La France du nucléaire doit aussi balayer devant sa porte
Tout ce qui permet de clarifier le débat sur la question de l’énergie nucléaire est utile. Car, dans une vraie République, c’est le peuple qui doit avoir le dernier mot en ce qui concerne les choix énergétiques de la nation.
C’est pourquoi j’accueille avec intérêt l’article paru hier sur le site Marianne2, reprenant le texte du blog Economique et Social. Celui-ci met en cause des carences constatées au Japon, mais il ne se limite pas à cela. Il cherche à comparer avec l’organisation de la filière nucléaire française. Autrement dit, c’est un complément indispensable à l’article paru hier sur le blog du MRC 53 : Discipline, sang-froid et dignité sont une règle de vie pour les Japonais - 18 mars 2011.
MAUVAISE PROTECTION CONTRE LES SÉISMES
La première chose qui choque c’est que la centrale de Fukushima était construite pour ne résister qu’à un séisme de magnitude 7. Or le séisme qui a eu lieu était de magnitude 8,9 ! Cela n’a l'air de rien, mais si l’on regarde la définition de la magnitude qui n’est pas linéaire, cela revient à avoir sous-estimé les séismes d’un facteur 80 environ. Il y a bien eu sous-estimation de la puissance possible des séismes dans cette région. Ce constat n’est pas nouveau déjà en 2006 : Ishibashi Katsuhiko faisait partie du comité d'experts établissant les normes sismiques des centrales nucléaires japonaises avait démissionné pour protester contre l’inconscience du comité. « À moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche. » Avait-il annoncé de manière presque prémonitoire dans un article daté du 11 août 2007 dans l’Herald Tribune. Tout le monde à l’époque au Japon avait ignoré ses avertissements, il a finalement eu raison.
Son avertissement était pourtant basé sur des faits avérés : en août 2005, un séisme avait affecté la centrale d'Onagawa (nord de Fukushima). Le pire est qu’il a eu raison bien avant 2011. Le 16 juillet 2007, un séisme de magnitude 6,8 a endommagé sérieusement la centrale de Kashiwazaki-Kariwa. De forts séismes ont eu lieu en mars 2007 puis en 2008.
Ishibashi Katsuhiko est sismologue et professeur à l'université de Kobe.
WikiLeaks révèle selon le quotidien britannique Telegraph que l'AIEA avait également averti le Japon en 2009 qu'un séisme important pouvait poser « un problème sérieux » à ses centrales nucléaires. Le gouvernement japonais n’avait pas réagit autrement qu’en créant une sorte de hot-line… Déjà en 2006 le gouvernement japonais s'était opposé à l'ordre d'un tribunal de fermer une centrale dans l'ouest en raison de sa résistance insuffisante à un séisme. L'Agence de sécurité nucléaire et industrielle Japonaise avait estimé que le réacteur était « sûr » et que « toutes les analyses sur sa sécurité avaient été effectuées de façon appropriée », indique le câble.
Rappelons que le sud de la France aussi est soumis aux séismes. Le 11 juin 1909, un séisme d’une magnitude 6 a été enregistré en France (séisme de Lambesc).
CHOIX D'UNE TECHNOLOGIE ÉCONOMIQUE, MAIS MOINS SURE
Le réacteur de Fukushima est un réacteur à eau bouillante contrairement à ceux de la France qui sont à eau pressurisée. La différence est essentielle, car dans le cas des réacteurs français il y a un circuit primaire et secondaire. Dans le cas de la centrale Fukushima, il n’y a qu’un seul circuit fermé de refroidissement.
Ceci est moins cher car si cela évite la construction d’un circuit secondaire, mais également d’une tour de refroidissement. Cette dernière est remplacée par de l’eau de mer ce qui implique une installation en bord de mer. Bords de mer qui peuvent être frappés par des tsunamis. Dans de telles conditions, des systèmes techniques auraient dû être mis en place pour résister à une double catastrophe: séisme et tsunami.
Il est également clair que la centrale n’était pas protégée contre une double défaillance : coupure d’électricité et panne de générateur diésel. Ceci est tout à fait regrettable pour une centrale si dangereuse.
UN CARBURANT TOXIQUE
Le carburant du réacteur 3 est du MOX. Or ce combustible est une belle saleté. Composé d’uranium et de plutonium, issu de déchets nucléaires recyclés, le MOX considéré comme « bien plus réactif que les combustibles standards » par Jean-Marie Brom, ingénieur atomique, directeur de recherche au CNRS. « Le plutonium, qui n’existe pas à l’état naturel, est un poison chimique violent. Le mieux aurait été de ne pas en mettre du tout ». L’inhalation d’un micro-gramme de plutonium est suffisante pour provoquer un cancer du poumon !
Le MOX fut inventé dans les années 1960 et testé par les États-Unis qui le rejetèrent le considérant dangereux et peu rentable. À l’origine, le Japon avait prévu de fabriquer son propre MOX, mais des incidents à répétition dans son usine de fabrication avaient conduit le Japon à jeter l’éponge et un contrat de fourniture de MOX a été passé avec l’opérateur nucléaire français AREVA… Le MOX est produit par l’usine Mélox du site nucléaire de Marcoule dans le Gard qui produit 140 tonnes de MOX par an ! Sa construction fut décidée par Monsieur Jospin.
Le réacteur de troisième génération EPR que la France est en train de construire marche à l’uranium enrichi ou au MOX.
UN EXPLOITANT OPAQUE
Tepco est le quatrième producteur mondial d'électricité, jugé très efficace avec un taux de coupure parmi les plus faibles du monde. Pourtant, comme toutes les entreprises du secteur nucléaire du monde, reste très opaque dans sa gestion des risques. Accusés de fausses déclarations dans les rapports d'inspection gouvernementales avaient poussé la direction à démissionner en 2002. En 2007, la NISA, l'Agence de sureté industrielle et nucléaire, avait estimé à 97 incidents, dont 19 critiques, les accidents dissimulés aux autorités entre 1978 et 2002. Cette constatation concernait toutes les entreprises d’électricité japonaises, mais en particulier Tepco. En juillet 2007, le séisme avait provoqué un incendie et une fuite radioactive à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, la plus grande du monde et gérée par Tepco. Encore une fois l’entreprise est contestée pour avoir tardé à donner des informations précises sur les deux incidents. Enfin concernant le séisme de mars 2011, Tepco est encore critiqué : elle aurait refusé l’aide des américains le 12 mars pour finalement être acculée à la demander d’elle-même plusieurs jours plus tard. Cette attitude leur a valu une remarque acide du premier ministre japonais le 15 mars : « Alors que les explosions étaient filmées par toutes les télévisions, il vous a fallu plus d'une heure pour en informer le gouvernement ». Tout est dit. Le premier ministre a également reproché à Tepco d’avoir évacué très tôt ses employés de la centrale en ne laissant que les employés des filiales de Tepco gérer l’accident ! Il avait alors conclu : « Vous êtes les seuls face à ces problèmes. Quitter la centrale est impossible. Soyez prêts à tout. Si vous vous retirez maintenant, ce sera la fin de Tepco. »
Sur ce point, nous ne sommes manifestement pas mieux lotis.
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Cet article est le 12ème sur ce blog dans la catégorie Asie.