Le nouveau ministre de l’agriculture bien accueilli
Les organisations professionnelles agricoles sont satisfaites de la nomination de Stéphane Le Foll au ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Jacques Berthelot, économiste, auteur du livre « L’agriculture, talon d’Achille de la mondialisation » (voir Pour un modèle agricole dans les pays du Sud, par Jacques Berthelot), a fait le tour des atouts et des faiblesses du nouveau ministre, à partir de ses déclarations* et des réactions des organisations professionnelles.
* Parmi les déclarations, à noter celle-ci (site agriculture et environnement, 16 mai) : Stéphane Le Foll : « Les quatre enjeux de la proposition de Dacian Ciolos »
1) Les atouts : Stéphane Le Foll connaît bien la PAC, par son parcours et notamment les 8 ans passés à la Commission agricole du Parlement Européen (PE). L'accueil favorable unanime des différents syndicats agricoles en témoigne.
Il a défendu au Parlement Européen une réforme de la PAC plutôt positive pour le rééquilibrage des aides directes (AD) entre les Etats membres (EM) de l'UE27 et entre les agriculteurs, notamment en insistant sur la dégressivité en fonction des emplois, et pour une agriculture moins intensive en intrants. Il défend aussi le principe de la souveraineté alimentaire par grande région du monde et la nécessité de maintenir des outils de régulation suffisants, déplorant la fin des quotas laitiers, sucriers et des droits de plantation viticoles.
Toutefois ces positions de principe sont fortement affaiblies par les propositions concrètes de la Commission, acceptées largement par le Parti Socialiste Européen au PE. En particulier :
- le rééquilibrage des AD proposé par la Commission entre les AD des EM de l'UE15 et de l'UE12 est dérisoire : 671 M€ à partir de 2018, alors que l'égalisation des AD supposerait des AD supplémentaires de 3,784 Md€ dans l'UE12. En fait, en 2009, la différence des AD entre l'UE15 et l'UE12 a abouti à un dumping de 1,185 milliard d'€ (Md€) de l'UE15 vers l'UE12. En effet l'UE15 a exporté vers l'UE12 17,2 Md€ de produits alimentaires, soit 23,2% des 74,315 Md€ exportés au total, tandis que l'UE12 a exporté vers l'UE15 13,8 Md€, soit 70,7% des 19,5 Md€ exportés au total. Autrement dit le dumping interne annuel entre l'UE15 et l'UE12 est près du double du soi-disant rattrapage à venir si bien que, loin d'un rattrapage, les différences de compétitivité alimentaire entre l'UE15 et l'UE12 s'accentueront.
- le rééquilibrage au profit de l'UE15 est d'autant plus nécessaire que la Commission prévoit une accélération de la "restructuration" des exploitations, avec une perte d'actifs agricoles 2 fois plus rapide dans l'UE12 que dans l'UE15 d'ici 2020 : baisse de 32% des actifs (UTA) de la moyenne 2007-10 à 2020 contre de 18% dans l'UE15. Baisse d'autant plus absurde que le taux de chômage a augmenté de 71% de 2008 à 2011 dans l'UE12 contre de 48% dans l'UE15.
2) Les principales faiblesses de Stéphane Le Foll (SLF) sont relatives à sa conception des relations commerciales internationales et du dumping.
- Si SLF plaide pour le maintien d'une protection à l'importation de l'UE, il en limite la légitimité au fait que les contraintes sociales et environnementales (et de bien-être animal) sont supérieures dans l'UE à celle des autres pays. Cela implique a contrario que la protection ne serait pas justifiée sur les importations venant des pays qui ont globalement les mêmes contraintes, les pays occidentaux d'où sont venus 22% (15,5 Md€) de ses importations alimentaires en moyenne de 2001 à 2010, alors même que c'est sur ces pays que pèsent les droits de douane les plus élevés puisque la majeure partie des importations venant des PED se font à droits réduits ou nuls.
- Surtout, SLF partage la conception dominante très restrictive du dumping – notamment celle de la Commission européenne et des industries agroalimentaires (IAA) – qui ne serait lié qu'à l'existence de restitutions à l'exportation, qui ont presque disparu, et qu'il n'y pas lieu de tenir compte des aides directes internes même si elles profitent aussi aux produits exportés. D'autant que – c'est ce qu'il m'a dit lors de la rencontre du 9 février 2012 avec une délégation du Groupe PAC2013 –, puisque les DPU sont totalement découplés et dans la boîte verte de l'OMC, ils n'ont pas d'effet de distorsion des échanges!
- Ceci est très préoccupant puisque SLF est en charge du ministère de l'agriculture et de l'agroalimentaire, et ceci n'est pas anodin et est dû aux pressions de la FNSEA et en particulier de Xavier Beulin**, patron de la filière des oléo-protéagineux, dont on sait qu'ils ont plus le souci de faire prévaloir les intérêts des IAA que ceux des agriculteurs.
Le risque est donc que l'on continue à maintenir des AD les plus élevées possibles afin de compenser des prix agricoles les plus bas possibles pour le plus grand profit des IAA, lesquelles s'opposent aussi à la hausse des droits de douane pour être plus compétitives pour leurs produits transformés, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation. En mettant aussi en avant que c'est l'intérêt des consommateurs de maintenir des prix agricoles bas pour avoir des prix alimentaires bas, même si l'expérience a montré que cette répercussion ne se fait pas.
(La France Agricole, 11 mai). Extrait.
Dans un communiqué, envoyé peu de temps après l'annonce du gouvernement, la FNSEA félicite Stéphane Le Foll. « C'est un fin connaisseur de l'agriculture et de l'Europe qui fait son entrée au gouvernement », approuve le syndicat. Pour la FNSEA, un ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire conforté « constitue un signe positif, un signal stratégique ». « L'agriculture peut donner le meilleur d'elle-même pour l'emploi, l'environnement, la ruralité, la qualité de l'alimentation, l'innovation et les énergies renouvelables. L'agriculture doit montrer la voie en Europe pour un modèle qui fédère, qui rassemble et protège », continue le syndicat avant de recommander au nouveau ministre d'« emprunter un chemin pour une agriculture et des filières agroalimentaires alliées aux consommateurs et aux citoyens, conscients de l'utilité d'un avenir commun. »
Pour conclure, il faudra rester d'autant plus vigilant sur les positions déjà ambiguës de SLF sur les relations commerciales agricoles, notamment Nord-Sud, qu'il subira les fortes pressions du syndicat majoritaire pour faire prévaloir les intérêts des IAA avant même celles des exploitants et en n'ayant que faire de l'impact de leurs exportations sur les pays du Sud, ou même de l'UE12.
Or la survie des agriculteurs de l'UE27 est liée au marché intérieur qui a absorbé, de 2006 à 2008, 85% des produits agricoles non transformés destinés à l'alimentation tandis que les industries agroalimentaires y ont écoulé 75% de leurs produits transformés.
Si le Doha Round devait être conclu avec la baisse moyenne prévue de 54% des droits de douane, les IAA de l'UE n'y survivraient pas, a fortiori si un Accord de libre-échange était signé avec le Mercosur.
Rappel : Stéphane Le Foll (Sarthe), ministre de l'agriculture et de l'agroalimentaire - 18 mai 2012
Cet article est le 4ème paru sur ce blog dans la catégorie Hollande Ayrault gouv.