Comment s’organiser pour nourrir le monde ?
Les propositions de la Commission européenne pour réviser la Politique Agricole Commune (PAC) ont provoqué de vives réactions de la part des organisations agricoles françaises. Bruxelles s’accroche à sa philosophie libérale, refusant d’entendre les voix qui viennent de partout pour demander une réorientation profonde.
« L’agriculture, un enjeu planétaire prioritaire »
C’est sous ce titre que Marie-Laure Germon présentait le 19 novembre sur le site du Figaro les déclarations de Jacques Diouf, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). En voici un extrait.
« Au Sommet mondial de l’alimentation en 1996, 185 pays se sont engagés à réduire de moitié avant 2015 le nombre de personnes souffrant de malnutrition. Les investissements annuels nécessaires étaient évalués alors à 24 milliards de dollars par an. Avec seulement 2 % des dépenses militaires dans le monde, nous pourrions définitivement assurer le droit humain le plus fondamental, le droit à la nourriture. Mais ce soir, 854 millions d’enfants, de femmes et d’hommes sur la planète Terre n’auront pas mangé à leur faim. C’est avec cette situation tragique à l’esprit que chaque jour les agents de la FAO travaillent.
La sécurité alimentaire va devenir encore plus difficile à assurer à cause du changement climatique et de la demande croissante en bioénergie. De plus, notre planète va devoir nourrir trois milliards d’habitants supplémentaires en 2050.
Si donc l’agriculture ne devient pas l’objectif prioritaire du développement international, si les moyens nécessaires ne sont pas mobilisés pour nourrir le monde, nous allons prendre de graves risques économiques, sociaux et politiques ».
Le ministre de l’agriculture, Michel Barnier, ce 21 novembre, également sur www.lefigaro.fr, a présenté ce qui va être la position de la France dans le débat initié par la Commission européenne.
« Pas question de mettre la PAC par terre »
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La France veut revoir les mécanismes d’aide aux agriculteurs alors que Bruxelles souhaite aller plus loin dans la libéralisation.
« Nous voulons utiliser le débat actuel pour préparer l’avenir de l’agriculture européenne. Je veux que nous sortions d’une logique de guichet pour aller vers une logique de projets.
Le contexte agricole est nouveau : la demande permet de soutenir les prix. Mais il ne s’agit pas de tout mettre par terre. Nous devons conserver le principe des aides. L’agriculture doit être rémunérée pour les services qu’elle rend à la société, notamment dans l’aménagement du territoire. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas revoir le système d’aides. Certaines productions se rémunèrent plus facilement que d’autres par les prix, c’est le cas des grandes cultures. Celles-ci ont moins besoin d’aides. Ces subventions peuvent être redéployées en faveur de filières plus fragilisées comme l’élevage.
Il faut que l’agriculture trouve une forme de stabilité prenant davantage en compte les risques sanitaires, les aléas climatiques ou la volatilité des marchés. Nous travaillons aujourd’hui avec Christine Lagarde sur un système d’outils de gestion des risques agricoles.
Nous souhaitons que le redéploiement des aides ne se fasse pas uniquement en faveur des questions environnementales, mais au profit d’une activité de production dans les territoires. Nous voyons trois affectations possibles : la production laitière en montagne, le soutien à l’élevage ovin et l’agriculture biologique. Nous avons, par ailleurs un vrai problème sur les quotas laitiers.
Les quotas laitiers sont d’une certaine façon, en France, un outil d’aménagement du territoire. Les usines de transformation sont situées près des bassins de production. Sans les quotas laitiers, le lait de montagne, si spécifique, est menacé. Les quotas sont les garants d’une certaine équité. Je ne veux pas encourager le dépaysement ».
Pour sa part, Laetitia Clavreul, ce jour, sur le site www.lemonde.fr, résume les réactions des agriculteurs.
« La politique agricole commune (PAC), ils la critiquent, mais ils y tiennent, surtout à ses outils de régulation du marché. Les agriculteurs français ont réagi vivement, mardi 20 novembre, aux propositions de révision de la PAC présentées par la Commission européenne. Bruxelles veut renforcer les mesures engagées en 2003, lors de la dernière réforme, et rendre l'agriculture européenne plus réactive aux besoins des marchés. La Commission propose ainsi de réfléchir à l'efficacité, voire d'abandonner peu à peu certains outils légendaires, comme la jachère, les quotas laitiers et surtout le mécanisme de l'intervention, qui garantissait un prix de rachat aux agriculteurs.
Les communiqués des syndicats agricoles sont tombés, les uns après les autres, critiquant ces options. La FNSEA a dénoncé le "tout marché" de la Commission. "Il n'est pas acceptable que (Bruxelles) préconise l'affaiblissement des mécanismes de régulation", a ainsi estimé Orama, la branche grandes cultures du principal syndicat agricole.
"En supprimant la jachère, en supprimant ou en diminuant l'intervention pour certaines céréales sans substitution, la Commission ignore l'indispensable régulation des marchés aussi bien en termes de prix que de volumes", ont écrit les Jeunes Agriculteurs. Quant à la Coordination rurale, elle a jugé que la PAC, "qui devait assurer la sécurité alimentaire de l'Union européenne et la stabilité des prix et des productions, n'a fait qu'abandonner progressivement ses responsabilités aux mains du libre marché. Le résultat est que l'ensemble des secteurs sont gravement déstabilisés". Et conclut : "La PAC a besoin d'un sérieux redressement plutôt que d'une liquidation."
Il faut dire que ce "bilan de santé", programmé dès 2003, intervient dans un contexte de marchés agricoles bouleversés par la hausse de la demande mondiale (et des prix des matières premières). Il brouille les cartes et impose un nouveau mode de réflexion, les perspectives étant en pleine évolution. La Commission propose ainsi d'examiner si les outils actuels de gestion de l'offre "n'entravent pas la capacité de l'agriculture à répondre aux signaux du marché".
Pour les agriculteurs, ce contexte pourrait bien être à double tranchant : il pourrait provoquer des hausses de revenus, mais aussi un désengagement des politiques. Et pour les paysans, les marchés agricoles, particulièrement volatiles, ne peuvent s'autoréguler. Ils estiment que le contexte actuel devrait non pas inciter à moins, mais à tout autant de régulation, non plus pour gérer la surproduction comme avant, mais plutôt les risques de déficit de céréales ou de lait, et leurs conséquences pour les consommateurs.
Les débats ne font que commencer. Ils devraient durer tout au long de l'année 2008, et notamment durant la présidence française de l'UE ».