Ils demandent des prix pour ne pas produire à perte
C’est un scandale. La gestion néolibérale de la politique laitière par les institutions qui portent (bien mal) le nom d’Union européenne est calamiteuse. Tout est fait en dépit du bon sens. Sauf quand il s’agit de respecter les intérêts des grands groupes industriels et commerciaux.
Voici ce qu’ont déclaré trois grandes organisations de producteurs, à l’occasion de la conférence sur la politique laitière européenne organisée à Fougères le 29 novembre 2012 par la Confédération paysanne et la Coordination européenne Via Campesina (ECVC).
Il s’agit de ECVC, EMB (European Milk Board) et FFE (Fairness for Farmers in Europe), qui ont publié la déclaration suivante.
Résumé
Les producteurs ne veulent pas produire plus pour gagner moins.
On ne peut baser une économie laitière saine sur la vente à perte (prix du lait au-dessous des coûts de production).
Non à la privatisation de la politique laitière européenne (contractualisation).
La régulation de la production est indispensable au maintien d’une production laitière paysanne durable bien répartie sur le territoire européen.
Le « paquet lait » adopté au début de cette année par l’UE, au lieu de résoudre les problèmes auxquels font face les producteurs européens, livre ceux-ci au bon vouloir de l’industrie de transformation.
Sans maîtrise de la production, le pouvoir de marché des producteurs et de leurs OP (organisations de producteurs) ne sera pas renforcé. Quand il y a trop de lait, le prix est bas.
La contractualisation, qui ne prend pas en compte les coûts de production, sera favorable à l’industrie, pas aux producteurs.
Faire croire aux producteurs européens que leur avenir est dans l’exportation est un leurre : l’industrie et la grande distribution veulent surtout disposer d’une matière première à des prix plus bas. Or, nous ne voulons pas produire plus pour gagner moins. Rappelons que l’UE est déjà excédentaire et importe beaucoup d’intrants nécessaires à ces exportations.
La priorité, au contraire, doit être donnée à l’approvisionnement du marché européen, avec arrêt des exportations à des prix inférieurs aux coûts de production européens. Pour que les producteurs cessent de vendre à perte, nous proposons qu’un couloir de prix soit établi autour du coût moyen de production, qui serve à une adaptation à la baisse ou à la hausse de la production des exploitations.
Une politique publique forte est plus que jamais nécessaire, pour ne pas laisser les producteurs, maillon faible du secteur, entre les mains des firmes d’amont et d’aval.
Les producteurs de lait EMB ont rappelé aux institutions européennes qu’ils existent :
Deux jours de manifestations des producteurs de lait à Bruxelles
Le marché du lait est en flammes. C’est pourquoi les producteurs et productrices de lait se sont rendus à Bruxelles, afin d’attirer l’attention sur leur situation intenable et d’éteindre de façon symbolique le feu qui ravage les marchés laitiers. Depuis longtemps, les prix du lait sont inférieurs aux coûts de production, ce qui a déjà poussé des milliers de producteurs à abandonner leur ferme.
Bruxelles, les 26 et 27 novembre 2012. Environ 2500 membres du European Milk Board (EMB), la confédération européenne des organisations de producteurs laitiers, ainsi que des organisations sympathisantes, sont venus manifester avec près de 1000 tracteurs dans la capitale européenne, dans le cadre de l’action « 1000 tracteurs à Bruxelles ».
Le but de la manifestation est d’amener les décideurs politiques à assumer leurs responsabilités et à prendre des mesures efficaces pour le marché. Pour souligner leurs revendications, les producteurs laitiers ne quitteront pas les lieux pendant deux jours et passeront la nuit dans un grand chapiteau dressé devant le Parlement européen. « Les collègues du secteur sont venus en grand nombre de toute l’Europe. Cela montre à quel point l’avenir de l’agriculture paysanne au service des consommateurs leur tient à cœur. Cet avenir ne peut être assuré que grâce à une régulation flexible de l'offre, par le biais d'une agence de surveillance européenne pour le marché laitier », explique le président de l’EMB, Romuald Schaber.
