Une argumentation serrée qui ne laisse rien dans l’ombre
Christine Meyer, conseillère municipale de Nantes et conseillère régionale des Pays de la Loire, était professeur de philosophie dans un lycée de Nantes. A titre personnel, elle a rédigé un texte concernant le projet de loi intitulé "Mariage pour tous".
Voici de grands extraits du texte qu’elle m’a transmis, qui est une contribution au débat.
Voir aussi Mariage pour tous : ce que dit le projet de loi (Ouest-France, 8 novembre 2012).
Placer le débat dans le cadre des principes républicains
Cette nouvelle contribution s’inscrit pour moi, comme la précédente, dans le cadre d’une réflexion sur la citoyenneté. Ce qui est en jeu (...), c’est l’articulation entre le principe de citoyenneté et la proposition officielle d’un mariage dit « pour tous ». Cette question de la citoyenneté renvoie plus profondément à une certaine idée de l’humanité. Il faut donc éviter deux « mauvaises » questions :
- pour ou contre le « mariage pour tous » (question qui en elle-même n’a aucun sens)
- le combat entre « progressistes » et « réactionnaires »
Et replacer le débat dans le cadre politique des principes républicains que nous défendons et des questions anthropologiques sur le propre des sociétés humaines.
1) le principe républicain d’égalité
C’est un des arguments avancés. Je voudrais ici dans un 1er temps dénoncer ce que j’appellerai une « hypocrisie sémantique ». En effet, cette appellation de « mariage pour tous » laisse entendre que, jusqu’à maintenant, certains individus étaient exclus ou interdits de mariage. Et on voit immédiatement qu’il s’agit de dire que les « homosexuels » étaient discriminés par rapport aux autres. On voudrait clairement placer le débat sous l’angle de la discrimination et du non respect du principe d’égalité. Or, rappelons quelques évidences, même si, je reconnais, elles laissent des problèmes de fond non résolus.
Tout le monde a le droit de se marier, mais pas avec n’importe qui. Quatre limites ou interdits :
- avec un mineur,
- avec un membre de ma famille proche (ascendant, descendant, frère, sœur),
- avec une personne de même sexe,
- avec une personne déjà mariée, ou bien sûr, si je suis déjà marié.
Il faut donc déplacer le problème et le replacer dans le cadre des limites d’un droit universel. Cela peut paraître aujourd’hui difficile à entendre, mais il n’y a aucune discrimination a priori des homosexuels. Ceci renvoie à deux questions : le statut des « homosexuels » et le statut du mariage :
- Statut des « homosexuels » : je précise que je n’aime pas du tout le terme « homosexuel » que je vais essayer d’employer le moins possible, pour les raisons que je vais évoquer (…).
Cette digression historique avait pour but de montrer que la notion d’homosexualité est récente, donc pas évidente (je sais aussi jouer le relativisme culturel), et surtout que, en passant de « pratiques » ou comportements à des êtres, on essentialise ces individus et par là même on contredit le principe d’égalité. Pour dire les choses autrement, je conteste aussi le terme car, d’une part on peut être « bi » et on peut surtout évoluer au cours d’une vie et, enfin, on n’a surtout pas envie d’être identifié comme « homo » ou « hétéro ». Bientôt, il faudra présenter son identité en précisant cette « qualité ».
Ma conclusion est simple. L’humanité n’est pas séparée en « homo « et « hétéro », comme le sous-entend l’argumentation de certains défenseurs du projet, mais en hommes et femmes, d’une part nécessaires à l’engendrement, d’autre part qui peuvent avoir soit des pratiques sexuelles diverses, soit, il faut le reconnaître, des inclinations plutôt vers un sexe ou un autre.
Quand je dis que l’humanité est séparée en hommes et femmes, je n’essentialise pas ces deux catégories (et encore moins je les sacralise) ; je ne fais que reconnaître un fait auquel je n’attribue pas de valeur, mais que je ne peux nier; et, aujourd’hui, avec toutes les méthodes de PMA possibles, il faut toujours une cellule mâle et femelle pour engendrer.
