La question européenne, au centre du débat présidentiel
Après en avoir résumé le déroulement (voir Université d'été MRC à Valence : le programme de salut public en débat - 8 septembre 2010), je propose d’aller dans le détail des échanges entre Jean-Pierre Chevènement et François Hollande, lors de la table ronde animée par Marie-Françoise Bechtel le 5 septembre à Valence.
Tout d’abord, les propos de François Hollande. Après avoir fait la liste des interrogations concernant la France de 2010, il précise les cinq défis à relever en 2012 :
- La place de la France dans la mondialisation. Depuis dix ans, la France a reculé. Il faut retrouver un chemin productif. Il faut proposer au pays un pacte productif, et aux entreprises une logique coopérative tournée vers l’investissement.
- La mutation écologique. La tendance est à renouveler les énergies, garder le nucléaire, moderniser sans catastrophisme. Les questions à régler : le coût lié à la taxe carbone, les déchets, le coût lié à l’augmentation du carburant.
- La cohésion sociale et la redistribution. Les disparités se sont accrues entre les 2% les plus favorisés et le reste de la population. Il faudra une réforme fiscale transparente et réduire les déficits. Il n’est pas acceptable que 60% de l’endettement soit entre les mains de non résidents et que la charge de remboursement des emprunts soit le 2ème poste du budget.
- La cohésion républicaine. Il s’agit de traduire les principes dans le quotidien : autorité, égalité, solidarité républicaines, fermeté face à la délinquance.
- La jeunesse. Elle est sacrifiée (chômage, logement, sécurité, égalité…). Elle est électoralement minoritaire.
Il faut rassembler la nation autour d’objectifs qui nous dépassent. Le rassemblement de la gauche est nécessaire au premier tour de l’élection présidentielle, ou au second. Le rêve français dans le récit national (en écho au rêve américain d’Obama), c’est l’égalité réelle, le progrès maîtrisé, les droits de l’Homme et du Citoyen.
L’intervention de Jean-Pierre Chevènement. Voir le texte - dont il s’est éloigné - Pour devenir Président de la République française, il faut s’identifier pleinement à la France).
Le président d’honneur du MRC salue la capacité de François Hollande à se faire aimer. Comment ne pas être d’accord avec les cinq défis à relever ? Il faut parler le langage de la vérité, refuser la démagogie, comme le faisait Pierre Mendès-France.
La gauche doit avoir les capacités de surmonter les difficultés. Le principal désaccord porte sur l’Europe. Il faut faire la synthèse entre l’idée républicaine et l’idée européenne (tout en sachant que la synthèse entre Delors et Chevènement est un terrain glissant…).
Pas d’exclusive, même pas pour les Verts (du moins les Verts « lumineux », inspirés par les Lumières…). Le cadre : la crise qui est, d’abord, nationale (la France de Lucien Herr, c’est la fin de l’histoire, nous y sommes). Mais elle est aussi mondiale.
La crise du capitalisme financier mondialisé n’est pas derrière nous. Entre les Etats et les marchés, il y a un problème. Les Etats doivent prendre le dessus sur les marchés financiers. Il existe des déséquilibres macroéconomiques (la Chine et l’Allemagne déflationnistes, les USA et leurs déficits). L’Acte unique européen, la libération des capitaux, les paradis fiscaux, ne sont pas étrangers à cette crise. La taxation des mouvements de capitaux est indispensable. Il ne sortira rien du G20.
L’Union européenne devrait s’inspirer des propositions Volcker (USA, ancien président de la banque centrale fédérale) en les durcissant. Mais il faut une volonté politique (Sarkozy et Merkel ont rejeté les propositions Volcker). La crise est géopolitique (Turquie poussée par les USA pour intervenir au Moyen Orient, nécessaire réévaluation du yuan chinois, protectionnisme initié par les USA).
Il ne faut pas accepter un euro surévalué. L’Europe doit être une zone de croissance. Pour cela, il faut de nouvelles règles du jeu. Le programme d’investissements de Delors, en 1990, n’a jamais été appliqué. Mieux vaut s’asseoir sur les traités européens, car ils sont dépassés. Mais l’euro doit être la monnaie de toute la zone euro (à 16), sinon, il faut revenir à l’euro, monnaie commune, en complément des monnaies nationales.
Il ne faut pas s’offusquer que l’Union européenne soit essentiellement intergouvernementale, en raison de la responsabilité des Etats, mais il doit y avoir une solidarité européenne. Le problème est la politique de déflation salariale en Allemagne. La priorité est la coordination économique et monétaire.
Le rêve français. Les idées de 1789 ont fait leur chemin dans le monde. Il faut faire vivre le modèle républicain, en France d’abord, mais aussi en Europe. Le centre de gravité du monde s’éloigne de l’Europe, qui est en échec sur tous les plans. Il faut maintenir notre modèle civique, économique et social. Il faut une organisation européenne, ramener les Allemands à la solidarité et à la mesure, avec un esprit visionnaire.