La surproduction actuelle met le feu aux marchés laitiers en Europe. Il incombe dès lors aux Institutions européennes de prendre les mesures adéquates afin d’éteindre ce feu. C’est ce que les manifestants ont voulu montrer de manière symbolique, en arrosant de lait les bâtiments du Parlement européen à l’aide de tuyaux d’incendie. Une action de commémoration sur le thème de la disparition des fermes partout en Europe est également prévue. Par ces actions, les producteurs de lait souhaitent montrer aux décideurs politiques européens leur situation dramatique et souligner l’importance de mesures efficaces dans le cadre de la réforme de L'UE de l’organisation commune des marchés agricoles.
Selon Romuald Schaber, « il est impératif de mettre fin à la disparition des fermes en Europe, aux conséquences dramatiques pour notre société. Cette réalité est due à la surproduction absurde et à la pression sur les prix qui s’en suit. Des actions de commémoration pour tous nos collègues qui ont été poussés à abandonner leur ferme ne peuvent devenir la règle. »
Voir les images : ASSOCIATION NATIONALE DES PRODUCTEURS DE LAIT indépendants
Et le compte rendu de la manifestation de Bruxelles 26-27 novembre, par André LEFRANC, président de l’APLI (ASSOCIATION NATIONALE DES PRODUCTEURS DE LAIT INDEPENDANTS) - Télécharger le PDF
Seule l’EMB est capable de réunir plus de 13 pays dont la Pologne, la Lituanie et la Croatie. Il faut noter également la présence remarquée des JA belges venus rejoindre l’EMB.
Aucune autre profession ou production n’est capable de fédérer de la sorte pour la défense d’idées communes ou d’organiser un tel rassemblement. Il fallait voir ce défilé de plus de huit cents tracteurs, cette manifestation gigantesque, les rues de Bruxelles saturées, les bâtiments de la Commission Européenne arrosés de lait pendant qu’à l’intérieur, on discutait, bien au chaud, de notre avenir.
Alors une fois de plus, on peut tirer un coup de chapeau pour l’excellente organisation de l’EMB avec son chef d’orchestre hors normes : Erwin Schöpges*.
Nous étions plus de 2000, lundi pour cette première journée, très réussie, unis pour la défense des producteurs de lait européens et faire infléchir les responsables afin qu’ils prennent les décisions politiques qui s’imposent pour une régulation de l’offre, seule solution qui permettra d’obtenir des prix payés aux producteurs qui couvrent leurs coûts de productions.
Chaque pays a présenté l’actualité laitière de son pays. Il est clair que les prix payés ne couvrent aucun coût de production européen !
Après la démonstration de force, place, le lendemain aux rencontres avec les responsables. M. Paolo de Castro, président de la commission agricole du parlement européen,
(http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/96891/PAOLO_DE%20CASTRO.html) s’étant dérobé la veille, est finalement venu à la table ronde. Il aurait peut-être mieux valu qu’il ne se déplace pas, car nous avons, hélas, pu découvrir un président de la Commission Agricole, coupé du monde et de la réalité, qui ressemble plus à un extraterrestre venu parler à des gueux de terriens qu’à un représentant du peuple (italien) s’adressant à des responsables professionnels. Son arrogance et son comportement étaient insupportables. Il était plus soucieux du nettoyage de ses vitres que du devenir des paysans.
S’il veut vraiment une libéralisation de la production laitière pour envahir le marché mondial, dans ce cas qu’il se rémunère au prix de la main d’oeuvre mondiale. Pressé de retourner travailler ( ?) ou à ses affaires, il n’a eu que peu de temps à nous consacrer. Et pourtant, une heure passée avec les paysans lui aurait sûrement plus appris que trois semaines dans son cocon avec la vision « science-fiction » des européens dominant le marché agricole mondial.
En réalité, nous avons eu face à nous, un président de la commission agroalimentaire qui spécule et serait capable de manger du caviar devant des affamés.
Ces gens que nous payons, créent la famine et la misère sous couvert de nourrir le monde.
Oxfam nous a affirmé son soutien en précisant que la régulation contribuera au respect des éleveurs européens, et surtout à la non concurrence avec les éleveurs des pays émergents. Nous avons ainsi obtenu le soutient du Bénin, du Mali et de la Mauritanie pour cette manifestation. Ensuite nous avons eu la commémoration émouvante rassemblant tous les pays autour de bougies symbolisant les 157 000 producteurs disparus depuis 2009.Un agriculteur de chaque pays est venu déposer une bougie à l’effigie de son pays en énonçant le nombre d’exploitations disparues depuis 2009.
