Pleins feux sur les 27 ministres de l’agriculture
Le mouvement revendicatif des producteurs de lait a été suspendu jusqu’au 5 octobre, date de la réunion convoquée en urgence à Bruxelles pour permettre aux ministres de l’agriculture des 27 pays membres de l’Union européenne de prendre des décisions face à la crise laitière. Voir sur ce blog les articles concernant ce mouvement, dont le plus récent : Suspension de la grève du lait : Pascal Massol (APLI) a réussi son pari - 26 septembre 2009.
Les ministres de l’agriculture sont attendus sur deux points :
- Les prix à la ferme doivent remonter dans les meilleurs délais,
- Il faut mettre de la régulation dans le système, afin d’éviter de trop grandes variations de prix.
Voici le texte que j’ai proposé, la semaine dernière, à mes camarades du secrétariat national du Mouvement Républicain et Citoyen (l’amendement de Josette Robert a été intégré).
Je remercie, par avance, celles et ceux qui, au sein du MRC ou au-delà, me transmettront leurs observations sur ce texte (sorinmichel@wanadoo.fr).
Des orientations nouvelles pour l’agriculture
Les situations de crise se multiplient dans les productions agricoles. Les prix s’effondrent. Selon l’INSEE, en juillet 2009, l’indice général des prix des produits agricoles a baissé de 15,6% en un an. C’est une moyenne qui cache de grandes différences, liées à la volatilité des cours. Pour le lait, la baisse est de 24,4%. Pour les fruits (-34%) et les légumes (-19%), ce n’est pas mieux et, pour les porcs (-8%), c’était déjà mauvais il y a un an. Les prix des céréales sont en baisse, la production étant en augmentation cette année. Ce sont donc presque toutes les productions qui sont touchées par la baisse des prix. Même si les rendements compenseront, le revenu agricole 2009 sera probablement médiocre. Les aides publiques européennes, très diverses selon les productions et l’historique des exploitations, montreront leur justification.
L’union européenne a choisi de faire jouer la concurrence et d’aller vers la suppression des mesures de régulation des marchés.
- Les producteurs français de fruits et légumes sont en concurrence avec leurs collègues européens, dont les législations sociales du travail et leurs modalités d’application sont moins favorables aux salariés qu’en France.
- Les producteurs de porcs sont placés dans un environnement européen libéral qui laisse se développer des usines de fabrication de porcs à base de capitaux extérieurs à l’agriculture dans certains pays.
- La dérégulation est à l’œuvre aussi dans la filière laitière, qui bénéficie du système des quotas depuis 1984, mais les gouvernements ont décidé de les supprimer à partir de 2015 et, en attendant, d’accroître la production autorisée de 1% par an, au moment où la surproduction fait baisser les prix.
Les producteurs de lait ont été les premiers à réagir en organisant la grève des livraisons aux industriels laitiers, au niveau européen, afin d’obtenir des pouvoirs publics une réorientation de la politique agricole européenne conduisant à des prix suffisamment rémunérateurs (régulation souple de l’offre en fonction du marché). A plus long terme, l’objectif est de maintenir, durablement, une bonne couverture géographique de la production et de l’industrie laitières en Europe. Dans l’immédiat, ils ont obtenu la réunion du conseil des ministres de l’agriculture, à Bruxelles, le 5 octobre. La grève du lait est suspendue jusqu’à cette date.
La France, alliée à l’Allemagne, a réuni les conditions (20 pays, majorité qualifiée) pour que l’Union européenne renoue avec des mesures de régulation. C’est une première victoire des organisations qui ont initié et conduit ces actions revendicatives : APLI - Association des producteurs de lait indépendants - et OPL - Organisation des producteurs de lait - très actives au sein de l’EMB - European Milk Board. La Commission européenne est contrainte de se remettre en question. La Commissaire à l’agriculture, Mariann Fischer Boel, ultralibérale, a décidé de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat.
Ce mouvement novateur, initié par les producteurs de lait, reflète l’évolution en profondeur du monde agricole. Les agriculteurs sont des gestionnaires qui calculent leur prix de revient et s’informent directement par Internet. Ils constatent l’incapacité de leurs organisations professionnelles à peser sur les politiques agricoles au niveau européen. La défense de leurs intérêts professionnels les pousse à se prendre en mains et à unir leurs forces, au-delà des préférences syndicales.
La FNSEA, syndicat majoritaire, et sa branche laitière, la FNPL, sont lourdement remises en cause, car leurs dirigeants ont désapprouvé le mouvement, à la différence de la Coordination Rurale, très engagée au côté de l’OPL, et de la Confédération paysanne, les deux principaux syndicats minoritaires. A noter que la base de la FNSEA a, souvent, rejoint le mouvement ; ainsi, en Aquitaine, avec le slogan « colère noire pour une année blanche » (demande de prise en charge des charges sociales et financières).
