L’Europe doit changer radicalement de perspective
A l’heure du débat sur l’identité nationale, très mal engagé parce que mal posé, il serait bon de réfléchir à l’identité de ce traité qui est entré discrètement en application le 1er décembre.
Fausse identité, en réalité, puisque, pour l’essentiel, le traité de Lisbonne recouvre la Constitution européenne, rejetée par les peuples français et néerlandais les 29 mai et 1er juin 2005.
Usurpation d’identité, jugée sévèrement par la Cour de Karlsruhe (voir Traité de Lisbonne ratifié, avec les réserves de la Cour de Karlsruhe - 3 novembre 20092).
Bernard Cassen a décrit l’ambiguïté européenne dans un article paru sur le site de Marianne, le 10 novembre : Bousculades à la tête de l’Union européenne
Le traité de Lisbonne est maintenant ratifié par les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) et va entrer en vigueur le 1er décembre. Le président tchèque Vaclav Klaus a finalement apposé sa signature après avoir vainement tenté de faire traîner les choses dans l’espoir d’une victoire des Conservateurs lors des élections législatives prévues au Royaume-Uni au plus tard en juin 2010. Bien que le traité ait déjà été ratifié par son pays, le leader des Tories, David Cameron, avait en effet promis d’organiser un référendum qui aurait eu toutes chances de l’enterrer définitivement. Il vient d’y renoncer. Aussi la grande affaire qui occupe les gouvernements est désormais la répartition des postes à la tête des institutions de l’Union européenne (UE) qui devraient se mettre en place au début du mois de janvier prochain.
Il ne s’agit pas seulement du choix de telle ou telle personnalité. Ce qui est en jeu, c’est la conception même du pouvoir dans l’UE. De ce point de vue, les dispositions du traité de Lisbonne, conçues au début des années 2000, apparaissent singulièrement décalées par rapport à la nouvelle réalité politique révélée par la crise.
On a pu constater, à l’épreuve de vérité des capacités d’intervention financière, que l’UE c’était avant tout les Etats - surtout les plus grands (Allemagne, France, Royaume-Uni) -, et non pas la Commission de Bruxelles ou le Parlement de Strasbourg. Ni non plus la Banque centrale européenne.
Le caractère intergouvernemental du dispositif communautaire s’est ainsi considérablement renforcé, au détriment de sa dimension fédérale. Or le traité, lui, postule une visibilité très forte de l’UE en tant que telle, et non pas comme agrégat d’Etats (…).
Sur le site de l’Humanité, le 2 décembre, Rosa Moussaoui souligne la contradiction entre les paroles du chef de l’Etat français et les réalités de la politique européenne.
Dans le carcan ultralibéral du traité de Lisbonne
Le copié-collé du projet de constitution européenne est entré en vigueur hier. Il sanctuarise des politiques au service de la finance.
« La crise est venue de la dérive d’un modèle anglo-saxon, je veux pour le monde la victoire du modèle européen qui n’a rien à voir avec les excès d’un capitalisme financier », a affirmé Nicolas Sarkozy, hier, dans le Var. Le « modèle européen » sanctuarisé par le traité de Lisbonne, qui entre en vigueur aujourd’hui, un antidote aux « dérives du capitalisme financier » ? En pleine crise, ces assertions peinent à faire oublier l’activisme de l’Union européenne en faveur de la déréglementation, de la compression des dépenses sociales et de politiques économiques et monétaires tout entières dédiées à l’appui aux marchés financiers, au détriment de l’emploi et de la croissance. Quelques exemples. Comme le projet de constitution, le traité de Lisbonne consacre « la concurrence libre et non faussée » comme un dogme fondamental de l’UE. Il stipule que « l’Union contribue (…) au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». De même, le traité de Lisbonne stipule que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux sont interdites ». Des dispositions qui font des promesses présidentielles de « régulation » des paroles en l’air. Enfin, ce traité laisse intacts les pleins pouvoirs de la Banque centrale européenne, enferrée dans les dogmes monétaristes qui font de la « stabilité des prix » l’unique objectif de sa politique monétaire. Une mission désormais inscrite dans les objectifs de l’Union, qui justifie les appels répétés de la BCE à la « modération salariale ».
