Intervention de Patrick QUINQUETON, Conseiller d’Etat, Secrétaire national MRC.
Ce qu’est le traité constitutionnel européen :
Après un préambule, la partie I (qui n’a pas de titre) est la partie institutionnelle, issue de la Convention sur l’avenir de l’Europe, présidée par Giscard. La partie II est la charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000. La partie III présente les politiques. La partie IV concerne les dispositions générales. Puis on trouve les annexes, protocoles et déclarations.
La partie I se présente comme un face-à-face entre l’UE et chaque pays. La difficulté est de se connaître entre pays. Même entre la France et l’Allemagne, il y a une grande ignorance de ce qui se passe chez l’autre. Par exemple, qui sait que l’Allemagne est en train de réformer son école en s’inspirant du modèle français ?
La partie II n’est pas originale pour nous mais elle comporte des silences (par exemple sur la laïcité) et des insuffisances notoires (droit de rechercher un emploi…). Le droit de grève n’est pas présenté clairement.
La partie III est plus originale et plus contestable. C’est un programme politique, qui n’a pas sa place dans une « constitution », dont la durée de vie espérée est 50 ans (selon Giscard lui-même). C’est la reprise de textes orientés depuis le début vers la construction d’un grand marché (le marché du charbon et de l’acier, le marché commun). Le monde a changé. Aujourd’hui, le marché est commun… pour les autres !
Les annexes et protocoles sont des documents intéressants, qu’on évoque rarement. Chacun peut constater que l’Europe n’est pas une construction abstraite : il y a des arrangements sur les sujets qui fâchent. Par exemple, en 1957, la signature du traité de Rome a été retardée d’un jour en raison d’un désaccord de l’Allemagne sur le problème de l’importation de bananes.
Nos critiques
Ce traité est favorable à la finance, aux idées monétaristes, au détriment de l’industrie, du travail et de l’emploi.
La pleine liberté du commerce, sans organisation, conduit au démantèlement des systèmes sociaux.
Une banque centrale indépendante n’est indépendante que des peuples, pas des marchés financiers. C‘est le seul exemple au monde. Depuis 5 ans, l’euro s ‘est réévalué de 60% par rapport au dollar, ce qui pénalise la compétitivité de la zone euro, et bénéficie aux entreprises américaines et chinoises, notre grand marché étant totalement ouvert.
Les problèmes sociaux sont négligés dans ce traité
On peut le constater à partir de ce qu’il dit mais aussi de ce qu’il ne dit pas sur le social (naïvement ou cyniquement, par exemple quand la conséquence est de rétablir le travail de nuit des femmes au nom de l’égalité homme-femme).
Il n’y a rien sur les salaires et les délocalisations, ni sur l’harmonisation des conditions sociales.
Mais on peut le constater aussi à partir de ce qu’il ne dit pas, par exemple sur les services publics : il sera difficile pour une collectivité locale, en matière de distribution des eaux, de mettre fin à une gestion déléguée afin d’en reprendre la gestion directe. Avec ce texte, la collectivité devra faire la preuve qu’elle est capable d’être plus compétitive qu’une entreprise privée.
Ce traité est, comme les précédents, peu démocratique :
Ceci est dû à la « méthode du détour » choisie par Jean Monnet, l’inspirateur de l’Europe, pour faire accepter par les gouvernements nationaux ce qu’ils ne voulaient pas, en se servant de la Commission européenne (dont l’ancêtre était la « Haute Autorité » de la CECA) qui fait ce qu’elle veut.
Les gouvernements reportent la responsabilité sur « Bruxelles », comme s’ils n’y étaient pour rien dans les décisions.
L’Europe se méfie des peuples depuis le début de la construction européenne.
Le mot « nation » n’existe pas dans ce traité. Il n’y a que des Etats membres.
L’Europe évite les nations. Pourtant, elles forment le cadre de la démocratie. Dans tous les pays, les députés au Parlement européen sont souvent des recalés du suffrage universel national.
