Les défis de l’agriculture au 21ème siècle
Les 300 participants au colloque organisé par les Amis de Louis Malassis*, le 27 novembre, à l’Agrocampus de Rennes, ont été mis d’entrée dans l’ambiance des défis à relever au 21ème siècle. L’exposé percutant, voire provocateur, de Bruno Parmentier** était fait pour que ses auditeurs prennent bien conscience de la nouvelle réalité du monde et des conséquences en découlant pour l’agriculture. Voici les points essentiels de son intervention.
Risque de pénurie mondiale de céréales
Après 30 ans de baisse tendancielle des prix, l’année 2007 a vu une très forte montée des cours des céréales. Sécheresse en Australie, mauvaises récoltes en Ukraine… Plus besoin de subventions au Nord, ouverture de nouvelles opportunités au Sud.
Nous allons vers un monde déséquilibré : problème du climat, croissance de la population (+ 80 millions d’habitants par an), augmentation des besoins alimentaires des pays nouveaux riches (Chine, accès à la consommation de poulets), 800 millions de consommateurs (voitures et camions) de produits agricoles en plus…
Augmentation massive de la population mondiale
La sous-alimentation mondiale est le déshonneur mondial : 240 millions d’indiens qui ont faim, soit un quart de la population de l’Inde et plus que dans toute l’Afrique ; 100 millions de chinois, sur 1 300 millions (8%). Au 21ème siècle, le continent affamé sera l’Afrique, en raison de l’énorme accroissement prévisible de sa population.
Entre 1900 et 2050, la population mondiale aura été multipliée par 5 (de 1,8 à 9 milliards), alors que le nombre de personnes touchées par la faim sera resté stable (800 millions), ce qui représentait moins de 50% en 1900 et représentera 9% en 2050, les victimes de la faim étant surtout localisés en Afrique.
La production agricole mondiale doit être multipliée par 2 dans les 50 ans à venir. Ce devrait être par 5 ou par 3 en Afrique pour nourrir tous les habitants, selon qu’ils mangent de la viande ou pas.
Il n’y a plus de problème vraisemblablement en Europe, les femmes ayant moins d’enfants (sauf en France et en Irlande) ; la consommation diminuant entraînera la production agricole vers la baisse.
Réchauffement de la planète
Ce phénomène est davantage ressenti au Bengladesh ou en Martinique (disparition des bananiers) qu’en France, même si l’automne 2006 a été le plus chaud depuis 5 siècles dans notre pays, et l’année 2006, dans son ensemble, a été la plus chaude depuis 1901. Mais il a plu en 2007 et, depuis un siècle, la température moyenne n’a pas beaucoup évolué en France.
Pourtant, il faut s’attendre à un déplacement de 150 millions de personnes d’ici 2050. Où iront les 141 millions d’habitants du Bangladesh ? L’immigration sera forte en Sibérie (+ 20 à 30 millions d’habitants). La paix mondiale sera gravement perturbée par ces bouleversements.
La mer monte (entre 0,5m et 1m entre 2000 et 2050). Or, les grandes villes sont situées en bord de mer (16 des plus grandes villes du monde le sont). Les glaciers fondent (exemple : Himalaya). C’est de l’eau intéressante l’été pour l’irrigation de l’agriculture. Il n’y en aura plus quand les glaciers auront fondu. En 2050, Angers aura le climat de Nice aujourd’hui (peu de jours de pluie par an). Dans le nord de la France, des ouvrages de rétention de l’eau devront être réalisés. Les maladies tropicales feront leur apparition (ex : la fièvre catarrhale). Les criquets pourraient franchir le détroit de Gibraltar…
Pénurie de terres cultivables
Sur la planète, 12% seulement des terres sont cultivables. Où sont les réserves ? Dans les forêts tropicales (Amazonie, Congo, Indonésie), on abat chaque année l’équivalent de la superficie de la Grèce. On en replante seulement la moitié. Le réchauffement climatique peut changer la carte. La Russie et le Canada sont les seuls pays stratégiques au 21ème siècle.
La question du productivisme se présentera différemment. Actuellement, produire est une insulte ! Or, le même champ, qui nourrissait deux personnes en 1960, en nourrit quatre aujourd’hui et devra en nourrir six en 2050. Est-ce possible ? Oui, dès maintenant, huit Chinois sont nourris sur ce champ. Il suffit d’étendre à la planète la productivité chinoise.
