Le gouvernement commence à prendre en compte le problème
Le 23 novembre, j’avais publié un article annonçant Le 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes. Je le complète avec les propositions de Muriel Salmona, que l’on trouve dans l’article paru ce 25 novembre sur le site du Nouvel Observateur :
Violences faites aux femmes : 10 points pour améliorer les soins apportés aux victimes
Il y a quelques mois j’écrivais une tribune sur le soin des victimes de violences, le grand oublié des politiques publiques. Depuis, beaucoup de choses se sont passées : les travaux de la mission interministérielle de protection des femmes victimes de violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) sur la formation des professionnels de la santé, le colloque sur le soin des victimes et la prise en charge des auteurs organisé par le ministère des Droits des femmes les 2 et 3 septembre 2013 (mission et colloque auxquels j’ai participé), et le nouveau plan triennal de lutte contre les violences envers les femmes qui vient d’être annoncé par Mme Najat Vallaud Belkacem la ministre des Droits des femmes et Porte-parole du gouvernement. Il semblerait qu’enfin une prise en compte de ce grave problème de santé publique soit en train d’émerger.
Un premier pas important
Pour la première fois, Najat Vallaud Belkacem a déclaré que les femmes victimes de violences devraient pouvoir accéder rapidement à des soins sans frais par des professionnels formés, et que les violences faites aux femmes seraient considérées comme une priorité de santé publique. Avec un protocole national adressé aux Agences régionales de santé dans le but de renforcer les liens entre services de santé, de police et de justice. En cette journée internationale de lutte pour l’élimination des violences envers les femmes, c’est un premier pas très important qu’il faut saluer, il va en falloir beaucoup d’autres pour que toutes les victimes de violences traumatisées aient enfin la possibilité de recevoir des soins adaptés sur tout le territoire français et les DOM-TOM.
L’abandon sans protection ni soin de la très grande majorité des victimes de violences est un véritable scandale de santé publique. D’autant plus que nous disposons depuis plus de 10 ans de toutes les connaissances nationales et internationales sur la réalité des violences et la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques.
Nous savons que ces conséquences sont très fréquentes (elles touchent de 60 à plus de 80% des victimes de violences intra-familiales, conjugales et sexuelles qui sont les plus nombreuses et les moins reconnues, la loi du silence et le déni régnant sur elles) et que les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, visibles sur des IRM. Nous en connaissons depuis plusieurs années les mécanismes psychologiques et neuro-biologiques.
L'enfance, une période déterminante
Nous savons très bien décrire cliniquement ces troubles psychotraumatiques, les diagnostiquer, et nous savons les traiter efficacement (avec une récupération des atteintes neurologiques grâce à la neuroplasticité du cerveau), nous savons aussi qu’avoir subi des violences particulièrement dans l’enfance est un des déterminants principal voire le déterminant principal (quand les violences ont eu lieu dans l’enfance) de l’état de santé des personnes même 50 ans après.
Et nous savons enfin que laisser des victimes de violences traumatisées sans soin est un facteur de risque de reproduction de violences de proche en proche et de générations en générations, les victimes présentant un risque important de subir à nouveau des violences, et aussi d’en commettre pour un petit nombre d’entre elles (ce qui suffit à alimenter sans fin un cycle des violences). Lutter contre les violences passe par la protection et le soin des victimes.
Pourtant, à l’heure actuelle, les médecins et les autres professionnels de la santé ne sont toujours pas formés ni en formation initiale : lors d’une enquête récente auprès des étudiants en médecine plus de 80 % ont déclaré ne pas avoir reçu de formation sur les violences et 95% ont demandé une formation pour mieux prendre en charge les victimes de violences ; ni en formation continue, et l’offre de soins adaptés est très rare.
Des soins accessibles pour toutes les victimes
Le plus souvent les diagnostics sont erronés et les soins sont uniquement symptomatiques, avec des parcours de soins parfois maltraitants et qui représentent une perte de chance pour les victimes. De façon injuste, au mépris de leurs droits, les victimes vont devoir organiser seules leur survie face aux violences et à leurs conséquences. Il reste donc - et c’est un grand chantier - à mettre en place cette offre de soins et à la rendre accessible à toutes les victimes. Les femmes bien sûr, mais aussi les hommes victimes et les victimes les plus vulnérables et les plus discriminées, encore plus laissées pour compte, alors que ce sont celles qui présenteront le plus de conséquences psychotraumatiques :
- les enfants qui paient un très lourd tribu aux violences, surtout à l’intérieur de leur famille par leur proche, dès leur vie fœtale avec les violences conjugales pendant la grossesse, puis à leur naissance (néonaticides, bébés secoués) et tout au long de leur enfance avec les maltraitances et les violences sexuelles (les mineurs subissent plus de violences sexuelles que les adultes il ne faut pas l’oublier),
- les personnes âgées et malades, les personnes handicapées qui subissent trois fois plus de violences, les personnes sans-papiers, les demandeurs d’asile, les personnes qui sont à la rue, les victimes de violences sexuelles (sans oublier les victimes de violences sexuelles incestueuses, de violences sexuelles conjugales, de violences sexuelles dans les institutions et au travail, de violences sexuelles dans le cadre prostitutionnel).
Dix points sont incontournables pour y arriver
1- Une vraie politique de santé publique concernant la prévention, le dépistage, la prise en charge et le soin des victimes de violences, s’inscrivant dans une politique globale de lutte contre les violences et contre l’impunité des auteurs, et de protection de l’enfance et de toutes les victimes de violences.
2- Une formation en urgence des professionnels de santé et de tous les autres professionnels qui interviennent dans la prise en charge des victimes de violences : pour les former à la réalité des violences, à leur repérage, à leurs conséquences sur la santé physique et psychique des victimes et des témoins, à la connaissance des dangers que court la victime et des protections à mettre en place en urgence, sans oublier le cadre médico-légal (certificats et expertises).
3- L’élaboration de recommandations de la Haute Autorité de Santé sur la prise en charge des victimes de violences et le traitement de leurs conséquences psychotraumatiques.
4- La mise en place par décret - avec le soutien des agences régionales de santé - de centres de santé pluri-disciplinaires pour les victimes de violences (et pour les enfants témoins des violences domestiques, ainsi que pour les proches), accessibles pour toutes les victimes quels que soient leur âge, leur handicap, leur situation sociale et proposant des soins sans frais, et si nécessaire anonymes, par des professionnels compétents et formés dans chaque département, avec une prise en charge globale (médicale, sociale, associative et judiciaire), et une mise à disposition d’information et de documentation.
5- Des campagnes d'information grand public sur les conséquences des violences et la possibilité de les traiter, des campagnes de prévention, et l’élaboration d’outils de prévention et d’information.
6- La création d'un observatoire national sur l'impact des violences et la prise en charge des victimes.
7- La mise en place d'enquête et de recherches sur les conséquences des violences sur la santé et sur les moyens de prévenir et de traiter ces conséquences.
8- La mise en place d’un centre d’accueil téléphonique d’expertise, de conseil, d’orientation et de documentation pour les professionnels de la santé et tous les intervenants de la prise en charge.
9- La mise à disposition pour les victimes de violences d’un carnet de santé informatif indiquant l’origine traumatique de leurs troubles pour éviter des prises en charge inadaptées et des diagnostics erronés, et permettant un travail en réseau de qualité.
10- La protection des professionnels de santé qui signalent des maltraitances sur des mineurs ou des personnes vulnérables, et qui établissent des certificats médico-légaux pour des victimes de violences.
Cet article est le 18ème sur ce blog dans la catégorie Femmes.