Ce parlement ne fonctionne pas selon les principes démocratiques habituels (avec une majorité et une opposition) et n’a pas les pouvoirs d’un vrai parlement. Jusqu’à présent, les décisions étaient prises par consensus entre les deux grands groupes (PPE et PSE).
Il n’y a pas de débat public européen, en raison des différences entre pays, notamment les langues. Le débat public exige de pouvoir communiquer et de bien connaître ce qui se passe chez les autres.
Ce traité est celui d’une Europe faible :
Une Europe alignée sur les USA, par le biais de l’appartenance à l’OTAN de la plupart des Etats membres.
En 2003, l’esprit d’indépendance de la France, conjuguée au pacifisme allemand, a permis d’éviter le suivisme vis-à-vis des USA en Irak, ce qui aurait été plus difficile dans le cadre du traité constitutionnel.
Une Europe qui craint les coopérations entre ses membres (les conditions sont difficiles à remplir), ce qui est absurde au vu des initiatives nécessaires à prendre à quelques-uns au départ, comme ce fut le cas avec Ariane et Airbus (France et Allemagne, d’abord puis avec d’autres).
Les coopérations renforcées sont la seule possibilité de développer des activités. Elles sont entravées dans ce traité.
Que se passera-t-il si le NON l’emporte le 29 mai ?
Dans ce cas, le traité de Nice continue de s’appliquer (il s’applique de toute façon jusqu’en 2009).
Le non français n’est pas anti-européen… même s’il est attaché aux acquis républicains, à la laïcité, aux services publics.
Il entre dans une conception dynamique évolutive qui intéresse tous les Européens. De même, l’indépendance de notre politique étrangère constitue un élément décisif de ce que sera l’indépendance européenne.
Le non français n’est pas xénophobe (celui-ci est inaudible).
C’est un non qui pointe les insuffisances du traité et exprime une autre conception de l’Europe.
Concrètement, que se passerait-il ? Le premier ministre britannique serait bien content de ne pas organiser de référendum chez lui, mais il est probable que les procédures nationales de ratification continueraient. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Pologne, les consultations populaires peuvent donner lieu à des votes négatifs.
En France, il reviendra au président de la République de décliner les raisons de l’opposition du peuple à la ratification du traité. Il pourra proposer à ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement : , il reviendra au de décliner les raisons de l’opposition du peuple à la ratification du traité. Il pourra à ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement :
le retrait de la partie III,
le changement de statut de la Banque Centrale européenne (suppression de l’indépendance, politique de l’emploi et de la croissance dans la zone euro, politique monétaire),
la définition de ce qu’est l’Europe, ainsi que son environnement proche (la Turquie, la Russie, le Maghreb),
l’action contre les délocalisations internes par l’unification progressive des systèmes fiscaux et sociaux, même si cela risque de heurter certains intérêts à l’est (en Estonie, la fiscalité sur les entreprises est nulle, mais ce pays perçoit des aides européennes financées notamment par l’Allemagne et la France, principaux contributeurs nets).
Le non français serait un événement politique en Europe :
On ne demandera pas à la France un second vote, comme ce fut le cas pour le Danemark (traité de Maastricht) et l’Irlande (traité de Nice).
Le traité constitutionnel est le produit d’une construction européenne très marquée par ses choix initiaux (priorité aux marchés, délégation du pouvoir politique floue et mal assumée conduisant à des pratiques peu démocratiques).
Le monde a changé. L’Europe doit avancer autrement maintenant.
Précisions et compléments, en réponse aux questions de la salle
Conséquences d’un non français au référendum ? Il aurait un impact lié à l’effet de masse (15 à 20 millions de personnes votant non, ce n’est pas rien…).
En Allemagne, la loi fondamentale (la constitution allemande de 1949) ne prévoit pas le référendum, en souvenir des mouvements de foule hitlériens. Mais les Allemands ne sont pas indifférents à ce qui se passe en France.