Dacian Ciolos, commissaire à l’agriculture et au développement rural, quant à lui, a pris le temps de venir nous rencontrer, d échanger et de nous assurer de sa volonté de mettre en place des groupes de travail indépendants dans chaque pays pour avoir de réelles informations objectives malgré la difficulté de faire changer les choses rapidement.
Une manifestation de plus ? Certains le diront, ceux qui se résignent, ceux qui se désespèrent, ceux qui pensent s’en sortir tout seuls ? Ce mouvement aurait vraiment mérité une présence beaucoup plus suivie des français. Nous ne pouvons que déplorer notre faible participation. Bravo, cependant, aux 40 tracteurs de la Meuse et du Nord ainsi qu’à toutes les voitures organisées par les départements.
En ce moment, où tous les autres pays attendent de voir ce que donnera la contractualisation française, copiée sur le désastre suisse, il est temps de nous ressaisir, de nous mobiliser pour rejoindre FMB et faire adhérer nos collègues à cette seule OP transversale pouvant nous sortir de ce marasme.
Je demande solennellement à tous les départements de se mobiliser, d’organiser des réunions dans tous les cantons afin de faire adhérer massivement les producteurs à FMB, c’est le meilleur moyen, pour nous, de peser dans les négociations et d’être entendus dans les groupes de travail prochainement mis en place.
* Voir LES VACHES ET LES PRISONNIERS (vidéo de la radiotélévision belge francophone).
Voir Bruxelles : grande manifestation antilibérale des producteurs de lait EMB - 23 novembre 2012.
Des députés au Parlement européenétaient présents aux côtés des manifestants. C’est le cas de José Bové et d’Isabelle Durant, vice présidente (belge) du Parlement Européen.
Voir Nous_n-avons_pas_besoin_de_lait_chinois par pk65.
Les organisations de solidarité internationales soutiennent les producteurs laitiers
Lorsqu’il y a trois ans la crise du lait éclata, les ONG belges et de nombreuses organisations paysannes d’Afrique s’étaient mobilisées pour soutenir les revendications légitimes des producteurs laitiers engagés dans la grève du lait. Défendre un prix juste et rémunérateur pour les productions des paysans du Nord, comme pour les agriculteurs et paysans du Sud, était et est toujours une demande légitime et fondée, vu la dégringolade des revenus de nombreux producteurs laitiers.
Producteurs du Nord et du Sud victimes de la dérégulation
Mais les ONG s’étaient également mobilisées parce qu’à la source de la crise du lait, crise dont nous ne sommes toujours pas sortis, il y avait cette volonté manifeste de la Commission européenne de déréguler davantage le marché laitier, à travers une augmentation progressive des quotas. Cette augmentation de la production – qui ne peut être écoulée sur le marché interne, étant donné que l’Union se trouve déjà dans une situation de surproduction structurelle – ne réglera pas le problème de prix rémunérateurs et stables, bien au contraire. Elle mène à encore plus de production et des prix trop bas. Les laiteries doivent écouler une plus grande partie de leur production sur les marchés extérieurs (voir tableau ci-dessous), sans que les producteurs laitiers ne bénéficient de prix rémunérateurs. Ces exportations empêchent les producteurs laitiers des pays du Sud de développer leurs propres filières laitières et de vendre leur lait sur leurs marchés locaux.
Régulation des volumes est la seule solution
En supprimant les quotas laitiers, l’Union Européenne a décidé de se défaire de son instrument de régulation principal. La commission européenne, avec son nouveau commissaire, reconnaît aujourd’hui la nécessité de réguler les prix, mais elle ne sait comment sortir d’un problème dans lequel elle s’est elle-même enfermée en démantelant les outils de régulation permettant d’y arriver. Les ONG s’opposent à " exporter " les conséquences de la dérégulation du marché laitier européen, rappelant les effets désastreux sur les pays du Sud. Quel sens y a-t-il à soutenir les efforts des organisations paysannes des pays du Sud pour développer leurs productions locales, via l’aide au développement, si cette même production est mise à mal par une politique agricole qui produit des excédents ? C’est pourquoi nous soutenons la revendication centrale des producteurs laitiers, qui est de réguler les volumes de production pour les ajuster à la demande réelle.