Pour revenir au principe républicain d’égalité et le traiter sous un autre angle, on peut dire aussi que le fait d’avoir une « préférence » pour un sexe plutôt qu’un autre relève d’une inclination personnelle, et que les institutions ne sont pas là pour valider des inclinations, des goûts personnels.
Les institutions républicaines doivent permettre toutes les relations privées entre individus, protéger ceux qui sont en situation de faiblesse, sous réserve de l’intérêt général. Pour dire les choses crûment, ce n’est pas la différence de sexualité, mais la différence des sexes qui détermine l’engendrement et le mariage. Cette dernière remarque renvoie au statut du mariage (mariage civil, bien sûr).
2) Statut du mariage
Remarque préalable : le mariage est une institution, c'est-à-dire ni un service public, ni un contrat.
Ce n’est pas un service public, car ce n’est pas un service tout court : il n’est pas indispensable à l’existence humaine; on peut très bien vivre sans, et ce n’est pas non plus un « guichet » auquel on demande un ticket.
Ce n’est pas un contrat, ni au sens juridique, ni au sens moral :
- Sens juridique : un contrat est un accord passé entre deux partenaires (individus ou groupes) en vue essentiellement de l’intérêt de chacun; je ne passe un contrat que si j’estime que j’y ai un intérêt; et celui-ci est en général limité à un aspect de ma vie. Le contrat reste un acte privé, validé au mieux par un notaire. Rappelons qu’il existe des contrats de mariage, qui ont en général pour but de protéger les biens d’un des conjoints ou des deux, et qui sont passés devant notaire : ils sont parfaitement légitimes en eux-mêmes, mais le contrat de mariage n’est pas le mariage. Le mariage a besoin de témoins et est validé par l’Officier d’Etat-civil.
- Sens moral : le mariage est un engagement global, et si je puis me permettre cet anachronisme, pour « la vie », ce qui évidemment n’exclut pas la possibilité de changer d’avis, mais personne ne peut, au moment où il se marie, envisager que, dans un jour ou dans vingt ans, il ne sera pas dans les mêmes dispositions.
Quelle est alors la finalité du mariage ?
Je rencontre là les arguments du rabbin Berheim et les contre arguments de Catherine Kinzler.
Pour le rabbin, le mariage est l’alliance de l’homme et de la femme avec succession des générations.
C’est ce que conteste Catherine Kinzler en y voyant un aspect religieux et en essayant de penser un mariage civil totalement distinct du mariage religieux, tout en reconnaissant et affirmant que le mariage n’est pas un contrat. Sa marge de manœuvre est étroite, intéressante, mais pas convaincante, à mon sens. Son argument repose principalement sur l’idée que le mariage civil n’a pas pour but la procréation et que le mariage peut être dissous par volonté des conjoints.
Sur le 2ème point, certes le divorce est possible et profondément civil, mais il ne peut pas non plus être considéré comme un « élément » du mariage; c’est une conséquence possible, mais pas dans « l’essence » du mariage; on ne se marie pas pour pouvoir divorcer; la simple expérience psychologique (et les constats des avocats) le montre.
En ce qui concerne les enfants, elle a raison, et c’est la grandeur des institutions républicaines de ne donner aucune norme de vie intime entre les époux, on ne les oblige pas à avoir des enfants et les raisons pour lesquelles ils se marient restent privées. Mais si le mariage civil et républicain n’oblige pas à faire des enfants, d’une part il y est fortement lié, et surtout il règle l’importante question de la présomption de paternité. Si un enfant naît, il a « automatiquement » une mère et un père.
Et je crois que c’est cette inscription de l’enfant dans une lignée que garantit et ordonne en même temps le mariage. Et c’est, bien sûr, cette question que l’on va retrouver (comme un pavé dans la mare) dans le projet de mariage « homo ».
Enfin, je crois que le lien entre homme et femme et l’engendrement se retrouvent dans toutes les cultures, y compris les cultures « pré-monothéistes » en tous cas. Il renvoie à une double finitude humaine :
- D’une part, la finitude sexuée : je nais garçon ou fille et jamais je ne serai « les deux », les cas très limites de changement de sexe ne renvoyant même pas à cette complétude.
- D’autre part, finitude générationnelle : je suis toujours l’enfant de quelqu’un, un élément d’une lignée, quel que soit l’appréciation que je porte sur mes ascendants. Je ne suis pas à moi-même ma propre origine.
