Je vais vous apporter un éclairage sur la Politique Commune Agricole (PAC), dont il a été beaucoup question lors du Conseil européen il y a 8 jours à Bruxelles et ce n’est pas fini. Deux agriculteurs sur trois ont voté non le 29 mai. Ils se sont « tiré une balle dans le pied »… C’est l’expression employée par Chirac au Salon de l’Agriculture en s’adressant à ceux qui voulaient voter non. Comment voter non quand on dépend des aides publiques européennes en moyenne pour 30 % de son revenu (et, en fait, 50 à 100 % du revenu pour la moitié des paysans français) ?… Et pourtant, ils l’ont fait ! Les paysans… l’Europe, ils connaissent ! S’ils ont dit non, c’est qu’ils désapprouvent la PAC telle qu’elle est devenue, telle qu’elle leur est imposée depuis quelques années. Et surtout, cette réforme imposée à la France en 2003, directement inspirée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), préparée par la Commission européenne et décidée par les 15 ministres de l’agriculture, ils n’en veulent pas ! Pourtant, elle va entrer en application début 2006. Dans le document que j’ai rédigé sur la PAC, je pose la question : « 2003 : la réforme qui tue ? » tant cette réforme risque de tuer la PAC elle-même, en confiant aux marchés la régulation du système, ce qui l’éloigne toujours plus de ses principes fondateurs. C’est un abandon politique que le monde paysan n’a pas digéré. D’autant plus qu’en découplant les aides publiques de l’acte de production, c’est la dignité du producteur agricole qui a été touchée. Depuis 1962, la PAC est la seule vraie politique commune européenne. C’est pourquoi elle compte autant dans le budget, actuellement entre 42 et 43 % (33 % en 2013). Mais il faut replacer ces chiffres dans leur contexte. Le budget de l’Union européenne, c’est 1 % des PIB des 25 pays membres. Dans ce budget, l’agriculture et le développement rural prennent environ 45 milliards €, dont 23 % pour la France, ce qui correspond à peu près à sa part (21 %) dans la production agricole des 25 pays. Mais ces 45 milliards ne font que 1 % de l’ensemble des budgets (nationaux + UE) ! Car ce qu’il faut expliquer à Blair, c’est que les budgets nationaux ne subventionnent l’agriculture qu’à hauteur de 15 %, le reste (85 %) étant financé par l’UE. La recherche, c’est l’inverse : dans ce cas, comme pour toutes les autres politiques, ce sont les Etats membres qui financent l’essentiel. Au total, la recherche en Europe reçoit près du double de l’agriculture (Etats + UE). Que Blair soit de mauvaise foi, c’est évident ! Que Blair soit intelligent, c’est aussi évident ! Il a jugé le moment favorable pour remettre en cause le leadership franco-allemand, et notamment français, sur l’Europe. Il a jaugé le rapport des forces en présence : Le Parlement européen est largement en phase avec ses idées. On l’a constaté jeudi : les parlementaires à Strasbourg ont été séduits par son discours, Cohn-Bendit en tête. La Commission européenne lui est acquise dans sa grande majorité, le président en tête. Et il dispose de la sympathie réelle de la majorité des chefs d’Etats et de gouvernements, les dix nouveaux en tête. La France et l’Allemagne sont affaiblies pour des raisons économiques et sociales d’abord, et en conséquence pour des raisons électorales et politiques. Chirac est arc-bouté sur la défense de son modèle social et de son agriculture : Son modèle social n’est pas reluisant, avec 10 % de chômeurs. Ses agriculteurs sont en déprime, accusés à la fois d’être les principaux bénéficiaires de la PAC et d’avoir trahi en votant non le 29 mai. Certes, Chirac n’est pas le meilleur combattant mais son combat est un bon combat, pour la France et pour l’Europe, pour le modèle social et pour l’agriculture. Blair a choisi ce moment, juste avant la présidence britannique, en pensant obtenir du renfort à l’occasion des prochaines élections allemandes et françaises. Qui peut empêcher Blair de gagner ? Il n’y a que la France et les français, avec l’aide d’autres européens. Le combat est à mener sur le terrain économique et social (relance économique de la zone euro) d’une part et sur le terrain de l’agriculture (PAC) d’autre part. Nous devons être capables de faire des propositions concrètes et stratégiques. Il nous faut convaincre la gauche de se concentrer, de se recentrer et se réorganiser sur la base d’un projet qui intègre ces propositions. Sur la PAC, nous avons une bonne carte à jouer. Nous pouvons avoir le soutien des paysans de base, mais aussi de leurs syndicats, sur le thème du retour aux fondamentaux de la PAC : Préférence communautaire, prix rémunérateurs, agriculture paysanne, développement durable, sécurité alimentaire, souveraineté alimentaire sans dumping vis-à-vis des autres pays. C’est sur ces bases que nous trouverons de larges appuis. Il faut réinventer la PAC comme il faut réinventer l’Europe. Je propose qu’un groupe de réflexion travaille sur le projet agricole et alimentaire de cette nouvelle PAC, à partir du document que j’ai rédigé en février dernier. Je lance un appel aux fédérations pour trouver des volontaires, militants ou sympathisants. Deux points, pour terminer. L’un pour la petite histoire, l’autre plus fondamental. Le premier concerne les Anglais, qui veulent nous faire la leçon. Ce sont eux qui, par leur laxisme, ont été à l’origine des principales crises sanitaires de ces dernières années : la « vache folle » et la fièvre aphteuse, venues de Grande-Bretagne. Elles ont coûté cher aux budgets européens et nationaux. Et ce sont les mêmes qui, depuis leur entrée en 1973 dans la CEE, n’ont cessé de mettre en cause la PAC par tous les moyens. Les mêmes qui oublient de dire tout ce que la PAC leur a apporté, notamment pour leurs exportations de céréales. Le second point porte sur l’OMC. Réorienter l’Europe et la PAC passe par un changement de politique de l’OMC. Je l’ai dit : ces dernières années, l’inspiration de la réforme de la PAC est venue de l’OMC et du Commissaire européen au commerce, le néo-libéral « socialiste » Pascal Lamy, qui va prendre la direction de l’OMC. Avec Blair, nous avons là notre plus redoutable adversaire. Le combat se jouera aussi et surtout à ce niveau.