L’individualisme et l’affairisme au sommet de l’Etat
Le 19 juin dernier, Bernard Laporte était nommé « Secrétaire d'Etat chargé de la Jeunesse et des Sports auprès de Madame la ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports », avec prise de fonction après la Coupe du monde de rugby. C’était la première fois qu’un membre du gouvernement était nommé trois mois avant sa prise de fonction. C’est dire l’importance du personnage. Le président de la République avait anticipé la victoire de la France le 20 octobre.
C’est le même président qui avait mis son épouse sur le devant de la scène quand il est entré à l’Elysée. Cinq mois plus tard, il n’y a plus d’épouse.
Qu’en sera-t-il de son ami, Secrétaire d’Etat aux sports ? Seulement aux sports, car le président l’a déjà sanctionné. Son échec en coupe du monde, ses déclarations maladroites (mais sincères) concernant sa liberté de rester au gouvernement le temps qu’il lui plaira, ses nombreuses irrégularités fiscales présumées, dévoilées par un journal sportif, tout cela faisait beaucoup pour un seul homme…
Pour qui a suivi la Coupe du monde de rugby, il est clair que l’équipe de France, sélectionnée et dirigée par Bernard Laporte, avait été préparée pour jouer à l’anglaise (jeu essentiellement défensif et statique, basé sur la force de percussion), sans chercher à valoriser les caractéristiques du jeu à la française (jeu d’attaque et de mouvement avec passes à la main).
Ce plan était destiné à battre les Néo-Zélandais en finale ! Mais, contre les Argentins et les Anglais, cela ne marchait pas.
Les Français ont manqué d’esprit d’initiative et de capacité d’adaptation, de cohésion aussi. Autant de points faibles qu’on peut imputer aux choix de Bernard Laporte.
Pour compléter, je propose un extrait de l’article lu le 20 octobre sur le site de Libération www.liberation.fr .
« Bernard Laporte secrétaire d’Etat aux Sports, c’est un peu comme si Didier Barbelivien (autre pote de Sarkozy) était nommé ministre de la Culture. Car rien dans le parcours du désormais ex-sélectionneur du XV de France ne justifie qu’on lui ait confié ce maroquin. Rien à part sa proximité avec le président de la République.
S’il a une «vision» du sport, elle est restée pour l’instant aussi cachée qu’un ballon enfoui dans un groupé pénétrant. A l’heure où se multiplient les tentatives de privatisation du sport (tel le team Lagardère), Bernard Laporte sera-t-il un ardent défenseur du «modèle français», basé sur l’intervention de l’Etat, la solidarité entre sports professionnels et amateur, ou sera-t-il l’homme de la grande dérégulation?
Le coach pour qui le dopage, ça a toujours été les autres, en l’occurrence les adversaires – victorieux – des Français, fera-t-il de la lutte contre la performance pharmaceutiquement assistée une des priorités de son action? Mystère » (..).
Aux amateurs de rugby, je propose de consulter un blog (hébergé par Le Monde.fr), très bien documenté. Voir http://nicerugby.blog.lemonde.fr. J’en extrais une partie de l’article paru le 19 octobre sous le titre « L’ère Laporte ou l’apologie de l’individualisme ».
« Et j’en viens à réfléchir sur Bernard Laporte. Ce qui a tant plu à notre président Nicolas Sarkozy, c’est ça: Bernard Laporte est un instinctif, un homme qui s’est fait tout seul, qui est parti d’en bas pour arriver tout en haut. Un autodidacte animé d’une ambition personnelle farouche.
Sarkozy-Laporte, c’est une revanche sur l’ordre établi. On ne peut que s’incliner face à une telle volonté de réussir mais on peut se poser des questions dés lors sur son habilité réelle à générer chez les joueurs l’ambition collective. Nul doute que Laporte a été un grand entraîneur. La question est: jusqu’à quand ? Cette capacité à générer l’aventure partout où il est passé, à Bègles, au SBUC, au Stade Français puis en équipe de France est évidente mais son succès personnel l’a sans doute rattrapé ces deux dernières années. Il est devenu la star de l’équipe de France quand il aurait fallu qu’il mette en avant le talent des joueurs. Tandis que son staff était totalement transparent.
Face à cet homme au charisme évident, boulimique, autoritaire et craint, face à cet homme qui cumule les « mandats », entraîneur national, businessman, homme de pub, secrétaire d’état aux sports, face à cet homme qui d’une certaine façon glorifie le pouvoir de l’argent, les joueurs ont-ils inconsciemment lâché leur coach? Pour agir finalement comme lui et s’atteler essentiellement à leur propre réussite plutôt qu’à celle du groupe. L’ère Laporte aura donc été celle de l’individualisme ».