Sortir des principes dogmatiques de Pascal Lamy
L’intervention, le 25 juin, du sénateur du Territoire de Belfort, telle qu’elle est rapportée sur son blog, est un régal, car elle est, à la fois, politique et technique, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, convenons-en, sur un sujet aussi difficile que les négociations commerciales de l’OMC (poursuite du cycle de Doha de l’Organisation Mondiale du Commerce).
Le Sénat a organisé un débat sur le volet agricole des négociations OMC, afin de contribuer à l’élaboration de la position française. Le président du Mouvement Républicain et Citoyen s’adresse directement à la représentante du gouvernement, Anne-Marie Idrac, secrétaire d’Etat chargée du commerce extérieur.
Le texte entier est à lire sur le blog de Jean-Pierre Chevènement : Mieux vaut une absence d’accord qu’une négociation bâclée.
Je vais en faire un résumé, avant de reprendre dans son intégralité la conclusion.
Le cycle de Doha n’a pu aboutir en 2008, en raison de l’opposition de l’Inde, qui a tenu à sauvegarder les intérêts de ses 700 millions de petits producteurs agricoles. Ensuite, ce sont les USA qui ont demandé, fin 2008, un délai de réflexion après l’élection de leur nouveau président, Barack Obama.
Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, refuse de voir que ses propositions de libéralisation du commerce vont à l’encontre de ce qu’il faudrait faire, c’est-à-dire de la régulation. Il insiste pour que le cycle de Doha aille à son terme, continuant de faire preuve du libéralisme le plus dogmatique.
L’agriculture a des caractéristiques propres qui nécessitent un traitement particulier de ses producteurs, dont les produits sont essentiels à l’alimentation humaine.
Si le processus libéral initié par l’OMC devait se poursuivre, on irait tout droit vers le démantèlement de la Politique Agricole Commune (PAC). Déjà, il y a six mois, au moment de faire « le bilan de santé de la PAC », l’augmentation des quotas laitiers (en vue de leur suppression en 2014) était une décision regrettable.
Certes, l’évolution de la PAC, en raison de ses réformes libérales, est critiquable. Il faut rompre avec la pensée libérale dogmatique, rechercher la sécurité alimentaire, vérifier la nécessité des importations, comme le font les grands pays asiatiques. La seule référence aux avantages comparatifs, comme le fait l’OMC, est inacceptable.
Le sénateur Chevènement propose de revenir à des notions simples :
1- rechercher l’autosuffisance agricole à l’échelle des grandes régions du globe, le commerce agricole étant secondaire.
2- soutenir les revenus et orienter les productions par les marchés et par les prix, rompre avec le système des aides directes.
3- viser l’objectif de régulation, en faisant en sorte de ne pas trop s’éloigner des prix internationaux sur le long terme, et en tenant compte de multiples paramètres régionaux.
4- associer les producteurs aux mécanismes de régulation.
En bref, l’objectif est de trouver un bon équilibre entre le système interne à l’Europe et les relations avec les pays tiers, notamment africains.
JP Chevènement avance le concept d’une PAC renouvelée et viable, recherchant une certaine autosuffisance alimentaire, ne dépendant qu’à la marge des marchés et des prix mondiaux, afin d’éviter les trop grandes variations de prix et de revenus.
Il s’agit d’organiser les relations commerciales dans le cadre de grands espaces agricoles, ce qui permettra de maintenir les paysanneries, en Europe et ailleurs.
Cette orientation doit commander l’attitude de la France et de l’Union européenne à l’OMC. Les négociations ont été engagées sur des bases faussées dès le départ. Il faut les réorienter.
Rappel du projet de l’OMC concernant l’agriculture (juillet 2008), comprenant trois points :
1. réduction globale du soutien interne censé avoir des effets de distorsion sur les échanges ;
2. réduction des tarifs empêchant le libre accès aux marchés ;
3. suppression des aides à l’exportation.
Détail des 3 points en négociation :
1- réduction de la mesure globale de soutien censée fausser les échanges (-80% pour l’UE sur 5 ans),
2- réduction des tarifs, frappant plus fort l’UE, ramenant la protection tarifaire de l’agriculture européenne à presque rien, ce qui revient à désarmer l’UE pendant qu’un pays comme le Brésil, bénéficiant des avantages comparatifs, serait favorisé.
3- réduction de moitié, puis suppression, des aides à l’exportation. Ce point est plus acceptable. Les aides au stockage sont préférables pour adapter l’offre aux besoins de consommation.