Le non français est un non positif pour bloquer une dérive. Il ouvrirait le débat européen, qui n’a pas eu lieu, sauf en France et un peu en Belgique.
Sur la base du résultat du vote du 29 mai, la France engagerait des consultations politiques auprès de ses partenaires et de la présidence de l’Union européenne, non pour procéder à un rafistolage mais pour examiner les mesures possibles à prendre, sans que s’interrompe la procédure de ratification.
Il y aurait le temps de la réflexion. Le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement) reprendrait la main et serait dans son rôle, qui est de définir les orientations politiques de l’Union.
Actuellement, s’exprime une vision négative du politique : « tous pourris », ce qui n’est pas vrai, ou « on n’y peut rien, c’est la faute à Bruxelles », ce qui reporte les décisions sur les autres….
L’intérêt majeur du non français serait de (re)lancer le débat politique en Europe et dans chaque Etat.
Et, ainsi, de réintroduire le politique dans la construction européenne.
Fédéralisme européen ?
Cela suppose qu’il y ait, au niveau central, des compétences importantes, comme, par exemple, en Allemagne ou aux USA, avec un Etat fédéral coiffant des Etats.
Les différences entre l’Allemagne et la France sont historiques :
L’Allemagne fut une langue, une culture, bien avant d’être un Etat regroupant des Etats différents existants. L’Autriche, ce sont des Allemands qui ont pris leur autonomie.
En France, il n’y a qu’un Etat. La France a existé sous la forme d’un Etat, qui s’est créé progressivement (sous Philippe le Bel et surtout Henri IV et Louis XIV). Son origine n’est pas ethnique. Longtemps, le français n’a été parlé que dans une partie de la France. La Révolution et la République ont ajouté les notions de nation, de souveraineté populaire et nationale, de citoyenneté. La France est une nation politique.
Europe fédérale ou non ?
Ce n’est pas l’essentiel. L’Europe est une construction originale. L’euro est d’essence réellement fédérale, ce qui rend nécessaire un gouvernement économique interne (zone euro), au sein de l’Union. Par contre, la politique étrangère reste au niveau des Etats.
Le vote non est possible dans d’autres pays :
Au Royaume-Uni, ce serait pour d’autres raisons. Pour des raisons historiques), les Anglais ne remettront jamais en cause leur lien avec les USA, car c’est une ex-colonie anglaise. Leur appartenance à l’Europe sera toujours relative.
Aux Pays-Bas, ce pourrait être un non de lassitude. Les Néerlandais se posent des questions sur ce qu’ils sont. Leur société libérale, très ouverte, subit une crispation qui sème le doute.
En Pologne, il y a la tentation de voter non. Mais le réflexe européen peut être plus fort.
La valeur juridique des différentes parties du traité ? Elle est déterminée par le droit international, comme tous les traités. Une distinction est faite entre le corps du traité et les annexes d’une part, qui ont la même valeur du point de vue international, et les déclarations d’autre part, qui forment une zone grise, sujette à discussion.
Le traité constitutionnel comporte une avancée de type fédéral en ce qui concerne la cour de justice européenne, laquelle interprétera le traité comme une constitution, si l’on se fie à l’orientation générale de ses jugements.
Elle pourrait faire de ce pouvoir un usage, bon ou mauvais, cette dernière possibilité étant la plus probable, notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux de la partie II (avancée ou perversité ?).
C’est la première fois que l’Union européenne reconnaît des droits, avec effets juridiques de droits positifs.
Les Parlements nationaux pourront se porter devant la justice. Surprenant, mais est-ce un progrès ? Ils n’auront pas le rôle qu’ils devraient avoir. Ils devraient être associés positivement aux travaux du Parlement européen.
La grande innovation est l’attribution de la personnalité juridique à l’Union.
Il y aura des conséquences vis-à-vis des tiers dans les domaines de sa compétence (notamment commerciales à l’OMC). Cela lui offre le pouvoir d’emprunter, mais elle refuse d’utiliser cette possibilité.