Le 6 mai 2007 marque une rupture dans l’histoire électorale française. La large victoire de Nicolas Sarkozy clôt le cycle ouvert avec la conquête de l’Elysée par François Mitterrand le 10 mai 1981. Pour la première fois depuis une trentaine d’années, le camp sortant est renforcé à l’issue d’une élection dévolutrice du pouvoir national (scrutin présidentiel ou législatif, à l’exception de ceux qui se sont déroulés dans la foulée d’une compétition élyséenne). La France a changé de couleur politique en 1981, 1986, 1988, 1993, 1997 et 2002. Un coup à gauche, un coup à droite et ainsi de suite. La présidentielle de 1995 constitue la seule exception à cette loi des alternances systématiques. Mais elle n’en est pas vraiment une si l’on se rappelle que Jacques Chirac avait pris la posture de l’alternative sociale face au Premier ministre sortant Edouard Balladur. Si le candidat de l’UMP a réussi à incarner le changement, en rupture avec l’héritage chiraquien, la signification politique de son succès est très différente. Non seulement la droite se maintient au pouvoir, mais elle a gagné sur une orientation plus à droite que jamais. La théorie de l’essuie-glace est obsolète. En qualifiant Jean-Marie Le Pen au second tour et en élisant ensuite Jacques Chirac, le pays avait déjà manifesté son désaveu de la gauche en 2002. Cinq ans plus tard, il confirme spectaculairement son rejet d’un camp qui a gouverné quinze ans au cours de la dernière période et qui espérait que son tour allait revenir automatiquement. La défaite de Ségolène Royal était inscrite dans les chiffres du premier tour. Et sa stratégie de l’entre deux tours n’a pas été couronnée de succès. En dépit de toutes ses tentatives pour séduire l’électorat centriste, celui-ci s’est partagé de façon presque équitable. D’après l’enquête TNS-Sofres réalisée le jour du vote, 40% de ceux qui avaient voté pour François Bayrou au premier tour ont soutenu Sarkozy au second. Et une proportion égale a voté en faveur de Royal. Cette quête d’un appoint vers le centre n’a pas trop entamé le soutien des électeurs de la gauche non socialiste. Quelques 70% d’entre eux ont soutenu la candidate socialiste hier. Sarkozy a réussi à gagner une majorité en ajoutant à son bon score de premier tour des suffrages venant du centre comme de l’extrême droite. Aidé par le soutien de la grande majorité des élus UDF, le candidat de l’UMP a profité du vote de près de la moitié des électeurs de François Bayrou alors même que celui-ci avait déclaré qu’il ne voterait pas pour lui. Il a encore bénéficié du report de 66% des électeurs de Le Pen du 22 avril. Seulement 19% d’entre eux se sont abstenus, conformément aux consignes du président du FN, soit un pourcentage presque équivalent à celui des électeurs du FN qui ont voté Royal hier (16%). Avec environ 53% des suffrages exprimés, le candidat de l’UMP obtient le meilleur score d’un candidat opposé à la gauche sous la Vème République général après le général de Gaulle en 1965 (55,2%). La dynamique de fin de campagne a joué en sa faveur. Contrairement à ce qui s’était passé lors des précédentes batailles présidentielles, le duel télévisé de deux finalistes a fait bouger les lignes. Le candidat de droite avait alors brutalement gagné plusieurs points d’intentions de vote. Les Français ont confirmé leur excellente mobilisation du premier tour. Le taux d’abstention (environ 15% des inscrits) est équivalent à celui du 22 avril (14,7% en métropole). Il se situe parmi les plus bas de l’histoire de la Vème République pour un deuxième tour de présidentielle. Jean-Marie Le Pen a été dimanche désavoué une seconde fois. Son appel à l’abstention massive n’a visiblement pas été entendu par les électeurs qui avaient continué à lui faire confiance il y a quinze jours. Le maintien d’un taux équivalent de participation ne signifie pas que ce sont les mêmes électeurs qui ont voté hier et le 22 avril. Certains électeurs, de gauche, centristes ou lepénistes, se sont vraisemblablement abstenus. En sens inverse, des abstentionnistes du 22 avril ont pris le chemin des bureaux de vote. Sarkozy a sans doute profité de cette mobilisation. Mais de nombreux électeurs se sont aussi manifestés pour empêcher, au minimum, une trop nette victoire de la droite. La sociologie des votes montre que la gauche a conservé ses positions de forces. Sarkozy n’est majoritaire qu’à partir de 50 ans. Le vote Royal est écrasant (65%) parmi les salariés du secteur public alors qu’il est minoritaire chez ceux du privé (46%). En dépit des efforts du candidat de l’UMP auprès des catégories populaires, il a été minoritaire à la fois chez les employés (44%) et chez les ouvriers (41%). Un certain « peuple de droite » a soutenu Sarkozy : 60% des Français sans diplôme et 54% de ceux qui disposent des revenus les plus bas. Mais il s’en faut de beaucoup que le candidat de l’UMP ait convaincu la majorité des milieux populaires. Une certaine résistance de l’électorat de gauche, inquiet face à la perspective d’une trop large victoire de Sarkozy, a profité à la candidate socialiste. La gauche n’a pas disparu du paysage électoral malgré la défaite essuyée hier. Les élections législatives qui se déroulent dans la foulée des présidentielles n’ont pourtant jamais démenti le verdict de ces dernières. Au vu des résultats d’hier, les élections législatives des 10 et 17 juin s’annoncent sous les meilleurs auspices pour la droite. Article publié dans le Figaro du 7 mai 2007.