Son parcours politique a été présenté, avec son témoignage, par Public Sénat
En 44 minutes, vous saurez l’essentiel de la vie politique de Jean-Pierre Chevènement.
Pour cela, il faut cliquer sur En savoir plus et voir la vidéo de l’émission « Déshabillons-les » sur Public Sénat, intitulée Chevènement, le père « frondateur », diffusée le 4 février 2015.
Ou bien aller sur le site de Chevènement en cliquant sur "La sécurité n'est pas un thème de droite, car l'insécurité frappe souvent les plus démunis"
Photo : Jean-Pierre Chevènement, le 23 septembre 2014, présidant un colloque de la Fondation Res Publica
Voici un résumé de ce qu’il a dit dans cet entretien avec Hélène Risser.
J'essaye de continuer à participer au débat d'idées - parce que c'est toute ma vie. Le « piapia », les petites phrases, ne me manquent pas du tout. Je détestais cette conception de la politique.
J'ai prononcé la formule « un ministre ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne », dans une conférence de presse qui été programmée pour autre chose. Il y avait un moment de tension, c'était peu de temps avant mars 1983, sur le sujet de la politique industrielle. On a pas assez situé cette phrase dans son contexte, qui était celui des choix de politique économique, et par conséquent industrielle. Ce choix a été fait le 22 mars 1983, et j'ai démissionné aussitôt. C'était donc un mois avant que je ne démissionne moi-même !
De François Mitterrand à François Hollande
Mitterrand était un grand anticonformiste, et il avait de la sympathie, et même une certaine affection, pour les jeunes gens que nous étions à l'époque. Nous avions écrit à trois « l'Enarchie », et il voyait là des personnes capables de secouer les colonnes du temple.
Mitterrand était incontournable. Il avait été le candidat de l'Union de la gauche dès 1965. Apprenant à le connaître, on appréciait toute la palette de ses talents.
Le choix de la démission en 1983 était lié au fait qu'on ne pouvait pas avoir une politique industrielle qui permette de maintenir nos entreprises sur le site de production France si on a une monnaie trop chère. Or le choix qui a été fait à cette époque là, c'est de rester dans le Système Monétaire Européen. Cela aboutit à une monnaie surévaluée et à la désindustrialisation de la France sur 3 décennies.
François Mitterrand était conscient de ce risque. Mais dans le gouvernement, les opinions étaient flottantes. Elles se sont renversées à un certain moment. Certains qui étaient pour une sortie provisoire du SME ont fait machine arrière. Et par conséquent Mitterrand, qui ne se sentait pas sûr sur le terrain de l'économie, alors qu'il était décidé à sortir, finalement a décidé de rester, obéissant aux sollicitations de Pierre Mauroy et de Jacques Delors.
J'étais placé dans une situation où la morale la plus élémentaire consistait à dire, à la fois par fidélité à mes choix anciens depuis Epinay, et comme ministre de l'Industrie je jugeais que c'était l'intérêt du pays et du monde du travail : « je claque la porte ».
Chacun se fait de la politique l'idée qui lui appartient. Pour moi la politique va avec la fidélité au long cours avec mes idées. Je suis redevenu ministre en 1984, à l'Education nationale, après le désastre qu'avait été la querelle scolaire, et rebâtir l'école publique, ce qui me paraissait, comme fils d'instituteurs, une tâche indispensable.
On ne peut pas faire un parallèle strict entre 1983 et 2012. Bien sûr il y a le fameux discours du Bourget, mais ce n'est pas le Programme commun, auquel j'avais contribué. Le discours du Bourget a entraîné de ma part le retrait de ma candidature, car j'étais candidat à titre pédagogique, pour montrer ce qu'il fallait faire, en particulier sur l'euro. J'ai déclaré que j'apportais mon soutien à François Hollande « les yeux ouverts » - ça veut dire « pas les yeux fermés ». Cela veut dire que je suis lucide, et le cas échant critique sur certains points. Mais en même temps, je le soutiens parce que je pense que finalement, c'est la meilleure chose qu'on puisse faire dans la situation actuelle.