Le déclic, c’est la colère, le refus de l’injustice de voir le travail mal rémunéré, le sentiment que la vie peut basculer en raison de l’incurie des responsables professionnels et politiques qui n’ont pas su organiser les filières agricoles de manière équitable et durable. Les agriculteurs sont épris de liberté et de responsabilité. Ils font un travail utile à la collectivité et voudraient être respectés à ce titre. Ils ont modernisé leurs équipements selon les normes européennes et sont prêts à faire davantage encore pour respecter l’environnement et produire propre. Mais il y a une condition : être rémunérés de leur travail, correctement et durablement.
Pour cela, une politique européenne est nécessaire, visant à la régulation de l’offre en fonction de la demande. Cette politique a été abandonnée pour laisser place à la dérégulation, conformément à la volonté de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui reste figée sur la théorie des avantages comparatifs. Son directeur général, Pascal Lamy, fait preuve du libéralisme le plus dogmatique, en voulant obstinément mener le cycle de Doha (libéralisation du commerce) à son terme, objectif que le G20 a repris à son compte à Pittsburgh.
Or, l’agriculture a des caractéristiques propres qui nécessitent un traitement particulier de ses producteurs, dont les produits sont essentiels à l’alimentation humaine.
Si le processus libéral initié par l’OMC devait se poursuivre et si les décisions prises en novembre 2008, à l’occasion du « bilan de santé de la PAC », étaient confirmées, on irait tout droit vers le démantèlement de la Politique Agricole Commune (PAC), ce qui est inacceptable. Il faut une réorientation de la PAC en lui fixant un objectif prioritaire : la sécurité alimentaire, ce qui implique de vérifier la nécessité des importations, comme le font les grands pays asiatiques.
Comme l’a proposé Jean-Pierre Chevènement lors du débat organisé, à sa demande, le 25 juin 2009 au Sénat, il faut revenir à des notions simples :
1- rechercher l’autosuffisance agricole à l’échelle des grandes régions du globe, le commerce agricole étant secondaire.
2- soutenir les revenus et orienter les productions par les marchés et par les prix, rompre avec le système des aides directes.
3- viser l’objectif de régulation, en faisant en sorte de ne pas trop s’éloigner des prix internationaux sur le long terme, et en tenant compte de multiples paramètres régionaux.
4- associer les producteurs aux mécanismes de régulation.
En bref, l’objectif est de trouver un bon équilibre entre le système interne à l’Europe et les relations avec les pays tiers, notamment africains. Les aides au stockage sont préférables pour adapter l’offre aux besoins de consommation. Les aides à l’exportation devront être diminuées, puis supprimées.
Il faut mettre en avant le concept d’une PAC renouvelée et viable, recherchant une certaine autosuffisance alimentaire, ne dépendant qu’à la marge des marchés et des prix mondiaux, afin d’éviter les trop grandes variations de prix et de revenus. Il s’agit d’organiser les relations commerciales dans le cadre de grands espaces agricoles, ce qui permettra de maintenir les paysanneries, en Europe et ailleurs.
La crise alimentaire de 2006-2008 a montré que l’équilibre alimentaire du monde était loin d’être assuré dans le long terme. La situation de l’Afrique est à cet égard particulièrement préoccupante. L’Europe, en raison de son histoire mais aussi de sa proximité géographique, a le devoir de s’en préoccuper si l’on veut éviter de grands mouvements migratoires. On ne peut confier cette mission aux seules lois du marché. L’Afrique est le prolongement naturel de l’Europe.
Notre continent a le droit de se protéger vis-à-vis des grands pays neufs qui n’ont pas les mêmes contraintes. L’Europe peut pourvoir pour l’essentiel à ses besoins alimentaires. Cet objectif d’une relative autosuffisance alimentaire ne nous coupera pas du marché mondial, mais le remettra à sa place qui ne saurait être la première. Car d’autres considérations économiques, sociales, sanitaires, environnementales, doivent primer.
D’une manière générale, il faut opposer au libre-échangisme doctrinaire le principe d’une concurrence équitable dans les échanges internationaux. Nous voyons les produits industriels fabriqués dans les pays à bas coût envahir nos marchés à des prix de dumping, qu’il s’agisse de dumping social, monétaire ou environnemental. La France et l’Europe seraient bien inspirées de ne pas poursuivre dans le domaine agricole le désarmement unilatéral auquel elles ont procédé en matière industrielle.
Nous ne voulons pas que notre agriculture disparaisse comme ont déjà disparu des pans entiers de notre industrie. Nous voulons une Europe qui protège et non une Europe ouverte et offerte, simple relais du libéralisme mondialisé.
Cet article est le 135ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.