Sur le site du Monde, le 1er décembre, c’est sans une once d’esprit critique qu’est présenté l’évènement : Le traité de Lisbonne entre en vigueur
Le traité de Lisbonne est entré en vigueur mardi 1er décembre. Ce texte, censé améliorer le fonctionnement de l'UE et sa visibilité dans le monde, va lui donner "les outils nécessaires pour relever les défis futurs et répondre aux demandes des citoyens", affirme le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans un communiqué. Une brève cérémonie, organisée par le gouvernement portugais, la présidence suédoise de l'UE et la Commission européenne, devrait se dérouler mardi soir dans la capitale portugaise pour célébrer l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Principale innovation : la création d'un poste de président permanent du Conseil européen (l'organe où se réunissent des chefs d'Etats et de gouvernement), confié au Belge Herman Van Rompuy pour au moins deux ans et demi. Jusqu'ici, la présidence de l'UE à ce niveau passait d'un pays à l'autre tous les six mois.
La Britannique Catherine Ashton devient haute représentante pour les affaires étrangères. Mme Ashton remplace l'Espagnol Javier Solana, qui est resté dix ans en fonctions à la tête de la diplomatie européenne, mais elle disposera par rapport à lui de prérogatives renforcées et d'un service diplomatique propre, fort de plusieurs milliers de fonctionnaires.
Le texte doit permettre de faciliter les prises de décisions d'une Union élargie à 27 pays, et peut-être bientôt à plus de trente avec les Balkans et l'Islande, en limitant les droits de veto. Il renforce aussi les droits du Parlement européen et des Parlements nationaux, et scelle dans le marbre la Charte des droits fondamentaux européens. Parmi les autres nouveautés introduites par le traité figure le droit d'initiative populaire des citoyens européens.
La Commission va garder le monopole de proposer des lois européennes, mais les citoyens pourront dorénavant l'inviter à agir s'ils estiment qu'elle ne le fait pas suffisamment ou mal. Le traité de Lisbonne indique que cette initiative doit émaner d'au moins un million de citoyens "qui sont ressortissants d'un nombre significatif d'Etats membres" dont le seuil doit encore être précisé. Le traité permet aussi à un pays qui le souhaite de quitter l'Union.
Voir aussi : Les principaux points du traité de Lisbonne (Le Monde, 3 octobre) et Le traité de Lisbonne.
Le Monde, le 1er décembre, a donné la parole à Jacques Delors, qui affirme : Herman Van Rompuy est "le bon choix".
Car, dit-il, c’est un fédéraliste qui saura se mettre au service de l’Europe, modestement, comme le ferait un fonctionnaire discret mais efficace pour éviter le choc des personnalités et des institutions.
Les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas désigné un président de l’Europe, mais quelqu’un qui va faciliter la survie de l’idée européenne au moment où celle-ci est menacée par le retour des souverainetés nationales.
Qu’on ne s’y trompe pas : la construction européenne n’est plus ce qu’elle était.
L’offensive fédéraliste de Giscard d’Estaing, en 2001, visant à constitutionnaliser les bases des futurs Etats-Unis d’Europe, a été mise en échec, d’abord par l’élargissement précipité aux nations de l’Europe centrale et orientale, puis par la décision erronée de surcharger le texte constitutionnel du poids de tous les traités précédents et, enfin, par la spectaculaire crise financière de 2007 et 2008, qui a remis les Etats à la première place.
Le traité de Lisbonne, qui a été adopté par les Etats à la suite du rejet de la Constitution européenne par les peuples, n’est pas adapté à la situation nouvelle qui prévaut en Europe. Il revient aux peuples de jouer leur rôle dans la réorientation de la politique européenne des nations, laquelle doit être fondée sur la solidarité et la coopération.
Cet article est le 27ème paru sur ce blog dans la catégorie Traité de Lisbonne 2007-08-09