Droit opposable au logement : et si c’était vrai ?... Le gouvernement a fait connaître son intention de déposer un projet de loi sur le droit au logement, à quelques semaines de la fin des travaux parlementaires. Saisi en urgence, le Parlement ne pourra qu’agir dans la précipitation. Et, pourtant, le sujet est sérieux. Cette initiative aura eu, au moins, le mérite de poser le problème du logement. Quant aux solutions, elles sont diverses. L’exemple de Montréal A l’opposé de la proposition gouvernementale, un professeur d’économie politique à l’IEP de Paris suggère des mesures en faveur des propriétaires (favorisant les conditions d’expulsion) et d’autres en faveur des locataires (interdisant les multiples dépôts de garantie et de caution) s’inspirant des réalisations du Québec, à Montréal, où personne n’est à la rue et où il n’y a pas de logements vides (Le Monde, 11 01 07). L’échec des politiques d’aides au logement en France Dans Libération, ce jour, Thomas Piketty se place aussi au niveau de l’efficacité. Il fait un rappel historique intéressant, concluant à l’inefficacité des différentes formes d’incitations publiques. « Jusque dans les années 70, la puissance publique prenait directement en charge de grands programmes de construction de logements sociaux, avec certains succès mais également avec des échecs cuisants, comme en témoignent les grands ensembles et autres barres HLM aujourd'hui détruits. Depuis les années 70-80, la priorité est passée des aides à la pierre aux aides à la personne, sous la forme d'allocations logement progressivement augmentées, étendues à l'ensemble des ménages modestes et visant à solvabiliser leur demande sur le marché privé comme dans le logement social. Les allocations logement sont ainsi devenues le plus important transfert social du système français : elles totalisent en 2006 près de 15 milliards d'euros, soit près de deux fois plus que le RMI et la prime pour l'emploi réunis. Leur bilan est malheureusement mitigé. Comme l'ont montré les travaux de Gabrielle Fack, les différentes réformes du système permettent d'estimer qu'environ 80 % des allocations logement se sont répercutées en hausse des loyers perçus par les propriétaires, sans amélioration sensible de la qualité. Ce résultat décevant semble s'expliquer par la très faible élasticité de l'offre de logement : la construction privée n'a que très peu réagi aux nouvelles incitations ». Le « droit opposable » selon Jacques Nikonoff
Sur le thème du droit opposable, Jacques Nikonoff se montre pédagogue dans un article du journal en ligne ReSPUBLICA n° 502 (www.gaucherepublicaine.org). « L'initiative de l'association les Enfants de Don Quichotte pour le logement des Sans domiciles fixes, largement relayée par les médias, a mis sur le devant de la scène la notion de " droit opposable " au logement (…). Précisément au moment où 2006 est présentée comme une " année en or " pour la finance mondiale (voir sur ce blog l’article paru le 9 janvier dernier). Il serait donc question de mettre en oeuvre un droit " opposable " au logement ; de quoi s'agit-il ?
En France le droit au logement, comme d'autres droits, existe depuis longtemps. Sur le papier. Car il est nécessaire d'opérer une distinction entre les droits sociaux. Certains ne sont que de l'encre sur du papier. Ils peuvent certes figurer dans des textes de loi (par exemple le droit à l'emploi qui figure même dans la Constitution), mais ils sont considérés comme des droits indicatifs ou " programmatiques ". Ils ne sont qu'une simple orientation, un cap que se donne l'Etat. Ils ne sont associés à aucune obligation de résultat de la part de l'Etat et n'accordent aucune garantie aux citoyens.
D'autres droits sociaux sont dits " opposables ". Le droit " opposable " permet en effet à tout citoyen de faire condamner par la justice toute autorité politique qui ne respecte pas la loi, et d'obtenir réparation quand un droit n'est pas respecté.
Le droit " opposable ", pour se matérialiser, repose sur trois conditions
- Désigner une autorité politique responsable. Ce doit être en général l'Etat. C'est ce dernier en effet, pour reprendre une expression tombée en désuétude, qui est en charge de la " bienfaisance nationale " (…).
- Doter cette autorité des moyens et prérogatives nécessaires. Pour être effectif, le droit au logement par exemple induit un " devoir de loger ". Pour le droit à l'emploi, l'Etat aurait l'obligation de proposer des emplois ; pour le droit aux soins, il doit organiser l'accès aux soins pour tous, etc. Le droit n'est plus un simple objectif indicatif pour les politiques publiques, la puissance publique est contrainte par une obligation de résultat sous peine de sanction. Tout citoyen en difficulté pour accéder ou se maintenir dans le logement bénéficiera par conséquent d'une aide qui lui permettra effectivement d'être logé ou relogé.
