La PAC et l’alimentation, un lien à créer
Lucien Bourgeois est responsable des études économiques et de la prospective à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA) www.apca.chambagri.fr . A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de me référer à ses écrits et exposés très nombreux (voir sur ce blog les articles mis en ligne les 23 novembre et 26 décembre 2006, ainsi que le 22 janvier 2007).
Il vient de m’adresser des documents qu’il a présentés aux séances du 10 janvier et du 14 février 2007 de l’Académie d’Agriculture de France, dont il est membre. Les premiers concernent le revenu agricole 2006. J’y reviendrai. Dans l’immédiat, je propose de reprendre son intervention en conclusion de la séance du 14 février sur le thème de « l’économie de l’alimentation dans les pays industrialisés ».
Le sigle PAC devrait signifier « Politique alimentaire commune » « Merci à nos trois intervenants de leur apport très intéressant sur un sujet rarement abordé, l’économie de l’alimentation. L’idée de cette séance m’était venue en assistant avec notre collègue Raymond FEVRIER à un colloque sur ce thème de l’Institut Français de la Nutrition fin 2005 organisé principalement par Pierre COMBRIS. Le colloque de l’IFN permettait de montrer que l’alimentation restait au cœur des préoccupations de la société. C’est elle qui donne encore aujourd’hui sa légitimité aux politiques agricoles. Pierre COMBRIS nous a expliqué que notre régime alimentaire avait beaucoup évolué au cours du temps. Il a montré aussi que cette évolution avait été conditionnée par le prix des produits et en particulier le prix relatif. France CAILLAVET nous a montré les profondes inégalités au sein même de nos pays industrialisés. Ce sont en effet les catégories les plus défavorisées qui paient le plus lourd tribut à l’obésité croissante dans nos sociétés. Le journal Libération titrait à propos d’un colloque qui vient de se tenir à Créteil sur ce thème « Mince comme un riche ». Louis - Georges SOLER nous a montré aussi que les politiques de santé vont prendre dans nos sociétés une place de plus en plus importante et qu’elles vont peser nécessairement sur les politiques d’alimentation et donc sur les politiques agricoles. Ces observations sont intéressantes car elles remettent l’alimentation au centre de nos préoccupations. Dans son souci de justifier les réformes de la PAC entreprises depuis 1992, la Commission européenne a accrédité l’idée que les conditionnalités environnementales sont devenues le principal objectif des aides versées aux agriculteurs. La beauté des paysages, la qualité des réserves d’eau potable, le bien-être animal, seraient devenus la principale préoccupation des politiques agricoles. Pour disposer d’une nourriture adaptée, il faut une politique agricole qui tienne compte des aspects sanitaires, nutritionnels et sociétaux, bref « durable ». Les problèmes alimentaires concernent le Nord et le Sud Après la séance organisée par Jean-Louis RASTOIN la semaine dernière, il y avait un risque évident, bien perçu par notre collègue Jean-Marc BOUSSARD, d’une certaine « schizophrénie » entre les préoccupations des pays du Nord qui mettent l’accent sur l’esthétique et aujourd’hui sur l’énergie pour éviter la surproduction et celles des pays du Sud qui en seraient toujours à une préoccupation « productiviste » pour éviter les famines. Les intervenants de ces deux séances ont, me semble t-il, réhabilité la conception alimentaire des politiques agricoles en montrant que c’était un enjeu pour l’humanité aussi bien dans les pays du Sud que du Nord. Michel Griffon nous a montré les nombreux enjeux pour l’avenir. Il faudra être capable de nourrir trois milliards d’habitants de plus d’ici 2050. Mais il faudrait aussi supprimer cette honte des 850 millions qui souffrent encore aujourd’hui de la faim et donner peut-être à une grande partie de la population la possibilité de disposer d’un peu de viande chaque semaine. Cet après midi, nous avons vu que le problème alimentaire n’était toujours pas bien résolu même dans les pays riches. Certes sur le plan des quantités fournies, les insuffisances sont rares mais en revanche les inégalités ont plutôt tendance à augmenter. Il y aurait 300 millions d’obèses et un milliard de personnes en surcharge pondérale dans le monde. L’obésité pose un problème de santé publique qui n’est pas simple à résoudre. Si l’on fait le bilan actuel, on a d’un coté près de trois milliards de personnes en état de manque et de l’autre un milliard de personnes en surpoids. Il n’y a donc qu’un tiers de l’humanité qui soit dans une situation satisfaisante. Pas de quoi pavoiser. Pas de quoi penser que le problème est résolu. Que pouvons nous conclure de ces observations ? 