Ensemble, incarner le modèle républicain. N’oublions pas que la IIIème République a été établie avec une voix de majorité. La différence entre la gauche et la droite, c’est 1789. Sont à droite, ceux qui n’acceptent la Révolution française que du bout des lèvres… Ne nous laissons pas entraîner dans les marais.
François Hollande répond à Jean-Pierre Chevènement. Il commence par saluer ce qui est agréable et plaisant chez Jean-Pierre Chevènement, qui consiste à s’inscrire dans l’histoire longue ; nous sommes des acteurs d’un moment, continuateurs de ce qui a été fait avant nous. C’est le rêve du récit national. Actuellement, nous constatons la liquidation de l’esprit républicain. Jean-Pierre a raison d’aborder la politique planétaire, pas seulement hexagonale, avec le réalisme nécessaire.
Puis il revient sur les deux points mis en avant par Marie-Françoise Bechtel, animatrice du débat.
- La crise n’est pas finie, les causes demeurent. Pas de régulation, sauf aux USA. Certains pays ont mis des taxes (Royaume-Uni, Allemagne). Il ne s’agit pas de moraliser ce qui n’a pas vocation à l’être. La spéculation sur les dettes souveraines n’est pas finie. La compétition entre Etats et marchés continue. En 2012, il y aura des déficits considérables, une croissance faible, une régulation à mettre en place.
- L’Europe. En 2005, à propos du traité constitutionnel européen (TCE), il y a eu une grande controverse entre le oui, en faveur d’une autorité politique européenne, et le non.
Le traité de Lisbonne, avatar du TCE, n’a pas permis de disposer d’une force politique, face à la crise. Le refus du TCE n’a pas empêché l’Europe de dériver. Les traités ont été bousculés, sans que la croissance revienne. Il faut dépasser ce qui nous a, un moment, séparés. L’Europe à 27 n’a plus de sens, c’est un espace de droit et de vie commune. Il y avait une part d’utopie à vouloir faire une Europe fédérale, à dix, douze, pays, ce qui était l’idée initiale.
On revient à l’idée de Mitterrand : une confédération européenne. Avec quelques pays qui s’engagent (un noyau, monnaie unique, politiques coordonnées, pacte). Ce ne sera pas l’Europe d’avant, mais c’est une Europe nécessairement avec les Allemands.
En 2012, il faudra une gouvernance commune de l’euro. Entre Sarkozy (gouvernance à 16) et Merkel (à 27), c’est celle-ci qui a gagné. Le modèle allemand est tributaire du commerce mondial. Les excédents allemands sur la zone euro ne sont pas coopératifs. Le peuple allemand est traversé par des contradictions (baisse démographique et baisse de la demande intérieure). La gauche allemande est actuellement majoritaire.
Nous avons un devoir de cohésion sur la question européenne. Les citoyens s’étant mobilisés en 2005, il faut une clarification en 2012. La question de la valeur de l’euro nous a séparés. Entre 1997 et 2002, l’euro s’est déprécié de 20% par rapport aux autres monnaies. Depuis 2003, la valeur de l’euro a augmenté de 40% jusqu’en 2010. Les autres monnaies ont repris de la valeur en 2010 par rapport à l’euro. La Chine est un vrai problème, car sa monnaie est déstabilisatrice. La vocation de l’euro est la stabilité.
La donne ayant changé, nous devons donner des réponses communes à cette question de l’euro. Il n’est pas possible de se séparer sur la question européenne, sinon la gauche n’y arrivera pas.
Relancé par l’animatrice du débat, François Hollande ajoute qu’il faut, à la fois, de la souplesse et de la force dans la gouvernance européenne. La plupart des pays européens font confiance en l’OTAN en matière de défense. L’idée européenne perd du terrain. Certes, l’idée d’un Etat européen n’est pas réaliste, même si c’est sympathique et utopique. Mais on se fait dépasser par les pays émergents. L’Europe est nécessaire, sinon les populismes s’imposeront. Un traité n’est plus possible. Le problème de l’Union, c’est de faire des enfants !
Jean-Pierre Chevènement constate que l’Europe avance en ordre dispersé. Le Secrétaire d’Etat américain, Kissinger, dans les années 1970, demandait le numéro de téléphone de l’Europe. En 2010, le président Obama ne pose pas cette question. Il téléphone à Merkel pour qu’elle soutienne le plan de financement à la Grèce, puis à Sarkozy. Celui-ci dit oui, aussitôt. Celle-là finit par s’y résigner. Obama n’a pas appelé Van Rompuy, Barroso ou Zapatero (l’Espagne avait la présidence tournante).
Il faut rompre avec « l’irreal » politique, selon l’expression d’Hubert Védrine. Il faut une volonté française et aller vers une Europe, république des peuples, en prenant appui sur la France et l’Allemagne. L’Europe de la non harmonisation fiscale a produit l’hypertrophie bancaire au Luxembourg.