Or, toute société a articulé ces deux finitudes, et ceci n’a rien à voir avec les relations personnelles (et encore moins affectives) existant entre les individus. Et c’est cette double articulation de la finitude humaine que remettent en cause les défenseurs du « mariage pour tous ». C’est donc une certaine idée de l’humanité qui est en jeu.
3) une certaine idée de l’humanité
Il me semble que les « porte drapeaux » de ce nouveau combat se situent dans la perspective d’une humanité à la fois totalement désincarnée et prométhéenne, dépassant, voire niant toutes les données de fait de notre condition pour créer un « nouvel homme, issu de nulle part, et choisissant son sexe à partir de ses inclinations ou affinités (théorie du genre), et choisissant ses enfants non pas à partir de la dissymétrie originelle, dissymétrie renvoyant à la bilatéralité de la filiation, mais à partir de désirs, soit purement personnels, soit liés à une pure relation affective. Le fait d’aimer quelqu’un et ce de façon à la fois, sincère, authentique et même enrichissante sur plusieurs plans n’implique pas que le droit de l’épouser ou de faire des enfants.
Le désir est un élément essentiel de l’existence humaine, mais ce désir justement ne devient humain, ne constitue le sujet humain, que lorsqu’il rencontre son « autre », à savoir le réel, naturel ou symbolique; c’est dans la rencontre (ou confrontation) du désir et des faits, ou de la loi, que je me construis ; sinon je reste dans l’imaginaire de la toute puissance infantile.
Le concept de « parents » qui se substitue à celui de père et mère renvoie à la dimension de désincarnation. Le fait de vouloir avoir des enfants alors que la nature ne peut les donner (femme ou homme seul ou couple homo) renvoie à la figure prométhéenne et la transformation de la naissance en une production d’enfant; l’enfant est un « projet » comme un autre, éventuellement un droit.
Ceci pose d’énormes problèmes, psychologiques, bien sûr, mais aussi juridiques et philosophiques :
- Psychologiquement, l’enfant a besoin de « fantasmer » son origine (peut-être est-ce l’origine de tout questionnement humain). Or, ici, c’est un mur qui se dresse devant son imaginaire : contrairement aux discours des bisounours, on n’a pas besoin de savoir qu’on est un enfant de l’amour entre deux êtres, mais qui sont ces deux êtres qui nous ont engendrés. Or je ne peux être l’enfant ni d’un homme seul ou de deux hommes de même sexe, en y mettant tout l’amour du monde.
Il y a quelque chose entre le monde des bisounours et un christianisme réduit à sa dimension la plus mièvre dans le discours sur l’amour qui se substituerait à toutes les dimensions fondamentales de la condition humaine.
- Juridiquement, quel statut attribuer au « donneur », au « troisième homme » (ou femme) dans un couple homo pour engendrer l’enfant ? Pour le moment, il est purement et simplement nié. C’est la bilatéralité de la filiation qui est niée au profit d’un amour « pur et désincarné ».
- Philosophiquement, on est entré dans le projet non seulement d’une domination de la nature, mais quasiment d’une création d’une seconde nature. La médecine n’a plus pour rôle de palier les insuffisances de la nature, mais de produire des objets ou des êtres selon les désirs d’un sujet omnipotent. Or, je suis atterrée de constater que ce sont les écologistes qui sont bien sûr le fer de lance de ce projet, eux qui ne cessent de combattre cette conception de l’homme maître et dominateur de la nature et dénoncent chaque jour les méfaits (sur la nature) de cette conception.
Cette contradiction monumentale doit être relevée. On se bat pour sauver une espèce de batracien en voie de disparition et on manipule sans état d’âme ovules et spermatozoïdes.
Toutes ces analyses me conduisent, bien sûr, à une position plus que réservée vis-à-vis du projet et même à le combattre. Je crois qu’on fait fausse route. Le mariage pour tous n’est pas la bonne solution. Les bonnes intentions ne font pas les bonnes politiques et cachent souvent un défaut de pensée (…).
Cet article est le 52ème paru sur ce blog dans la catégorie République Parlement.