Tous dans la même organisation européenne de producteurs
A l’occasion du SPACE à Rennes le 14 septembre (voir SPACE Rennes : la nouvelle stratégie de Pascal Massol (Apli et EMB) - 15 septembre 2010), l’Organisation des producteurs de lait (OPL, section lait de la Coordination rurale) et l’Association des producteurs de lait indépendants (APLI, créée et présidée par Pascal Massol, à l’initiative de la grève des livraisons de lait en septembre 2009) avaient invité les responsables européens de l’EMB (European Milk Board, Bruxelles) - dont elles sont membres. La rencontre avait lieu à St-Germain-en-Cogles, près de Fougères, en Ille-et-Vilaine, lundi 13 septembre à 21h.
A la tribune, Daniel Condat (président de l’OPL), Romuald Schaber (président de l’EMB) et son traducteur, Willem Smeenk (membre du bureau de l’EMB), Anton Sidler (représente l’APLI au bureau de l’EMB), Paul de Montvalon (APLI, président de l’Office français du lait).
Dans la salle, Erwin Schöpges (président du MIG en Belgique et membre du bureau de l’EMB) et Karl Dieter Specht (ancien président d’une coopérative laitière en Allemagne). Tous sont intervenus lors des trois heures de réunion, la salle ayant eu aussi la parole.
Daniel Condat (OPL) rappelle que les producteurs de lait continuent de travailler à perte. Il faut mettre les dirigeants professionnels et politiques devant leurs responsabilités par rapport à la filière laitière européenne. L’Europe est la première puissance agricole. On nous dit que nos coûts de production sont trop élevés en France, mais aux allemands, on dit la même chose. En fait, les allemands ne s’en sortent pas mieux que nous. Nous sommes sous la coupe des financiers ainsi que de la FNSEA et de ses amis de l’agroalimentaire.
Nous entendrons :
- Romuald Schaber, allemand, président de l’EMB,
- Karl Dieter Specht, qui a des éléments de comparaison de coûts de production entre la France et l’Allemagne,
- Erwin Schöpges, belge francophone, mais aussi germanophone,
- Willem Smeenk, hollandais, polyglotte, qui va s’installer dans le Lot-et-Garonne.
La guerre France-Allemagne n’aura pas lieu. Anton Sidler, producteur dans l’Orne, représente l’Apli au bureau de l’EMB, en tandem avec Willem. Paul de Montvalon (Apli, Maine-et-Loire) préside l’office français du lait, dans la perspective d’en faire un office européen.
Romuald Schaber (traduction par Willem, à sa droite sur la photo) maintient l’objectif d’un lait vendu 0,40 euro le litre, alors que le prix moyen a été 0,22 euro en Allemagne et 0,29 en France en 2009. La grève du lait était le signe de la gravité de la situation.
Depuis, l’EMB a eu beaucoup d’autres actions, notamment en direction des responsables politiques. Nous avons découvert que nos représentants au COPA (européen) sont à la botte de l’industrie laitière. Grâce à l’EMB, les éleveurs laitiers sont représentés au niveau européen.
On a obtenu que les pays puissent limiter leur production. C’est facultatif. La France l’a fait, pas l’Allemagne et la plupart des pays européens, car ils veulent produire le maximum de lait.
On a obtenu que des experts travaillent sur la problématique laitière européenne. Leur rapport n’est pas satisfaisant, mais c’est un progrès.
Notre action a permis que les parlementaires européens s’intéressent aux problèmes laitiers et aux revenus des producteurs en Europe.
Les citoyens sont conscients des problèmes de prix à la production. Ils souhaitent que les prix couvrent les coûts de production.
Le danger est que la maîtrise des volumes soit confiée aux laiteries (exemple : Danone). Dans ce cas, les producteurs ne maîtriseraient plus rien. Les industriels auraient le pouvoir de gérer les volumes et de faire du dumping sur le marché mondial.
Le 8 juillet 2010, l’EMB a obtenu les conditions légales pour que, nous les producteurs, nous puissions nous grouper en Europe. Auparavant, seules les coopératives pouvaient le faire, dans la limite de 95% de la production par pays. C’est nécessaire pour avoir de l’influence sur les volumes et les prix.
L’Europe et la France s’orientent vers la contractualisation. C’est un grand danger. L’EMB a retenu dix points qui doivent être dans les contrats, au minimum, qui seront remis aux ministres de l’agriculture la semaine prochaine. Nous exigeons que les contrats soient les mêmes partout en Europe et couvrent les coûts de revient. Et un seul prix. Nous ne voulons pas qu’il y ait plusieurs prix liés à un volume.
L’EMB demande la mise en place d’un office européen qui oriente la production, qui serait une agence de régulation de la production européenne. Nous la proposons aux parlementaires européens.
Le traité de Lisbonne a renforcé le pouvoir du Parlement européen (en agriculture, codécision avec le Conseil européen). Nous sommes peu nombreux à Bruxelles. Il faut aussi des contacts dans les régions. Si nous n’obtenons pas de résultats, il faudra mener des actions plus dures.
Anton Sidler (photo à droite) est présent chaque mois à Bruxelles. Il ne faut pas laisser faire les techniciens. Il souligne le chemin parcouru par l’Apli depuis un an. La force vient des producteurs, qui doivent participer activement, donner leur avis par Internet.
Paul de Montvalon parle de l’office du lait français, où il n’y a que des adhérents de l’Apli et de l’OPL, pour le moment, mais la porte est ouverte aux autres (Confédération syndicale, FNSEA) quand ils le voudront.