Le discours de François Hollande est très nuancé. Il espérait lutter plus efficacement contre le chômage. Il lui reste deux ans, et il est possible que dans ces deux années les choses se retournent assez pour qu'il apparaisse comme quelqu'un qui a eu beaucoup de sang froid, beaucoup de longanimité. Disons qu'on pourrait l'appeler le temporisateur, comme un homme de l'Antiquité : Fabius Cunctator.
La gauche plurielle et la sensibilité républicaine
J'avais des désaccords avec Lionel Jospin. Prenons l'exemple de la Convention présidée par Valéry-Giscard d'Estaing, qui devait élaborer une constitution européenne : moi j'étais contre. Et ça s'est vu en 2005 : Lionel Jospin était pour la Constitution européenne, moi j'étais contre. Sur la politique économique telle qu'elle avait été définie par Dominique Strauss Khan lors d'un séminaire à Rambouillet, en septembre 1999, j'étais sorti en me demandant vraiment ce que je faisais dans ce gouvernement.
L'essentiel était pour moi dans le cadre de mes attributions. J'étais ministre de l'Intérieur. Je refusais la délégation à la Corse de la capacité à faire la loi. Cela c'était un point central : si nous acceptions que la Corse puisse faire des lois qui dérogent à la loi française, nous revenions quasiment à l'Ancien régime, quand Voltaire disait « On change plus souvent de loi que de cheval quand on traverse la France ».
Jospin n'a pas voulu accepter l'avis quasi-unanime de ses ministres, il a imposé sa décision, et dans ces conditions j'ai préféré partir, parce que je voyais bien que c'était toute une conception de l'Etat, de l'organisation territoriale, qui était en cause. Aujourd'hui, il est question de donner une capacité réglementaire aux 13 nouvelles régions, alors vous voyez, il y a un fil conducteur.
Jospin était gêné par ma démission, et moi aussi parce que je l'aimais bien. Il m'a proposé d'aller aux Affaires sociales, mais j'ai refusé, parce que quand on est au gouvernement, c'est qu'on approuve sa politique générale.
A ce moment là, je n'avais pas pris la décision d'être candidat à l'élection présidentielle de 2002. J'y avais pensé simplement, mais cela dépendait des conditions, du moment. Je me donnais deux ans pour y réfléchir.
De toute façon, si j'étais candidat, je ne me faisais pas d'illusion, c'était pour rééquilibrer la gauche plurielle, concept qui n'est pas du tout le mien, mais je voulais qu'il y ait une composante républicaine qui pèse son poids par rapport aux écologistes, aux communistes...
J'ai pris ma décision pendant l'été 2001. Ce qui m'a décidé, c'était l'affaiblissement conceptuel, l'absence de projet de Lionel Jospin et les contradictions qui apparaissaient dans sa majorité. Il fallait quelque chose de plus clair, plus net, redonner à la gauche une boussole. Je souhaitais infléchir le cours de la gauche, ce que j'ai toujours essayé de faire.
Lionel Jospin m'a reproché 2002. Je pense qu'il est facile de trouver un bouc-émissaire. Je pense que s'il avait fait une meilleure campagne, et peut-être une meilleure politique, il aurait obtenu un peu plus de 16,1% des voix. C'était quand même très bas !
C'est m'imputer beaucoup que de croire que c'est moi qui l'ai conduit à ce résultat. D'une part il ne me donnait pas grande chance, il ne pensait pas que je dépasserai les 5%, il n'a pas cherché à décourager Taubira, il a encouragé Besancenot en lui donnant des parrainages socialistes... Jospin n'a absolument pas vu venir un score aussi faible. Il se croyait sans doute à 22 ou 23%.
Il n'y a pas lieu de faire porter sur moi une sorte de fatwa. Mais Jospin je crois n'a pas changé d'avis. Vous savez, c'est commode. Mais enfin, je l'accepte. Il est au Conseil Constitutionnel, je m'en réjouis pour lui.
Il y a la fidélité aux hommes, et la fidélité aux principes. On peut essayer de concilier les deux, mais ce n'est pas facile. Et de toute façon, la fidélité aux principes passe à mon avis avant la fidélité aux hommes. D'ailleurs sur quoi est fondée la fidélité ? Sur un accord politique. Or, force est de constater que Lionel Jospin s'est écarté peu à peu au projet qu'il avait formulé lors de son discours d'investiture, qui ressemblait beaucoup à un texte qui aurait été issu du Mouvement des Citoyens.