Le problème de l’eau
La plante transpire par la sève qui monte. Il faut beaucoup d’eau pour produire une plante (une tonne d’eau pour produire un kg de céréale) et il y a une différence entre l’eau d’été (le maïs) et l’eau d’hiver (le blé). La planète est gorgée d’eau, mais 99% est salée ou gelée, donc inutilisable. Le reste n’est pas bien réparti.
Au 20ème siècle, il y avait 200 millions d’hectares irrigués. Au 21ème siècle, il faudra entretenir les barrages construits, mais il sera plus difficile et plus cher d’en construire de nouveaux, et encore faut-il s’assurer qu’il y ait de l’eau dedans ! On prévoit au maximum 240 millions d’hectares irrigués. Cela ne résout pas le problème des pays qui ont soif.
En Chine, c’est le blé qui a soif au nord et c’est le riz qui a soif au sud (terres inondées). Des grands travaux gigantesques sont en cours de réalisation : au nord, trois canaux sur une longueur de 1600 km ; au sud, le barrage des Trois Gorges, qui est une catastrophe écologique (1,5 million d’agriculteurs déplacés). Aux USA, les nappes d’eau qui sont dans le sous-sol de l’ouest sont pompées à l’excès, provoquant une baisse des réserves.
La fin de l’énergie fossile
Enfin, le pétrole au prix de 100 dollars ? Puis, bientôt à 150 dollars ? Et, pourquoi pas à 200, 300 ?... Comment faire avec les tracteurs ? Il faut se diriger vers une agriculture beaucoup moins gourmande en énergie.
L’agriculture est indispensable, comme trois autres professions. Elles manifestent quand le prix du pétrole augmente : les taxis, les transporteurs (camions), les paysans et les pêcheurs. Les paysans sont les plus indispensables. Un monde sans paysans est impossible. Quant aux pêcheurs, on en est resté à la chasse. En Chine, la pisciculture produit la moitié des poissons consommés.
Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) produisent des gaz à effet de serre, à l’origine du réchauffement climatique. L’électricité produite est à 80% d’origine nucléaire, mais il n’y a pas assez de réserves d’uranium et le problème des déchets n’est pas résolu, sans parler des risques terroristes.
La solution, c’est la fusion nucléaire, mais les recherches seront très longues (installation d’un centre de recherches mondiales à Cadarache, en Provence, en 2018) et n’ont guère de chances d’aboutir avant 2100. Avant, que fait-on ?
Les éoliennes, le solaire, l’hydraulique, il y a des avantages et des inconvénients pour chaque source d’énergie, mais il faut les développer quand même. L’essentiel est l’économie d’énergie. Dans les transports, l’énergie pose problème sauf dans le TGV et le tramway.
En agriculture, on ne sait pas conserver l’énergie. On peut en produire, ce sont les agrocarburants.
L’éthanol est produit en Amérique dans le but de limiter les importations de pétrole. La guerre en Irak devait assurer l’approvisionnement en provenance de ce pays. En fait, ce sont les Chinois qui achètent le pétrole irakien.
Aux USA, l’élection présidentielle se fait à partir de primaires au sein des partis, échelonnées sur plusieurs mois dans les différents Etats. Les primaires commenceront le 21 janvier dans trois Etats, dont l’Iowa, réputé pour sa production de maïs.
Les USA produisent 40% du maïs mondial. Ils en consomment beaucoup (la moitié de la consommation mondiale de maïs) et en exportent aussi (20% de la production).
Une partie est transformée en éthanol, ce qui est à l’origine de la flambée du prix du maïs (ils ont doublé). Tout cela pour économiser 3% d’essence ! Il aurait suffi de mieux gonfler les pneus pour aboutir au même résultat…
Le Mexique est très concerné par l’évolution du prix du maïs, car l’alimentation quotidienne des Mexicains est basée sur la galette de maïs. Le prix du maïs ayant augmenté de 50%, le niveau de vie de la population pauvre a baissé de 18%.
Tout se tient, du carburant dans les camions à l’alimentation des paysans et ouvriers mexicains. Une compétition s’est engagée entre les réservoirs des riches et l’assiette des pauvres… Qui va gagner ?
Le 21ème siècle a commencé l’été dernier. Il faut un litre de pétrole pour produire trois litres de biocarburants. C’est une catastrophe : conduire ou manger, il faut choisir ! Ce serait une folie que la Beauce produise pour les moteurs. Il faut réserver les champs pour se nourrir.