Conclusion (reprise du texte dans son intégralité)
D’une manière générale, il faut opposer au libre-échangisme doctrinaire le principe d’une concurrence équitable dans les échanges internationaux. Nous voyons les produits industriels fabriqués dans les pays à bas coût envahir nos marchés à des prix de dumping, qu’il s’agisse de dumping social, monétaire ou environnemental. La France et l’Europe seraient bien inspirées de ne pas poursuivre dans le domaine agricole le désarmement unilatéral auquel elles ont procédé en matière industrielle.
De lourdes menaces pèsent sur l’avenir de l’agriculture française à l’OMC et au niveau européen dans le cadre de la révision de la PAC après 2013 dont on peut craindre le démantèlement, si la négociation de Doha aboutit à une diminution drastique de la protection douanière et des subventions agricoles.
Or nous savons très bien que d’autres intérêts sont en jeu, notamment dans les services, et que le gouvernement peut très bien être tenté de faire prévaloir l’intérêt de quelques multinationales sur celui des agriculteurs. Ces multinationales ne sont, bien souvent, françaises que de nom. Leur logique de développement, essentiellement financière, est très éloignée des intérêts de l’économie française.
Nous demandons à être rassurés quant à votre détermination pour éviter que la Commission européenne ne soit tentée, encore une fois, de brader les intérêts de l’agriculture. Ce n’est pas le protectionnisme qui a créé la crise économique actuelle. C’est la liberté absolue laissée aux capitaux de spéculer et aux multinationales de se déplacer, et dans une économie totalement ouverte, qui nous désarme face à la concurrence sauvage du dollar ou des pays à très bas coûts salariaux.
Je souhaite que la France défende ses intérêts qui sont aussi ceux de l’Europe. Celle-ci doit assumer pour l’essentiel son autosuffisance alimentaire. Elle doit veiller à l’équilibre de sa société où il n’est pas nécessaire que l’exode rural vienne gonfler le nombre des chômeurs. Elle doit veiller à la protection de ses paysages et à la qualité de son alimentation.
Bien entendu il convient de traiter à part les pays les moins avancés dont le destin est lié au nôtre – je pense à l’Afrique et aux Caraïbes. Ces pays ont besoin de pouvoir accéder à notre marché pour leurs productions qui généralement ne concurrencent guère les nôtres, pour des raisons climatiques. Ces pays en voie de développement ne sont pas ceux du groupe de Cairns. Ceux-ci ne sont plus depuis longtemps des pays en voie de développement.
La crise alimentaire de 2006-2008 a montré que l’équilibre alimentaire du monde était loin d’être assuré dans le long terme. La situation de l’Afrique est à cet égard particulièrement préoccupante. L’Europe, en raison de son histoire mais aussi de sa proximité géographique, a le devoir de s’en préoccuper si l’on veut éviter de grands mouvements migratoires. On ne peut confier cette mission aux seules lois du marché.
L’Afrique est le prolongement naturel de l’Europe. Notre continent a le droit de se protéger vis-à-vis des grands pays neufs qui n’ont pas les mêmes contraintes. L’Europe peut pourvoir pour l’essentiel à ses besoins alimentaires. Cet objectif d’une relative autosuffisance alimentaire ne nous coupera pas du marché mondial, mais le remettra à sa place qui ne saurait être la première. Car d’autres considérations économiques, sociales, sanitaires, environnementales, doivent primer.
C’est pourquoi nous attendons, Madame la Ministre, que la France utilise, le cas échéant, son droit de veto à l’OMC pour faire obstacle à la conclusion d’une négociation qui empêcherait une réorientation efficace de la politique agricole commune.
Mieux vaut une absence d’accord qu’une négociation bâclée, car l’avenir de l’agriculture française et européenne est incompatible avec l’acceptation du cadre libéral mondialisé.
L’OMC mériterait mieux son nom si les marchés étaient véritablement organisés. C’est l’organisation qui manque. Dans le sigle de l’OMC, le « O » aujourd’hui n’a pas sa place.
Nous ne voulons pas que notre agriculture disparaisse comme ont déjà disparu des pans entiers de notre industrie. Nous voulons une Europe qui protège et non une Europe ouverte et offerte, simple relais du libéralisme mondialisé.
Cet article est le 7ème paru sur ce blog dans la catégorie Chevènement sénateur.