Les Iraniens veulent une société ouverte sur le monde
Ce qui se passe en Iran fait penser à l’Europe de l’est avant la chute du mur de Berlin. La jeunesse et la société aspirent à s’ouvrir sur le monde. Le pouvoir est divisé entre ceux qui veulent réformer le régime mis en place en 1979 et ceux qui veulent, par tous les moyens, empêcher la démocratisation du régime.
Avant 1989, en Europe de l’est, les régimes politiques avaient été imposés par le parti communiste de l’URSS. On pourra, peut-être, dire : avant 2009, le régime iranien avait été imposé par le guide suprême de la révolution islamique.
Dans les deux cas, les peuples, très éduqués, ont envie de vivre dans des démocraties à l’occidentale. De nombreux dirigeants sont persuadés que le régime en place n’est plus crédible.
Les conditions sont réunies en Iran pour un écroulement de la faction au pouvoir qui refuse un avenir démocratique et, à cette fin, n’a pas hésité à procéder à des manipulations électorales de haute volée (voir, sur ce blog, Iran : le fondamentalisme du régime, incompatible avec la démocratie - 18 juin 2009).
Et, maintenant, ce pouvoir utilise répression et procès contre les manifestants (voir, ce 8 août, sur le site du quotidien Le Monde Iran : Clotilde Reiss demande "pardon" à ses juges).
Le cas de cette universitaire française mérite le détour (voir Pourquoi le régime iranien a-t-il arrêté Clotilde Reiss ?, Le Monde, 9 juillet).
La fracture démocratique s’est introduite au sein de la classe dirigeante, religieuse et politique (le régime est, depuis 1979, une combinaison des deux).
Le guide suprême religieux, Ali Khamenei, qui coiffe le pouvoir politique du président Mahmoud Ahmadinejad, est, lui-même, remis en cause par les religieux les plus influents.
La Révolution de 1979 était religieuse et démocratique. Le pouvoir en place est menacé, car il a rompu avec la démocratie et ne répond plus aux attentes des religieux. C’est pourquoi tout est possible dans les mois qui viennent dans ce pays pas comme les autres.
Sur le site du Monde, le 5 août :
Chronologie : trois mois de contestation en Iran
Mahmoud Ahmadinejad a prêté serment devant le Parlement
Ahmadinejad, un président au pouvoir limité (Hélène Bekmezian)
Depuis le 12 juin, le mouvement de protestation ne faiblit pas en Iran. La rue, emmenée par le leader de l'opposition, Mir Hossein Moussavi, réclame l'annulation du scrutin qui a de nouveau porté Mahmoud Ahmadinejad à la présidence.
Pourtant, après avoir été confirmé dans ses fonctions lundi par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, M. Ahmadinejad a prêté serment, mercredi 5 août au matin, pour un nouveau mandat de quatre ans. De son côté, M. Moussavi a promis que l'opposition ne faiblirait pas pour autant. Dans quel sens se dirige désormais cette crise iranienne et y a-t-il un espoir qu'elle se résolve ? La chercheuse Fariba Adelkhah, spécialiste de l'Iran et de l'Asie mineure au Centre d'études et de recherches internationales, apporte son éclairage.
Le Parlement. "L'Iran est une République, le Parlement a un véritable pouvoir d'opposition qu'il peut utiliser et qu'il a déjà utilisé dans le passé", explique Mme Adelkhah. M. Ahmadinejad a encore devant lui deux semaines pour présenter les membres de son nouveau gouvernement aux députés pour obtenir un vote de confiance. 290 membres composent le Parlement, dont 80 issus de groupes minoritaires réformateurs et indépendants. "Le Parlement n'est pas acquis à M. Ahmadinejad. S'il n'accepte pas la composition du gouvernement que le président lui propose, il a le pouvoir de le destituer", précise Mme Adelkhah. Le Parlement avait été le premier à s'opposer à la nomination de Esfandiar Rahim Mashaie comme vice-président. Il a fini par démissionner, le 26 juillet.
Une crise constitutionnelle. Si l'ayatollah Khamenei, guide de la révolution, a confirmé l'élection de Mahmoud Ahmadinejad, ce n'est pas parce que les deux hommes sont particulièrement proches, explique Fariba Adelkhah. L'ayatollah Khamenei a surtout joué son rôle de gardien de la République, en faisant valoir les lois. "Remettre en cause le résultat de l'élection équivaudrait à reconnaître que le système est en panne, qu'aucune autre élection ne pourra plus jamais être organisée sans être contestée, à moins d'une réforme profonde de la Constitution". De plus, "la République tient sur un équilibre qui est le tandem Ali Khamenei-Hachemi Rafsandjani [président du Conseil de discernement d'Iran, un organe très puissant]. Or, cet équilibre n'est plus. Rafsandjani n'a pas assisté à la prestation de serment d'Ahmadinejad et s'est clairement opposé à l'ayatollah Khamenei. Il y a véritablement une crise, qui, je pense, ne peut que s'installer", estime Mme Adelkhah.
Une crise particulière et paradoxale. Mais pourtant, et c'est là l'originalité de cette crise, à aucun moment le régime du pays n'a été remis en question. "Jusqu'à présent, la République a toujours bien résisté aux crises qu'a traversées le pays. Mais, dans ce cas, les choses se compliquent car les protestataires n'ont rien contre la République. Au contraire, ceux qui protestent [Moussavi, Mohsen Rezaï, Mehdi Karoubi] sont des ténors de la République, ce sont ceux qui ont contribué à son évolution depuis le premier jour, ceux qui ont installé le système et qui veulent maintenant le réformer."
Mahmoud Ahmadinejad et ceux de son camp sont, eux, issus de la nouvelle génération. Ce sont des "self-made men" et des experts politiques pragmatiques, qui n'appartiennent pas à des clans politiques comme peuvent l'être les jeunes énarques en France. "C'est d'ailleurs là tout le paradoxe de cette crise, reprend Mme Adelkhah. La jeunesse iranienne soutient les anciens ténors, en place depuis des dizaines d'années, alors que le guide de la révolution soutient, lui, les acteurs du renouvellement de la classe politique". Ce qui tendrait à montrer que le peuple ne milite pas tant pour un projet politique que pour un changement de forme, pour obtenir une plus grande aura sur la scène internationale, avec une orientation plus occidentale.
Un président impuissant. "Ahmadinejad a épuisé son crédit parlementaire, au terme d'un mandat qui n'a pas été un franc succès", rappelle Fariba Adelkhah. Il vient aussi, avec cette crise, de perdre son crédit populaire et beaucoup de soutiens chez les conservateurs qui, notamment, n'ont pas approuvé la nomination de Rahim Mashaie comme vice-président. "C'est clairement une victoire à la Pyrrhus. Même s'il reste président, Ahmadinejad sera un élu auquel on ne laissera pas le pouvoir", conclut-elle.
Cet article est le 18ème paru sur ce blog dans la catégorie Proche Moyen Orient.