- Ouvrir des voies de recours pour le citoyen. Le droit est garantit par des voies de recours auprès d'une autorité politique responsable. Elles sont d'abord amiables puis en dernier ressort juridictionnelles.
Deux droits opposables actuellement
Aujourd'hui, seuls deux droits fondamentaux sont déjà opposables : le droit à la scolarité et celui à la protection de la santé. Une éducation doit être garantie aux enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales étant clairement établies. Si l'inscription scolaire d'un enfant pose un problème, il existe des voies de recours, y compris devant le tribunal administratif. En clair si vos enfants ne sont pas pris à l'école, vous pouvez porter plainte et vous êtes sûr de gagner...
Le droit à la protection de la santé ne permet pas d'imaginer un refus d'accorder des soins de la part d'un hôpital. D'autant qu'il existe l'obligation d'assistance à personnes en danger, appliquée notamment grâce au " caractère universel, obligatoire et solidaire de l'assurance maladie " (article L. 111-2-1 du Code de la Sécurité sociale).
Tous les enfants de moins de seize ans seraient-ils scolarisés ? On peut en douter car certains d'entre eux, selon des critères opaques, feraient l'objet d'un refus d'inscription sous des prétextes variés : nombre insuffisant d'écoles ou de classes construites ; manques d'enseignants ; budgets trop faibles... En vérité, c'est l'établissement de l'instruction publique laïque, gratuite et obligatoire qui a contribué à la construction des écoles, et non l'inverse. De même, c'est le droit au logement opposable qui contribuera à la construction suffisante de logements sociaux.
En matière de santé, le schéma américain se mettrait vite en place : sur le brancard et aux urgences, la première démarche de l'hôpital faite auprès des patients serait de leur demander leur carte de crédit...
Il paraîtrait logique et conforme à l'esprit des Lumières, poursuivi dans le programme du Conseil national de la Résistance, de commencer par les droits établis dans le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante de la Constitution de 1958 actuellement en vigueur :
Le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes : " La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. "
Le droit à l'emploi : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. "
Le droit au respect : " Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. "
Le droit de participation à la gestion des entreprises : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises."
Le droit au service public : "Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité."
Le droit au revenu : "Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence."
Le droit à la formation professionnelle et à la culture : "La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture."
Malgré le grand nombre de droits inscrits dans les textes juridiques, pourquoi si peu sont opposables et restent lettre morte ? Les obstacles sont d'ordres idéologique, politique et culturel, et liés à une certaine conception de la propriété et de la concurrence.
Le logement, pour reprendre cet exemple, est aujourd'hui un marché. Pour les libéraux, la catastrophe guette car un droit opposable au logement reviendrait à permettre à toute personne dépourvue d'un logement d'en occuper un, même si elle se trouve dans l'incapacité d'en payer le prix de marché. La charge du logement serait alors transférée sur les contribuables, comme tout financement de droits opposables.
Toute tentative de faire appliquer le droit au logement ne pourrait donc qu'encourager la construction massive de logements sociaux par la puissance publique, augmentant les dépenses sociales de la nation et provoquant une concurrence déloyale avec le secteur privé. Le logement social, en outre, en proposant des loyers inférieurs à ceux résultant de la confrontation de l'offre et de la demande sur un marché " libre ", engendrera mécaniquement une baisse du prix des loyers dans le secteur privé. Horreur ! La sphère publique dominera la sphère privée.
C'est certainement sur le terrain des droits opposables que la campagne électorale qui débute sera la plus intéressante. Car le droit opposable condense à lui seul toute la question libérale. Il pose d'abord le problème de la finalité de l'économie. Avec des droits opposables qu'il faut financer, l'économie est remise à sa place qui est de produire des richesses permettant de répondre aux besoins de la population. On produira biens et services pour permettre l'application du droit au logement, aux soins, à l'éducation, etc. C'est l'orientation générale de l'économie qui est changée, les activités productives seront par nature économes en énergie et en pollutions.
Ensuite, l'autre mérite du droit opposable est d'entrer dans le détail. Nulle vague promesse électorale n'est possible. Il faut être concret et débattre des moyens de réaliser le droit. C'est le retour de la politique contre la marche au hasard de l'économie de casino.
Cette perspective a été esquissée dans la Charte antilibérale et dans le Manifeste d'Attac. Il faut maintenant lui donner l'ampleur et le souffle requis par la situation ».