Mise sous tutelle des Etats et parlements nationaux
Une large majorité PS-droite a permis l’adoption au Sénat du texte de ratification du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.
Voir Parlement : large majorité PS-UMP pour ratifier le traité européen TSCG - 11 octobre 2012.
Jean-Pierre Chevènement, sénateur MRC du Territoire de Belfort, et son collègue Pierre-Yves Collombat, sénateur du Var, également membre du groupe RDSE, ont déposé une motion opposant l’exception d’irrecevabilité. Elle a été rejetée.
Voici deux extraits de l’intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat sur le TSCG, le 11 octobre 2012. Voir l’ensemble de l’intervention : Faire bouger les lignes
(…) Voilà vingt ans, je m’apprêtais à m’abstenir sur le traité de Maastricht. Puis je l’ai lu et, ce faisant, j’ai décidé de voter contre. Le Président de la République a organisé un référendum, je l’ai combattu et le reste s’est ensuivi.
J’ai également lu le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, et j’aimerais le résumer pour ceux qui l’ont parcouru un peu trop rapidement. Ce traité pose, dans son article 3, le principe selon lequel la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent. C’est la Commission européenne qui, de Bruxelles, propose le calendrier imposant à chaque pays une convergence rapide vers l’OMT, l’objectif à moyen terme. Soyez sûrs, mes chers collègues, que vous entendrez reparler de cet OMT, qui ne saurait excéder un « déficit structurel » durci à 0,5 % du PIB.
Mais ce n’est pas seulement un traité disciplinaire, c’est aussi un traité correctionnel. Chaque État devra en effet garantir un mécanisme de correction automatique que tout autre État membre pourra contester devant la Cour de justice de l’Union européenne si la Commission ou lui-même estime que les garanties données ne sont pas suffisantes. N’importe quel État contractant pourra demander à la Cour d’infliger des amendes dans les limites de 0,1 % du PIB, soit 2 milliards d’euros pour la France – ce n’est rien, nous sommes riches…
Enfin, les États contractants s’engagent, en cas de déficit excessif – c’est-à-dire de déficit équivalent à 3 % ; nous n’y sommes pas ! – à mettre en place avec la Commission un programme dit de « partenariat budgétaire et économique ». Mais à la moindre récession – nous y sommes ! –, les recettes fiscales fléchissent et le risque de déficit excessif apparaît. Ce partenariat budgétaire et économique devra contenir une description détaillée des réformes structurelles à mettre en œuvre : privatisations et déréglementations de toute sorte, à commencer sans doute par celle du marché du travail.
Cerise sur le gâteau, chaque État s’engage à soutenir les propositions de la Commission contre un autre État censé avoir manqué à ses obligations, sauf si une majorité d’États s’y oppose. C’est ainsi que la règle de la majorité inversée s’imposera en matière de discipline budgétaire. Jusqu’à présent, la démocratie supposait la loi de la majorité. Avec l’Europe disciplinaire, c’est le contraire : l’absence de majorité en sens contraire élargit démesurément le pouvoir des institutions européennes.
Si ce n’est pas une mise en tutelle des États et des parlements nationaux, je ne sais pas ce que parler veut dire (…).
Conclusion
(…) Il faut d’abord trancher le nœud gordien d’une monnaie unique qui, loin d’être au service de l’économie, tend aujourd’hui à l’asphyxier. Le TSCG est un nœud coulant pour le progrès social et pour la démocratie. C’est pourquoi, avec mon collègue du RDSE Pierre-Yves Collombat, je demande au Sénat d’adopter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi. Nous encouragerons ainsi le Gouvernement à reprendre le chantier sur des bases plus solides et, comme l’a dit hier M. le Premier ministre, à faire enfin « bouger les lignes ». (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Pierre-Yves COLLOMBAT, membre du groupe RDSE du Sénat, a également pris la parole pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. (…) Hier, le Premier ministre nous a présenté de la même façon notre destin dans l’Europe : en renonçant à ce qui nous reste de liberté financière, celle de décider de notre budget, nous ne nous soumettons ni aux marchés, ni à un quelconque traité, et encore moins à l’Allemagne ; nous affirmons au contraire notre liberté !
