Des citoyens qui veulent croire en la justice de leur pays
Notre République est bien vivante tant que des citoyens, des députés, des juges, des journalistes, ne se laissent pas impressionner par les manœuvres du pouvoir politique, qui cherche à entraver une enquête de justice, comme c’est le cas de l’affaire de l’attentat de Karachi.
Voir Karachi : l'Etat savait mais ne voulait pas que l'enquête avance - 20 juin 2009
Attentat de Karachi : par ricochet, la justice aux trousses de Balladur - 26 avril 2010.
Ce sont des magistrats, tels que Marc Trévidic, le juge batailleur (Libération, 17 octobre 2009), magistrat du pôle antiterroriste, engagé et tenace, qui font honneur à la justice française.
(…) Dans leur malheur, les familles des victimes de l’attentat de Karachi ont eu la chance de croiser la route du juge Trévidic. «Il faut se méfier des clichés, l’indépendance c’est dans la tête», confiait-il en 2005 au quotidien les Echos. Il était alors membre du parquet, sous tutelle de la chancellerie. Devenu juge d’instruction, inamovible, l’homme concentre dans son bureau les dossiers les plus sensibles de la République (Karachi, les moines de Tibéhirine, le Rwanda…) et affirme le même attachement à une recherche opiniâtre de la vérité. Quitte à déplaire à l’exécutif.
Tous les magistrats du pôle antiterroriste ne se montrent pas aussi désintéressés. Au-delà du TGI de Paris, son indépendance s’expose depuis qu’il a été nommé à la présidence de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI), le 7 septembre. C’est lui qui s’exprime au nom de ses collègues pour se battre contre la fin programmée des juges d’instruction indépendants. À ce titre, il a pris part le 11 octobre à la manifestation des victimes de l’amiante. Elles protestaient contre le projet de suppression des magistrats instructeurs : sans eux, jamais les affaires d’empoisonnement à l’amiante n’auraient pu être instruites - les parquets ont longtemps classé sans suite leurs plaintes.
Né en 1965, Marc Trévidic s’est d’abord fait remarquer comme procureur sur les dossiers islamistes. Avant septembre 2001, il se distingue en mettant fin au réseau de l’algérien Fateh Kamel (condamné à huit ans de prison). Nommé juge d’instruction au pôle antiterrorisme, il ne néglige pas la dimension politico-financière des affaires criminelles.
Illustration avec une affaire DCN bis, où les juges d’instruction du pôle financier, Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, sont empêchés d’élargir leur enquête, strictement délimitée par le réquisitoire introductif d’un parquet aux ordres. Passage de témoin : ils saisissent des documents, les placent sous scellés, les transmettent à leur collègue Trévidic. Lequel, sous couvert d’antiterrorisme, plonge sans entraves dans la traque des flux offshore…
L’affaire de Karachi est la plus belle illustration du danger à remplacer le juge d’instruction indépendant par un parquetier aux ordres. Avec sa double casquette de praticien et porte-parole, Trévidic est désormais en première ligne.
Ce sont des citoyens, tels que les auteurs du livre « On nous appelle les Karachi » - porte-parole des familles de victimes de l’attentat perpétré dans cette ville du Pakistan (voir l’article de Pierre Haski, ce 19 novembre, sur le site Rue89 Affaire Karachi : faire sauter tous les verrous de l'enquête) - qui font espérer que la vérité sera connue sur cet évènement.
(…) Ces affaires sont le cancer de la vie politique française, surtout, dans le cas de Karachi, quand elles ont eu pour conséquences la mort d'hommes qui n'avaient rien à voir, de près ou de loin, avec ces rétrocommissions. Or, les obstacles sur le chemin de la vérité, et de la justice, sont encore trop nombreux, dont la plupart proviennent du cœur du système politique et administratif.
La lecture du livre « On nous appelle “les Karachi” » (éd. Fleuve Noir), publié par les porte-parole des familles de victimes de l'attentat commis contre des ingénieurs français au Pakistan, Magali Drouet et Sandrine Leclerc, dont David Servenay a rendu compte en détail mercredi, est de ce point de vue éclairante.
{Voir Karachi : qu'est-ce qu'une rétrocommission ?].
Les deux jeunes femmes, dont les pères ont péri à Karachi, sont des citoyennes ordinaires soudain confrontées à la raison d'Etat, ou la raison politique, on ne sait pas encore. Le parcours qu'elles décrivent est édifiant, entre mépris et obstruction, de la part de ceux qui, jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, auraient dû se mettre en quatre pour contribuer à faire éclater la vérité. Et il suffit d'un changement de juge antiterroriste chargé de l'enquête pour que l'ambiance et le fond changent du tout au tout (…).
Lu, par ailleurs, dans la presse
Karachi : les zones d'ombre de l'enquête (Le Monde, 18 novembre)