Le plan Geithner, favorable aux actionnaires et aux banquiers
La haute finance américaine est démocrate. Elle est satisfaite. Le plan Geithner, mis au point par le ministre des finances des USA, consiste à débarrasser les banques de leurs actifs pourris, laissant le soin aux contribuables de financer les pertes, selon la logique de la nationalisation des pertes et de la privatisation des profits.
Pourquoi le plan Geithner a-t-il été salué par une remontée spectaculaire de la Bourse à Wall Street ?
Jean-Michel Quatrepoint : Les marchés saluent le cadeau que Barack Obama vient de faire aux actionnaires et aux banquiers. Mais il faut revenir un peu en arrière pour le comprendre.
La déroute des banques offrait deux solutions aux pouvoirs publics :
- laisser les banques aller à la faillite ; ce fut le choix, un peu naïf, d’Henry Paulson pendant un court instant : en bon libéral, il pensait que puisque Lehman Brothers avait failli, elle devait disparaître du paysage ;
- nationaliser les banques.
La haute finance américaine a été bouleversée par la faillite de Lehman Brothers. Dès lors, son discours implicite est devenu : sauvez-nous avec l’argent des contribuables ! Et SVP, débarrassez-nous des actifs pourris dont nous nous sommes gavés !
Du coup, le choix qui s’est offert à Obama a un peu évolué : il pouvait, soit nationaliser les grandes banques en difficulté, soit choisir de créer une « bad bank », qui consiste à débarrasser les établissements financiers de leurs actifs pourris.
Dans le premier cas, ce sont les actionnaires qui sont maltraités et les contribuables, ainsi que les créanciers, qui sont préservés. Dans le cas de la bad bank, c’est l’inverse : les contribuables sont spoliés et les actionnaires préservés.
C’est évidemment cette dernière option qui avait les faveurs de Wall Street. Notons que, chaque fois que progressait l’option bad bank, le Dow Jones montait et, qu’à l’inverse, il baissait dès que l’on évoquait l’hypothèse des nationalisations.
Notons aussi que cette dernière option avait ses partisans dans les deux camps, démocrates – Paul Krugman et Joseph Stieglitz étaient contre la bad bank – et républicains. Car beaucoup de libéraux considèrent que les contribuables n’ont pas à payer pour les actionnaires.
C’est donc l’option de Wall Street qu’a choisie le Président américain.
JMQ : Oui. Quand on analyse le plan Geithner dans le détail, on s’aperçoit que la mécanique mise en place favorise grandement le lobby financier neworkais. Pourquoi ? Le plan met en place des enchères pour céder les créances douteuses. L’idée est de favoriser une évaluation à la hausse de ces actifs.
Sauf que le dispositif est léonin pour le contribuable : comme l’Etat fédéral garantit à 85% les emprunts consentis pour acheter ces actifs douteux, le risque pris par les acteurs privés est quasi-nul.
Ce qui fait qu’on en arrive à un nouvel épisode actualisant le fameux adage de la nationalisation des pertes et de la privatisation des profits : en cas de remontée des actifs douteux, l’Etat fédéral devra partager les profits avec les investisseurs privés, tandis que dans le cas inverse il assumera la totalité des pertes. Et voilà comment l’Etat, finalement, c’est-à-dire le contribuable, financera les orgies financières des années 2000 !
C’est une déception par rapport à l’image d’Obama comme pourfendeur du capitalisme financier ?
JMQ : Le Président américain n’était pas préparé à affronter la crise. Du coup, il a appelé auprès de lui des personnalités comme Larry Summers ou Tim Geithner qui sont avant tout des hommes de la finance, même s’ils sont, par ailleurs, des démocrates.
En réalité, Barack Obama est confronté à quatre puissants lobbys qui s’opposent à tout changement dans la société américaine :
- le lobby militaro-industriel, qu’il ne peut pas bousculer compte tenu des impératifs de défense du pays ;
- le lobby pharmaceutique qu’il doit affronter s’il veut imposer une réforme efficace de la sécurité sociale ;
- le lobby de l’automobile et du pétrole, totalement immobiliste ;
- et le lobby financier, qui a toujours été proche des démocrates.
Il faut bien reconnaître que le plan Geithner semble marquer sa défaite en rase campagne devant le lobby financier.
* Jean-Michel Quatrepoint, journaliste, est l’auteur d’un livre que je conseille vivement : « La crise globale. On achève bien les classes moyennes et on n’en finit pas d’enrichir les élites » (2008, Editions Mille et une nuits). Voici un extrait de la page de garde.
La crise « est la conséquence des dérives d’un processus entamé, voilà près de trente ans, lorsque le capitalisme anglo-saxon a décidé de revenir aux sources du libéralisme et de s’imposer aux quatre coins du monde. Dans les années quatre-vingt-dix, l’alliance sino-américaine, Internet et la financiarisation de l’économie, ont fait croire au triomphe définitif de la mondialisation. Trop rapide, trop forte, trop brutale, elle a débouché, après le 11 septembre 2001, sur une sorte de spirale infernale, une fuite en avant des pays occidentaux dans une économie de la dette. Les Anglo-Saxons ont joué les apprentis sorciers ».
Voir aussi l’Intervention de Jean-Michel Quatrepoint lors de la table ronde sur la mondialisation régulée, organisée le 28 novembre 2005 par la Fondation Res Publica, présidée par Jean-Pierre Chevènement.
Cet article est le 7ème paru sur ce blog dans la catégorie Amérique du Nord. Il aurait pu être classé dans la catégorie Capitalisme (voir USA : l'effondrement du dollar aurait de graves conséquences en Europe 21 mars 2009).