C’est seulement avec la canne à sucre que la rentabilité est à peu près correcte, parce que l’ensemble de la plante est utilisé, pas seulement le grain sans eau. Les plantes produisent de l’énergie sans énergie. Vivent les OGM pour produire des plantes énergétiques ! Sinon, avec des céréales à 300 € la tonne, on aura des famines.
Le contrôle sanitaire le plus strict et la traçabilité complète sont notre assurance-vie. Grâce aux vétérinaires, nous avons l’élevage le plus sûr du monde sur le plan sanitaire. Par contre, nous avons un problème avec la biodiversité : trois millions de vaches sans père, appauvrissement génétique, animal et végétal. Est-ce bien raisonnable ?
En conclusion
Le 21ème siècle sera biotech ! Allons vers « la révolution doublement verte » de Michel Griffon. L’agriculture mondiale est peu mécanisée. Comme le dit Edgard Pisani, on a besoin de toutes les agricultures du monde. Car les problèmes alimentaires seront cruciaux au 21ème siècle.
La chimie, ce n’est pas le 21ème siècle, c’est le 20ème, avec des fonctions principales : nourrir les plantes (engrais, surtout azotés), les soigner et les protéger (herbicides, insecticides, fongicides). L’Asie a développé son agriculture grâce à la chimie et à l’irrigation (la révolution verte).
La maîtrise du vivant reste à réaliser et on s’engueule pour ça ! Il y a les gentils (agriculteurs bio) et les autres (Carrefour) sans intérêt. On est heureux de faire un règlement bio dans les cantines des écoles maternelles…
C’est un problème de quantité de production au niveau mondial. On ne sait pas produire mieux et plus en agriculture biologique. Il y a un problème de quantité, car les besoins augmentent et la faim aussi. C’est une question de volonté et de modestie. La révolution consiste à s’insérer dans les processus naturels.
La firme Monsanto, c’est le clonage, la modification des gènes. Dans le monde, il y a 102 millions d’hectares de plantes OGM, ce qui représente cinq fois la surface agricole de la France. Nous en avons 4500 ha en France. Le but de ces sociétés est de vendre davantage d’herbicides.
Ce qui serait intéressant, ce serait de trouver des plantes qui n’ont besoin que de 700 litres d’eau, ou qui poussent dans des eaux salées. Le problème, c’est que les autres cherchent et pas nous. Monsanto cherche, dans le cadre de son système capitaliste américain. La Chine cherche, dans le cadre de son système communiste. Nous n’aurons bientôt plus le choix qu’entre l’un ou l’autre des deux systèmes de recherche existants.
L’agriculture a pris le tournant de la haute intensité environnementale. Depuis Sully, « pâturage et labourage »… C’est fini ! On est aux cultures sans labour, en associant différents types de cultures et de plantes. On est dans la complexité du vivant, et aussi dans la diversité. On passe des accords avec les vers de terre, les abeilles et les chauves-souris …
C’est la révolution vers une nouvelle agriculture, qui implique davantage de réflexion et d’organisation afin de changer de modèle (le modèle irrigation, chimie, énergie, ayant montré ses limites), ce qui implique un nouveau militantisme paysan.
Dans le monde, les goûts et habitudes alimentaires sont fort divers. Pour les Chinois, le lait est poison ; pour certains, le blé est exclu, à cause du gluten ; pour les pratiquants des religions musulmane, juive et hindoue, la viande de porc est interdite, et même toutes les viandes pour les hindous. A l’opposé, le porc est très apprécié des Chinois, qui en élèvent 489 millions (le porc est l’animal le plus proche de l’homme). Mais les riches ne mangent pas beaucoup de porcs, ils préfèrent le bœuf.
Il faut inventer l’avenir. Les ingénieurs sont là pour cela. C’est compliqué ? Oui, et c’est précisément pour cette raison qu’il y a besoin des ingénieurs. Mais c’est d’abord la responsabilité des paysans. Comme la Banque mondiale, nous affirmons : ce serait folie de ne pas compter sur les agriculteurs.
* Louis Malassis est décédé le 10 décembre dernier (voir l’article paru hier sur ce blog)
** Bruno Parmentier, directeur du groupe Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers, est l’auteur du livre « Nourrir l’humanité, les grands problèmes de l’agriculture mondiale au 21ème siècle » (La Découverte).
Le programme du colloque, ainsi que les idées de Louis Malassis, sont à lire dans l’article paru sur ce blog le 10 novembre 2007.