Si j’ai bien compris le Premier ministre et divers orateurs de cette matinée, nous serons d’autant plus souverains que nous abdiquerons notre souveraineté volontairement, puisque ce qui arrive ne dépend pas de nous : cela a été scellé à Maastricht. La servitude volontaire est donc la seule liberté possible pour les Européens. C’est stoïque, beau comme l’antique, mais c’est faux ! C’est faux, car l’état de l’Europe ne doit rien à un décret des dieux, mais tout au bricolage des hommes, un bricolage malheureux qui, en nous libérant de l’angoisse du taux de change, nous a livrés à celle du spread. Ce n’est pas bien mieux ! Ce bricolage a régulièrement valu à la zone euro un taux de croissance inférieur à celui des autres pays développés et un taux de chômage supérieur.
C’est faux, car la règle d’or budgétaire n’est pas non plus un décret divin ; c’est un axiome d’une théorie économique archaïque et un choix politique, celui des rentiers contre les actifs et, fatalement, les jeunes. C’est aussi le choix de l’Europe « postdémocratique », comme l’a éloquemment démontré Jean-Pierre Chevènement tout à l’heure. En démocratie, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum », aux termes de l’article 3 de notre Constitution.
En « postdémocratie », la souveraineté nationale est remise entre les mains de cours des comptes, de hauts conseils des finances publiques – que sais-je encore ! –, tous « indépendants » : des électeurs, évidemment, à défaut de l’être de l’idéologie dominante et de ceux qui les nomment. La souveraineté est remise entre les mains d’une Commission et d’une Cour de justice de l’Union européenne tout aussi indépendantes et démocratiques…
La démocratie, c’est le règlement des affaires publiques par le débat public, argument contre argument. La « postdémocratie », c’est leur règlement à dire d’« experts », à coup d’arguments d’autorité et de lessivage médiatique des cerveaux rendus disponibles. Un déficit budgétaire maximal de 3 %, ça « sonne économiste », « c’est un bon chiffre », un chiffre qui fait « penser à la Trinité », lâchait récemment – vous l’avez tous lu dans la presse – le fabricant du produit ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann rit.)
Pourquoi le TSCG fixe-t-il à 60 % du PIB le plafond d’endettement public tolérable, et non à 100 %, taux d’endettement public actuel des États-Unis, ou à 37 %, taux qui était celui de l’Espagne en 2007 ? Pur arbitraire ! Et 0,5 % de déficit budgétaire « structurel » au maximum, c’est plus « confortable » que 0,7 %, juge aussi « Monsieur 3 % »… Si personne ne peut dire clairement ce que « déficit structurel » signifie, les États pourront toujours s’écarter de cette norme en cas de « circonstances exceptionnelles ». Visiblement, 3 millions de chômeurs en France, ce n’est pas une circonstance exceptionnelle ! « Comprenne qui pourra », allais-je dire, oubliant qu’il s’agit non pas de compréhension, mais de foi et d’espérance, vertus théologales que nous a rappelées tout à l’heure Jean-Pierre Sueur.
La « postdémocratie » européenne, c’est, au final, le droit des peuples à choisir le nombre de trous à leur ceinture, mais pas celui auquel ils devront la serrer. Pour régler une crise financière d’origine bancaire, les responsables européens ont créé une crise des finances publiques et de l’euro. Pour la régler, ils ont laissé s’installer une crise économique que le traité Merkel-Sarkozy aggravera et qui est en train de se transformer lentement, mais inexorablement, en crise sociale et politique.
Quand sonnera l’heure de la refondation des institutions communes, qui seule permettrait de sauver l’euro et la construction européenne, il sera trop tard. Les peuples n’en voudront plus, de cette Europe, et ils le feront savoir dans les urnes, à moins que ce ne soit dans la rue ! Vous pensez sauver l’Europe contre ses peuples. C’est au résultat inverse que vous parviendrez. Si l’Europe est un levier, comme l’a également rappelé tout à l’heure Jean-Pierre Sueur, elle manque de plus en plus d’appui populaire. (M. Jean-Pierre Chevènement applaudit.)
Voir l’ensemble des débats au Sénat sur l’Exception d’irrecevabilité
Rappel : Au Sénat, Chevènement est intervenu sur le récent Sommet européen - 5 juillet 2012
Cet article est le 31ème paru sur ce blog dans la catégorie Chevènement sénateur