Quant à l’euro, c’est clair, il ne faut pas accepter de sacrifier les intérêts français. Le Rhin, qui sépare la France et l’Allemagne, est beaucoup plus large qu’il n’y paraît.
Le sénateur du Territoire de Belfort se rend très souvent en Allemagne (3/4 d’heure par la route). Le nom Chevènement vient de la partie allemande de Fribourg en Suisse.
Non à l’au-delà des nations. Le PS, avec ses nuances et ses courants, lui semble compliqué. Il faudrait simplifier, clarifier, en vue de 2012.
Débat avec la salle. Questions sur le fait syndical, la TVA sociale et de Jean-Luc Laurent, président du MRC. Celui-ci, au vu de l’expérience et du nécessaire réalisme qui oblige à voir les défis à relever par la gauche, insiste pour ne pas recommencer la gauche plurielle (synthèses molles) et donner priorité à la force du projet.
Il pose la question de la transition énergétique dans le cadre de la conversion écologique de la société et la nouvelle croissance, voulues par Cécile Duflot et ses amis écologistes. Quelle place pour le nucléaire (EPR, recherche-développement, technologie), sachant que les énergies renouvelables ne suffiront pas ?
François Hollande répond, d’abord, sur la place des syndicats. Ils sont une force de proposition et de négociation. Chacun doit être à sa place. Le renforcement des syndicats est prioritaire dans les petites et moyennes entreprises (contraindre avec souplesse). Le respect de la représentativité (loi récente) est plutôt une bonne chose.
Concernant la TVA, l’Allemagne a amélioré sa compétitivité en augmentant de 3% la TVA et en baissant les cotisations sociales, ce qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat. Sa proposition n’est pas d’augmenter la TVA, mais de revoir le financement de la protection sociale.
Il veut être clair sur le sujet des alliances en 2012. Il faut aller à l’essentiel. Le programme du MRC est court mais quelques pages, avec cinq ou six propositions, devraient suffire. Le reste en découlera, y compris sur l’Europe. On ne peut pas échapper à un accord de gouvernement avant l’élection présidentielle avec ceux qui aspirent à gouverner (avec une révision, s’il le faut, en cours de mandat).
S’il n’y avait pas de position claire sur la croissance, le nucléaire, l’Europe, les gens iraient voir ailleurs. Il n’y a pas de temps à perdre. Il faut aller au fond des choses.
- Il faut de la croissance (qui n’est pas un but en soi), une croissance différente, pas de la décroissance. Le rêve français, c’est le progrès humain. Il faut produire mieux. L’agriculture est une priorité (l’Allemagne est devenue la première puissance agricole européenne).
- Les énergies renouvelables, oui, mais maîtrisées (avec des incitations).
- Le nucléaire, oui, il faut maintenir l’électricité nucléaire, réfléchir à l’EPR, faire preuve de rigueur sur la question des déchets et de leur recyclage.
L’élection présidentielle, ce n’est pas pour un tour de chauffe, ni pour affirmer une identité.
Jean-Pierre Chevènement apprécie la qualité et la véracité des réponses de François Hollande. Entre les élections présidentielles de 2002 et de 2012, il y aura eu la crise. L’industrie doit passer avant la finance. Il faut re-réglementer, après 35 années de déréglementations qui ont conduit à un excès de spéculation et au pouvoir du capital sans contrepartie.
La gauche n’a pas renforcé les syndicats. Sur ce point, il faut éviter les revendications désordonnées. L’Allemagne a beaucoup à nous dire à ce sujet.
Concernant la transition énergétique, à côté des renouvelables, il faut développer les nouvelles filières nucléaires et mettre l’accent sur les économies d’énergie. Il ne doit pas y avoir de reniement par rapport au progrès.
Les options qui doivent nous rassembler :
- la nation redressée, tout commence par là ;
- l’Europe redressée, trouver un compromis avec l’Allemagne (favoriser le rapprochement entre SPD et Die Linke) ;
- la République, sans transiger ;
- le modèle de solidarité sociale.
La gauche et le grand capital financier, c’est non ! En 2002, il y avait de profondes différences, de vrais désaccords de fond : constitution européenne, Corse… qui justifiaient une candidature républicaine. Jospin aurait pu rester fidèle à sa déclaration de 1997. Il était, pourtant, prévenu que s’il se reniait, la conséquence serait ma démission du gouvernement.
Certains socialistes continuent de détricoter l’histoire nationale, par exemple Delebarre (voir la carte des projets de découpage administratif transnational). Avec l’Europe des 400 régions, veut-on importer en France des problèmes comme ceux de la Catalogne et de la Belgique ? La charte des langues régionales et des minorités recevait des fonds du ministère de l’Intérieur allemand.
L’exposition universelle de Shanghai, sous un technologisme débridé, montre ce qu’est l’uniformisme marchand. Ce n’est pas ce que nous voulons.
Cet article est le 74ème paru sur ce blog dans la catégorie MRC national.