1 – Les produits agricoles ne sont pas des « matières premières » Dans la séance précédente, Jacques NEFUSSI a bien montré qu’il serait temps que l’on bannisse de notre vocabulaire le concept de « commodités » qui n’a de réel avantage que pour les acheteurs car cela leur permet d’acheter au prix le plus bas. Pour les agriculteurs, ce mot a pris le sens de calamité. Cela signifie qu’ils fabriquent des produits substituables les uns aux autres, autrement dit des produits pour lesquels ils n’ont aucun pouvoir sur le marché. Jacques NEFUSSI nous a montré qu’il y avait des stratégies pour éviter ces inconvénients et que cela passait par des techniques de différenciation bien connues dans les autres secteurs. 2 – Parler de politique alimentaire et non de politique agricole Ces deux séances devraient nous permettre de hiérarchiser les problèmes. Nos sociétés n’ont jamais eu besoin de faire des politiques « agricoles ». Il n’y a en effet aucune raison de prendre soin du revenu des agriculteurs plus que de celui des autres catégories sociales. Si l’on s’intéresse à la production agricole c’est pour son aspect alimentaire. Tous les gouvernements du monde s’intéressent à l’alimentation. Encore aujourd’hui, les hommes souhaitent manger trois fois par jour. S’ils se contentaient de corned beef et de Corn Flakes, ce serait aisément réalisable. Mais s’ils veulent de la fraîcheur et de la variété, c’est un peu plus compliqué. 3 – Le secteur alimentaire garde un poids important dans notre économie Depuis quelques années, on finissait par croire que les aides n’avaient d’autre utilité que d’accompagner la mort naturelle d’un secteur archaïque qui gardait certes un poids électoral mais pour peu de temps. Il était indispensable que la France devienne enfin un pays moderne capable de sacrifier ses secteurs en perte de vitesse pour se recentrer sur les hautes technologies. Pour faciliter les transitions vers une agriculture « gardienne de la nature » il fallait accorder ces aides en fonction de critères environnementaux. On pouvait avoir l’impression ainsi que cette politique n’avait qu’un aspect ludique et qu’on retrouvait ainsi une conception assez proche de celle qu’on prêtait à notre Reine de France, Marie-Antoinette dont le sort a été malheureux. Jean-Louis RASTOIN nous a montré toute l’importance de la chaîne alimentaire. Les IAA restent le premier secteur industriel de France et d’Europe. La Fédération des industries mécaniques a constaté avec surprise que les IAA étaient devenues leur premier client avant l’automobile. 4 – Plus d’obèses dans les pays qui veulent libéraliser le commerce mondial des produits agricoles Détail curieux, ce sont les pays les plus actifs dans les négociations de l’OMC qui détiennent les records mondiaux pour le pourcentage d’obésité. Ce sont les pays dits les plus protectionnistes, autrement dit pour reprendre le vocabulaire en cours, les plus « rétrogrades » comme le Japon et la Corée du Sud qui ont le moins de personnes obèses dans leur population. Peut-être ne s’agit-il pas des effets du seul hasard ! Peut-être que l’alimentation des hommes ne dépend pas que du prix et qu’elle est un élément de la culture, de la diversité et aussi un indice des formes de cohésion sociale. 5 – La PAC n’encourage pas les efforts nutritionnels On entend souvent dire à tort que la PAC comme toutes les politiques agricoles a eu pour résultat de maintenir des prix élevés des produits agricoles au détriment des consommateurs et en particulier des moins riches d’entre eux. Quand on observe les évolutions relatives des prix des produits agricoles sur les vingt dernières années, il est frappant de constater que ce sont plutôt les prix des produits fortement encadrés par la PAC comme les céréales, les oléagineux ou le sucre qui ont vu leurs prix baisser relativement plus que ceux des fruits et légumes ou des pommes de terre qui ont été peu soutenus. Ceci explique peut-être cela quand on dit que l’obésité frappe davantage les classes pauvres de la population. Cela devrait peut-être nous inciter à mettre en place une vraie politique d’encouragement à la consommation de fruits et légumes qui ont vu leurs prix relatifs augmenter. Si l’on regarde avec attention les mesures prises par nos concurrents américains, on constate que les 2/3 de leurs dépenses agricoles sont des aides à la consommation pour les plus pauvres (50 à 55 milliards de dollars chaque année). Dans le projet de Farm Bill en discussion actuellement, il est question de profiter des hauts prix des céréales pour accorder 5 milliards de dollars par an de plus aux producteurs de fruits et légumes pour favoriser la consommation. Il serait temps que la PAC prenne en compte les besoins nutritionnels de la population. La priorité n’était peut être pas de faire baisser le prix du sucre ! Ces deux séances devraient nous pousser à réhabiliter le concept de politique agricole. - Cela ne va pas être si simple de faire en sorte que le monde puisse nourrir le monde pour reprendre une expression chère à Edgard PISANI. - Cela ne va pas être évident d’assurer la meilleure santé à tous nos concitoyens en leur donnant la sécurité sanitaire dont ils ont besoin et la diversité des produits qui leur serait profitable. - Cela ne se fera pas par la baguette magique du marché car les réservoirs des automobiles des pays riches seront toujours plus solvables que les ventres affamés des pays pauvres ».