Les producteurs doivent s’unir pour réussir. Il faut regrouper l’offre au niveau européen. La FNPL veut réguler l’offre, mais après les industriels. Le cas de la Suisse montre que cela ne marche pas. Des producteurs suisses viendront le dire en octobre.
Les outils de régulation sont faits pour ne pas subir la loi de l’Europe de la finance et de la spéculation. Ils doivent être entre les mains des producteurs, sinon ceux-ci disparaîtront. Il ne faut pas se battre entre organisations de producteurs. C’est pourquoi il en faut une seule en Europe. Les industriels ont le droit de se regrouper, les producteurs demandent la même chose. Nous voulons commencer par réunir les offices de France et d’Allemagne, afin de ne plus dépendre des lois nationales. Puis il faudra que les producteurs s’investissent dans les offices régionaux. Ce niveau est important car les élus politiques régionaux ont porte ouverte au Parlement européen.
Depuis l’accord interprofessionnel du 18 août, nous ne pouvons plus compter sur le ministre de l’agriculture. Ce n’est pas une raison pour lui balancer des œufs au SPACE. Nous refusons la violence. Cela ne sert à rien. Il faut travailler avec les allemands, pas contre eux. Nous ne sommes ni pour la gauche ni pour la droite. Actuellement, les conseils régionaux sont tous à gauche, sauf un. Il faut travailler avec eux.
Un autre groupe s’occupe de l’évaluation des coûts de production. Il faut une méthode unique pour remplir le tableau dans les exploitations. Nous faisons travailler des économistes, bénévolement.
Depuis le 18 août, c’est la guerre avec les allemands, qui font trop de volumes. C’est le meilleur moyen, en s’alignant sur les prix allemands, pour les tirer vers le bas. On devrait aligner les prix sur la tonne de beurre, ce qui ferait 380 euros les 1000 litres actuellement. Les producteurs doivent se donner les moyens de se lier aux consommateurs. Des alliances sont indispensables, aujourd’hui.
L’interprofession française ne sert à rien. Beaucoup s’en servent. La « cotisation volontaire obligatoire » (CVO) au CNIEL doit cesser (depuis le 18 août, on suit les prix allemands). Des missiles sont en fabrication.
Daniel Condat souligne que les coûts de production sont bien connus, mais ces prix sont maintenus volontairement bas afin d’éliminer les traînards. Les banques ne vont pas tarder à se manifester. De 50 000 producteurs de lait en France, on passera à 25 000. Il est prévu 20 000 en 2020.
L’EMB fait un travail colossal. Il faut qu’il soit appuyé par la masse des agriculteurs. Cela doit se voir au SPACE et lors des réunions publiques des dirigeants politiques, qui ont voté la loi LMA. La FNSEA écrit les décrets d’application. Lemétayer commande les ministres. Il faut se battre sur le terrain, donc au SPACE demain.
Karl Dieter Specht, traduit par Willem, présente ses documents au rétroprojecteur, sur le thème « L’Allemagne et la France dans le même bateau ». Il a été producteur de lait et de volailles, président de coopérative, maire de sa commune, et diplômé (doctorat). En retraite, il défend les intérêts des agriculteurs (voir Blog von Karl-Dieter Specht).
Il présente 4 points : les structures en Allemagne, les coûts de production en Allemagne, les points communs entre la France et l’Allemagne, les possibilités de coopération.
Il distingue deux stratégies :
- celle des de l’industrie laitière, qui est la présence sur le marché mondial (exportations à tout prix, pas de régulation, surproduction favorisant les prix bas, 75% de cessations dans les 10 ans à venir),
- celle des producteurs laitiers (adaptation de la production afin de maintenir un prix du lait suffisant pour garantir l’existence agricole, biodiversité et maintien de la diversité des paysages).
Des calculs en Allemagne ont montré que, pour être compétitives, les exploitations laitières doivent avoir entre 240 et 270 vaches. Actuellement, dans le nord, la moyenne est 69 vaches.
En France, selon des études sur les très grands troupeaux (350 vaches laitières), il est impossible de diminuer les coûts de production, en raison des coûts incompressibles des salariés.
Aux USA, les fermes ne sont pas reprises, les enfants n’en voulant pas.
Il est prouvé que l’industrialisation de la production laitière est une impasse. Il faut imposer la stratégie des producteurs. Les coopératives, c’est vous, mais d’autres gèrent à votre place. Il faut vous en occuper.
La coopération entre la France et l’Allemagne est indispensable, sur les bases suivantes ; agriculture paysanne, diversité des structures, protection de l’héritage culturel, fonctionnement durablement viable, renforcement des campagnes. Les politiques et les paysans doivent se mettre au travail.
Erwin Schöpges n’est pas favorable à l’idée de réunir seulement la France et l’Allemagne. Il faut tous les autres. Il ne faut pas accepter la contractualisation, sinon c’est la mort. L’industrie rachètera les fermes endettées, elle mettra la main sur les terrains. C’est un retour au Moyen Age. Les industriels capitalistes achètent des châteaux. Nous sommes obligés de travailler avec des salaires très bas, avec des chômeurs autour de nous.
L’EMB travaille sur trois pistes : le travail politique, la structuration, le lait équitable (avec les consommateurs, les ouvriers). Il faut laisser les vieux syndicats s’organiser. Pas besoin de les casser, ils vont se casser tout seuls.
C’est le peuple qui a abattu le mur de Berlin. C’est nous qui allons mener cette révolution. « Celui qui se bat peut perdre, celui qui ne se bat pas, il a déjà perdu ».
Cet article est le 196ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.