Une curieuse façon de favoriser la sécurité alimentaire !
Le problème n’est pas récent, mais il a pris de l’ampleur. En novembre 2008, la presse relatait les démarches de la Corée du Sud pour s’assurer le contrôle de la production de terres de Madagascar.
Plus récemment, le 17 novembre, ContreInfo reprenait l’information parue sur le site grain.org - GRAIN est une petite organisation internationale à but non lucratif qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité.
« Plus de 40 millions d’hectares, dont 20 millions rien qu’en Afrique, ont changé de mains ou sont l’objet de négociations, » souligne l’ONG GRAIN, qui note l’apparition depuis juillet 2008 des « fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement » parmi les nouveaux acquéreurs de terres agricoles. Intervenant dans des pays où l’auto suffisance alimentaire n’est pas garantie, ces prises de contrôle vont renforcer « la tendance à la production alimentaire contrôlée par les multinationales et tournée vers l’exportation, » au détriment de l’agriculture de subsistance, a averti l’organisation, à l’occasion d’une conférence de presse commune avec Via Campesina.
Déclaration de GRAIN à la conférence de presse commune tenue avec Via Campesina, 16 novembre 2009 - Cliquez ici pour voir la publication
Tribune : Il faut mettre fin à l’accaparement mondial des terres agricoles
Cela fait maintenant plus d’un an et demi que nous observons attentivement la façon dont les investisseurs essaient de s’emparer de terres agricoles en Asie, en Afrique et en Amérique latine, pour apporter une réponse aux crises alimentaire et financière. Au début, durant les premiers mois de 2008, les investisseurs justifiaient l’acquisition de ces terres au nom de la « sécurité alimentaire », ou du moins de l’idée qu’ils se font de la sécurité alimentaire. Des représentants des États du Golfe ont alors commencé à faire le tour du monde à la recherche de vastes étendues de terre cultivable à acquérir pour y faire pousser du riz, dans le but de nourrir leurs populations en plein essor, sans avoir recours au commerce international. Les Coréens, les Libyens, les Égyptiens et d’autres nations ont fait de même.
La plupart des discussions ont impliqué directement des représentants haut placés des gouvernements, qui ont accepté des transactions de marchands de tapis pour mettre en place une coopération politique, économique et financière qui tourne autour de contrats fonciers.
Mais vers le mois de juillet 2008, la crise financière s’est aggravée et nous avons remarqué qu’à ces « accapareurs de terres motivés par la sécurité alimentaire » venait s’ajouter un nouveau groupe d’investisseurs qui tentaient d’acquérir des terres arables dans le Sud : fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement et autres organismes du même genre. Eux ne s’intéressaient pas du tout à la sécurité alimentaire : Ils avaient compris qu’on peut faire de l’argent en investissant dans l’agriculture, parce que la population mondiale continuant à s’accroître, les prix alimentaires risquent de rester élevés sur le long terme ; de plus, les terres agricoles sont très bon marché. En acceptant de mettre un peu de technologie et quelques compétences en gestion dans ces acquisitions de terres agricoles, ils peuvent diversifier leur portefeuille, se prémunir de l’inflation et garantir leurs bénéfices, grâce aux récoltes et à la terre elle-même.
A ce jour, plus de 40 millions d’hectares, dont 20 millions rien qu’en Afrique, ont changé de mains ou sont l’objet de négociations. D’après nos calculs, plus de 100 milliards de dollars US ont été déboursés pour en arriver là. Même si de temps à autres les gouvernements n’hésitent pas à faciliter les transactions, ce sont principalement des entreprises privées qui signent et réalisent ces accords, avec la complicité de fonctionnaires des pays hôtes. GRAIN a établi plusieurs listes révélant l’identité des accapareurs et le contenu réel des transactions. Cependant l’information est pour la plus grande part cachée au public, de peur de provoquer des réactions.
Rien dans cette course aux terres agricoles dans le Sud ne sert les intérêts des communautés locales, que ce soit au Pakistan, au Cambodge, aux Philippines, à Madagascar, au Soudan, en Éthiopie ou au Mali. Parmi ces pays, beaucoup ne jouissent pas de la sécurité alimentaire. Or l’accaparement des terres vise à faire disparaître l’agriculture paysanne, et non à l’améliorer. Ne serait-ce que pour cette raison, les mouvements sociaux ont rapidement compris que la récente razzia sur les terres ne pouvait qu’être source de graves conflits à propos des terres, mais aussi des ressources en eau (…).
L’accaparement actuel des terres agricoles dans le monde qui permet à des investisseurs étrangers de prendre le contrôle de la terre et de l’eau dans les pays en développement, n’a rien à voir avec un renforcement de l’agriculture familiale et des marchés locaux, ce qui est à nos yeux la seule manière de mettre en place des systèmes alimentaires qui soient effectivement en mesure de nourrir les populations. Il faut y mettre fin. Aucune solution gagnant-gagnant n’est possible, car les investisseurs ne posent pas la bonne question. Il ne s’agit pas de se demander : « Comment pouvons-nous faire marcher ces investissements ? », mais plutôt « Quelle agriculture et quels systèmes alimentaires sont à même de nourrir les gens sans les rendre malades, de maintenir les paysans dans les fermes plutôt que de les condamner à vivre dans des bidonvilles et de permettre aux communautés de prospérer et de se développer ? ». Il faut d’abord admettre que la véritable question est de savoir quelle agriculture nous voulons, avant de pouvoir discuter des investissements nécessaires à sa mise en place.
À GRAIN, nous sommes extrêmement inquiets de la situation. Nous pensons que l’accaparement actuel des terres ne peut qu’aggraver encore la crise alimentaire. Il favorise un système agricole tourné vers les monocultures à large échelle, les OGM , le remplacement des paysans par des machines, et l’usage de produits chimiques et d’énergies fossiles. Ce système ne peut pas nourrir tout le monde. C’est une agriculture qui, par la spéculation, nourrit les bénéfices de quelques-uns et accroît la pauvreté des autres. Certes, les investissements sont nécessaires. Mais ce qu’il faut, c’est investir dans la souveraineté alimentaire, dans d’innombrables marchés locaux et dans les quatre milliards de ruraux qui produisent l’essentiel de la nourriture qui permet à nos sociétés de vivre, et non pas dans des méga-fermes aux mains de quelques méga-propriétaires.
Cet article est le 150ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.