Plus proches et complémentaires qu’ils ne le pensent ?
Certains militants, républicains de gauche, ne comprennent pas ce qui sépare Jean-Pierre Chevènement de Jean-Luc Mélenchon. Ils souhaiteraient les voir s’associer dans la perspective de refonder la gauche. Pascal Basse est de ceux-là, j’ai pu le constater dans un échange que nous avons eu sur Facebook ce 22 avril.
Cela m’a rappelé que j’avais rédigé un texte à la demande de Christine Tasin, publié par Riposte Laïque le 15 mars (voir Chevènement et Mélenchon : les chemins différents de deux républicains).
Voici ce texte, daté du 12 mars 2010, dans lequel j’ai essayé de montrer, avec ma subjectivité, mais le plus honnêtement possible, ce qu’ont été les parcours des deux anciens ministres, actuellement présidents du Mouvement Républicain et Citoyen et du Parti de Gauche, tous les deux potentiellement candidats* à l’élection présidentielle en 2012.
Chevènement et Mélenchon
Les chemins différents de deux républicains, vus par Michel Sorin
L’évolution de Jean-Luc Mélenchon ne me surprend pas. Il ne faut, ni la diaboliser, ni l’occulter. Je le connais depuis les années 1980, au PS. C’était un brillant orateur et un bon organisateur de courant interne. Il venait du syndicalisme étudiant et du trotskisme lambertiste (Organisation communiste internationaliste) et se tenait au sein du mitterrandisme, mais en périphérie de celui-ci. Il est resté proche de Jospin et de Fabius.
Pour ma part, j’étais engagé depuis 1973 avec Chevènement au CERES (Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste), qui s’est transformé en « Socialisme et République » au moment où Mélenchon et Dray ont créé le courant « La Gauche socialiste ».
Il n’y avait pas d’atomes crochus entre les deux courants de gauche du PS, tous les deux opposés à la « 2ème gauche rocardienne », réticente vis-à-vis de l’Etat (tendance libérale).
La « Gauche socialiste » de Mélenchon était un courant de gauche classique, poussant les feux sur le plan social, sur le mode contestataire, dans un parti de type social-démocrate.
Autour de Chevènement, la préoccupation était plus liée au pouvoir d’Etat et à la transformation de la société par la loi et la gestion publique. Chevènement est un homme d’Etat recherchant l’efficacité et la cohérence dans l’exercice des responsabilités publiques (maire, parlementaire, ministre).
Mélenchon est d’abord un tribun cherchant à mobiliser les masses pour faire progresser la gauche. C’est pourquoi il est si proche de Chavez, président du Venezuela, et si éloigné des références gaulliennes, mendésistes et républicaines de Chevènement.
C’est sur l’Europe que les positions divergent le plus.
Le NON de Mélenchon, le 29 mai 2005, à la ratification du Traité constitutionnel européen, était d’abord antilibéral et en faveur d’un processus constituant européen, faisant de l’Union européenne une entité politique se substituant aux nations.
Le NON de Chevènement était d’abord républicain, se référant à la souveraineté populaire, avec en point de mire la réorientation de la construction européenne, fondée sur la coopération entre les nations.
A partir du référendum européen, leurs stratégies divergent nettement.
- Mélenchon veut rassembler la gauche de la gauche, afin de créer un rapport de forces électoral vis-à-vis du PS se traduisant, dès que possible, par une prise de contrôle (stratégie de Die Linke en Allemagne vis-à-vis du SPD).
- Chevènement veut amener le PS à une refondation de l’ensemble de la gauche de gouvernement sur des bases républicaines, en influant sur le projet politique à présenter en 2012 (stratégie de type congrès d’Epinay du PS en 1971).
Jean-Pierre Chevènement, lors de la réunion du secrétariat national MRC le 24 mars 2010
La stratégie de rassemblement de la gauche de la gauche correspond bien à la personnalité et aux objectifs, notamment européens, de Mélenchon. Cela le conduit à s’éloigner de la République et à se rapprocher de l’écologie, afin de convaincre les militants du NPA et des Verts de s’entendre pour devenir plus forts ensemble que le PS. Les dérapages sur la question de l’islamisme et de la laïcité s’expliquent par la nécessité de coller à l’électorat d’extrême gauche, plutôt communautariste.
La stratégie de refondation républicaine de la gauche conduit Chevènement à se rapprocher du PS pour amener sa direction sur les orientations européennes du MRC (remise en cause des institutions de Bruxelles et de la politique de concurrence, gouvernement économique de la zone euro, Europe à géométrie variable pour des politiques de coopération renforcée, politique commerciale protégeant notre modèle social).
Si je dois résumer ce qui peut expliquer l’incapacité de ces deux hommes à s’accorder (on a pu le constater en 2009 lors de la recherche d’un accord entre le Front de gauche et le MRC pour les élections européennes – le président du Parti de Gauche n’acceptait que le SMS comme moyen de liaison avec le président du MRC), c’est la conception du rôle de la Nation républicaine, clé de voûte de la démocratie aux yeux de Chevènement, y compris dans la politique européenne, pour laquelle des compromis d’organisation sont possibles, à condition de respecter la volonté des peuples (le Parlement européen ne peut jouer qu’un rôle mineur et il est largement sous l’influence des forces libérales).
Pour Mélenchon, le prolétariat ne peut se libérer au niveau national. Sa vue des rapports sociaux est mondialiste, les nations européennes ayant des Etats qui favorisent les tendances politiques conservatrices, de son point de vue. L’Europe est considérée comme le bon niveau pour renverser le rapport des forces en faveur du travail, par la conquête de la majorité du Parlement européen.
Les deux cherchent à promouvoir une République laïque et sociale mais, derrière les mots, il y a deux personnalités politiques que tout sépare.
Témoignage.
- J’ai le souvenir, après l’élection présidentielle de 2002, sur les ondes de France Inter, de déclarations fort maladroites de Mélenchon, appelant au dépassement de la conception républicaine de Chevènement, et ne craignant pas d’affirmer que celui-ci avait fait son temps.
- Quand je l’ai rencontré, il y a deux ans à Laval, où il était venu soutenir le porteur de la pancarte « casse-toi, pôvre con », poursuivi en justice pour offense au chef de l’Etat, ses premiers mots étaient pour souligner son désaccord avec Chevènement.
Jean-Luc Mélenchon, à Laval, le 23 octobre 2008
Il ne peut donc y avoir le moindre espoir de voir ces deux personnalités consentir à rapprocher leur point de vue. Du moins, en temps de paix…
* Voir Chevènement propose au MRC une stratégie présidentielle pour 2012 - 27 mars 2010
Pour la gauche, la vraie question est celle de la reconquête du peuple - 9 avril 2010.
Cet article est le 120ème paru sur ce blog dans la catégorie Gauche refondation