article du quotidien Les Echos, paru le 5 janvier 2009.
Cette question avait été abordée sur ce blog, dans un article paru le 22 novembre 2008 : PAC : Commissaire et ministres persistent dans l'erreur libérale.
Je propose de prendre connaissance des arguments développés par Nicolas-Jean Brehon, chargé d'enseignement à l'université Paris-I.
Une PAC sans cap
Quel bilan conclure du « bilan de santé » de la politique agricole commune, la fameuse PAC, réalisé l'an dernier pour ajuster la réforme de 2003 et réfléchir à la nouvelle politique qui sera mise en place à l'horizon de 2013 ?
Le point positif est que le Conseil est bien parvenu à un accord. Un compromis qui ne comble personne, mais ainsi va le jeu communautaire. A Vingt-Sept, plus encore qu'hier et bien moins que demain, même des propositions simples suscitent des hostilités. Le Royaume-Uni a, par exemple, voté contre la distribution de fruits dans les écoles.
Mais qu'on permette à un observateur, certes français - cela compte dans le débat actuel - d'être meurtri et même fâché devant tant de renoncement et d'inconsistance.
S'agissant du développement rural, les aménagements qui viennent d'être décidés poussent ce volet d'une main (en majorant la modulation, c'est-à-dire le transfert des aides directes de marché dites du premier pilier vers les aides de développement rural) mais l'anéantissent de l'autre.
Car la suppression programmée des quotas laitiers sera un coup fatal pour les petites exploitations rurales, non seulement par son impact probable sur les prix mais par le modèle agricole qu'il sous-tend.
La France garde un modèle agricole avec, pour simplifier, des vaches dans les champs, tandis que les pays favorables à la suppression des quotas sont dans une logique purement industrielle avec des vaches dans des usines à lait.
L'une est dans une logique de production et d'aménagement du territoire, les autres dans une logique de rendement et de compétitivité mondiale. La suppression des quotas marque la victoire des seconds. Mais quiconque traverse la France peut voir que plusieurs régions sont déjà dans des situations de paupérisation totale ; il n'y a plus d'usine, presque plus de ville, il n'y a plus que des vaches. Et encore : elles sont amenées à disparaître...
L'Union européenne dit une chose, donne même des crédits, mais agit dans le sens contraire et fait tout pour saborder la PAC.
Depuis la réforme de 2003, qui introduisait le découplage consistant à attribuer des aides indépendamment des productions, la PAC est devenue une mécanique de redistribution de revenus au profit des agriculteurs.
Ces derniers se sentent doublement humiliés, car ils sont à la fois sous dépendance totale des aides européennes (90 % du revenu net vient de l'Union) et accusés d'être des profiteurs du système.
Cela ne peut pas durer : rien ne légitime que l'Europe aide les revenus d'une catégorie socioprofessionnelle. Pourquoi l'Europe garantirait-elle les revenus des seuls agriculteurs ? Sous prétexte d'adapter la PAC, les réformateurs l'ont en vérité dynamitée.
Cette politique, qui n'est plus qu'une politique de redistribution, ne résistera pas à la pression sociale qui s'annonce. La crise économique qui se profile y mettra fin. Sur ce point, pas une réflexion, pas un mot. Rien.
L'argument rituel, repris encore cette fois-ci, est que le poids de la PAC est un handicap pour l'avenir et que l'économie réalisée servira à la recherche. Sauf que l'argument est faux.
L'agriculture est communautarisée tandis que la recherche reste une politique nationale dans laquelle les crédits européens ne sont que des crédits d'appoint. Il est donc tout à fait normal que les crédits agricoles européens soient supérieurs aux crédits de recherche ! Les Britanniques, encore moins que les autres, si prompts à dénoncer l'argent de la PAC, n'ont aucune intention de communautariser la recherche !
« PAC contre recherche » est une (im)posture de négociation pour couler une politique qui reste à ce jour la seule authentiquement communautaire. Une vraie politique communautaire implique de tels abandons de souveraineté qu'il n'y en aura pas d'autre. Aucun de ces enjeux n'a été détecté lors du processus de décision qui a produit ces changements.
La PAC est bien sûr « une boîte à outils », comme le répète le ministre français de l'Agriculture. Mais on cherchera vainement un but, une vision. Même le concept de sécurité alimentaire pourtant « première priorité » du président de la République, n'a pas été mentionné...
Le bilan de santé se conclut par un replâtrage d'une politique sabordée par ceux-là même qui l'ont cassée. La PAC n'a plus de cap. Elle est abandonnée en rase campagne. Jusqu'à l'issue finale, lorsque la nouvelle grande négociation budgétaire des années 2014-2020 lui donnera le coup fatal.
La réponse du ministre de l’agriculture et de la pêche, Michel Barnier, est venue le 12 janvier, dans le même quotidien (voir La PAC a un cap).
Ouest-France, dans son édition du 23 janvier, propose au professeur Brehon de s’expliquer (voir ouest-france.fr - Le site internet du journal Ouest France, La ...).
Cet article est le 112ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.