Projet illogique, contraire aux principes républicains
A moins de deux mois des élections régionales, le Parlement s'attaque à un chantier ultrasensible : la réforme des collectivités territoriales. Avec la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), c'est déjà tout un pan – fiscal – de cette réforme qui a été engagé (voir, à ce sujet Suppression de la taxe professionnelle : Chevènement contre le projet - 29 novembre 2009).
Voilà venu le temps de l'organisation territoriale, avec en ligne de mire la création des futurs conseillers territoriaux, appelés à siéger à la fois dans les conseils généraux et régionaux. Lire la suite (Le Monde, 19 janvier) : Le gouvernement cherche une majorité au Sénat pour la réforme territoriale.
Le sénateur Mauroy (PS) a fait savoir, sur le site du Monde, le 18 janvier, ce qu’il pense du projet de loi. Il était premier ministre (1981-1984) quand les lois de décentralisation ont été adoptées, sous la présidence de François Mitterrand :
Le Sénat engage aujourd'hui le débat sur le deuxième des quatre projets de loi qui ont pour objectif de réformer les collectivités territoriales françaises. Cette réforme, je le dis d'emblée, je la refuse. Elle opère en effet un changement brutal de cap par rapport au consensus qui s'était établi sur le nécessaire approfondissement de la décentralisation et de la régionalisation dans notre pays, après les débats souvent vifs qui avaient marqué le vote des lois de 1982-1983 alors que j'étais premier ministre. Les gouvernements qui ont suivi se sont tous inscrits dans cette démarche, y compris celui de Jean-Pierre Raffarin, qui a même tenu à inscrire dans la Constitution, en mars 2003, que "la France est une République décentralisée".
Lire la suite : La réforme territoriale, une "recentralisation" qui n'ose pas dire son nom
Le sénateur du Territoire de Belfort, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, a présenté, en séance publique du Sénat, le 20/01 en fin de journée (au moment où nous étions réunis au siège du MRC, en son absence - il préside habituellement le secrétariat national) un texte de renvoi en commission du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. La motion n° 24 rectifiée n’a pas été adoptée (154 voix pour, 182 contre).
Voici le début de l’intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat le 20 janvier.
Cette réforme ne procède pas d’une pensée claire. Son examen vient dans un ordre inverse à celui qu’eût inspiré la logique. Il eût fallu partir du rôle des collectivités territoriales et de leurs compétences, régler ensuite leur organisation, pourvoir enfin à leurs recettes. Or, c’est le contraire qui a été fait. Le problème des recettes a été traité mais pas réglé. Nous ne connaissons pas encore les compétences dans lesquelles seront enfermés les départements et les régions.
L’objectif premier, comme le Président de la République l’a d’ailleurs clairement déclaré, est d’associer les collectivités territoriales à la rigueur budgétaire. Les financements croisés seront interdits, sauf exceptions dont l’article 35 de ce projet de loi renvoie à un an la définition.
L’élection des conseillers territoriaux qui devraient remplacer les conseillers généraux et les conseillers régionaux aura lieu selon un mode de scrutin que nous ne connaissons pas. Elle fera régresser la parité et fera du problème des cumuls un véritable casse-tête. Ce projet porte la marque d’une excessive précipitation : « Qui trop embrasse, mal étreint ».
Le Sénat n’entend pas se laisser encore une fois mettre devant le fait accompli et se voir réduire au rôle d’une simple chambre d’enregistrement. Mais il y a plus préoccupant encore, Monsieur le Ministre, le texte qui nous est proposé est gravement attentatoire aux principes de la République.
Aux termes de l’article premier de notre Constitution, notre République est en effet une République indivisible. Elle respecte le principe d’égalité. Son organisation est décentralisée.
Or, le projet de réforme des collectivités territoriales contrevient à ces principes. Il porte en lui l’extinction des communes existantes et des départements. Il saperait ensuite, s’il était adopté, l’unité de la République.
Les communes et les départements sont tous deux créations de la Révolution française. Celle-ci a créé les communes dans les limites des anciennes paroisses et les départements aux lieu et place des découpages hérités de l’ancien ordre féodal.
Comme l’écrivait Voltaire, à la fin du XVIIIe siècle : « En France on change plus souvent de lois que de cheval ». C'est à cela que la Révolution de 1789 a voulu mettre un terme pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Il y a donc un lien entre le couple département-commune et la République une et indivisible. C’est ce lien que le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales entend rompre.
Bien loin de simplifier le mille-feuilles, le projet de loi semble d’abord l’épaissir avec notamment la création des « métropoles » érigées en nouvelles féodalités. Mais le Président de la République continue d’agiter l’argument du mille-feuilles, comme il l’a encore fait lors de la présentation de ses vœux aux parlementaires, le 13 janvier dernier. Il y a donc une arrière-pensée.
La vérité, je vais vous la dire. Vous prétendez vouloir instaurer un nouveau couple : commune-intercommunalité d’une part, département-région d’autre part. C’est une présentation fallacieuse. Dans ces deux binômes, les communes existantes et les départements ont vocation à s’effacer. Je vais le démontrer.
Lire la suite : Un projet de loi contraire aux principes républicains .
Cet article est le 12ème paru sur ce blog dans la catégorie Chevènement sénateur