C'est vrai que le MRC n'a pas vraiment prospéré. Mais la sensibilité républicaine n'est pas retombée. Regardez aujourd'hui Manuel Valls, qui reprend le thème de la République. Il n'y a qu'un domaine dans lequel les paris restent ouvert, c'est le contenu qu'on donne à la politique européenne, la capacité qu'on a à faire reculer le chômage, de réindustrialiser le pays.
Héritage politique
Je ne partage pas tellement l'idée que j'aurais développé certains thèmes de droite en même temps que certains thèmes de gauche. Pour moi, ce qui compte, c'est l'intérêt du pays. D'ailleurs, la sécurité n'est pas un thème de droite, car l'insécurité frappe souvent les plus démunis, les plus pauvres.
Je ne connais qu'un seul militant du CERES qui a rejoint le FN, et par ailleurs il est inoffensif. Je ne pense pas qu'elle en tirera grand-chose. Pour le reste, Florian Philippot, qui se réclame de moi, peut-être a t-il participé à un comité de soutien, mais je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu.
Marine le Pen substitue un nouveau discours à celui de son père, un reaganien, ultralibéral ! Il faut que les Français aient un peu la mémoire. C'est une mutation qui paraît un peu trop surprenante, rapide, pour être honnête. Je pense qu'ils n'ont pas la capacité de gérer des idées aussi subtiles, parce que pour faire bouger l'Allemagne en profondeur, car je n'envisage pas une rupture avec l'Allemagne, en prenant appui sur ses propres contradictions, pour arriver à une formule européenne qui soit tournée vers l'avenir, la croissance, l'emploi, il faut autre chose que Marine le Pen et l'équipe qui l'entoure.
Manuel Valls a été un très bon ministre de l'Intérieur, et sa thématique me paraissait tout à fait juste. Et maintenant comme Premier ministre, il essaye de vertébrer son discours autour de l'idée de la République.
Arnaud Montebourg, lorsqu'il prend le décret qui prévoyait la capacité pour l'Etat de s'opposer à certaines sessions à un groupe étranger, je l'ai tout à fait approuvé. Je pense que ne pas critiquer le gouvernement auquel on appartient et une règle de bon fonctionnement de l'Etat. Cela dit, pour ce qui concerne Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, cela était surtout fonction de la mise en scène. La phrase : « on va lui envoyer une bonne bouteille de la cuvée du redressement au Président », si c'est dit sur un certain ton, avec un petit clin d'oeil, cela n'a rien de tellement offensant. Mais la mise en scène fait que cela peut paraître impertinent, de nature à ébranler l'autorité que le Président doit garder dans l'intérêt de la République, de la France. Je pense qu'il faut avoir au moins ce légitimisme là. Alors je ne dis pas qu'Arnaud Montebourg ne l'a pas eu, parce qu'il faut le connaître : c'est un personnage flamboyant, il aime les mots d'esprits, il est très drôle. Il résiste difficilement à l'envie de faire un jeu de mots. C'est son tempérament. On ne peut pas lui en vouloir.
J'ai démissionné trois fois. Mais je dis souvent que j'aurais pu démissionner beaucoup plus souvent ! J'avais beaucoup de sujets de désaccords. Et quand on est ministre, on avale forcément des couleuvres. Quand j'ai appris par exemple la libéralisation des mouvements de capitaux, sans harmonisation fiscale préalable, c'était en Conseil des ministres en 1989, j'ai protesté, cela me paraissait une décision majeure, qui allait ouvrir la voix au développement du capitalisme financier.
Je regrette qu'Arnaud Montebourg ne soit plus dans le gouvernement. Mais cela aurait supposé sans doute qu'il fasse un peu plus attention, qu'il arrive à réfréner cette joie naturelle qu'il éprouve à brocarder ses amis.
Je pense qu'un homme politique, ce n'est pas seulement un ministre qui signe des décrets, qui agit, qui fait des déclarations, c'est aussi une référence intellectuelle et morale.
Cet article est le 194ème paru sur ce blog dans la catégorie CHEVENEMENT