L’angoisse de l’après pic pétrolier pour les actionnaires
Selon la rédactrice de Money Week, Cécile Chevré, et la spécialiste des matières premières, Isabelle Mouilleseaux (publications Agora), il y aurait des réserves de pétrole pouvant se situer à 60 milliards de barils dans le sous-sol parisien. Encore faudrait-il pouvoir les ramener à la surface et, quand la surface, c’est Paris, il faut être conscient des défis technologiques à relever.
Une petite société texane aurait décidé de forer selon une technique nouvelle (le forage horizontal) qui permet d’atteindre des nappes qui sont en très grande profondeur et s’étendent sur de grandes longueurs mais de très faibles épaisseurs, parfois dispersées. Cette technologie sera-t-elle celle de l’avenir énergétique français ? Quels sont ses effets sur l’environnement ?
Dans l’immédiat, c’est la question du gaz de schiste qui est à l’ordre du jour (voir Gaz de schiste : des permis de prospection ont été délivrés en France - 24 février 2011). Des manifestations ont rassemblé des milliers de personnes (voir Mobilisation nationale contre le gaz de schiste en Ardèche (France-Info, 26 février 2011).
Ce 24 mars, à Montpellier, une réunion d’information est organisée par Jeudi de l'écologie 2012 sur « Gaz de Schiste : quels risques, quels recours pour les citoyens et quelles alternatives énergétiques ? »
Dans le n° 39 de La Lettre du Conseil scientifique d’Attac, en mars, on trouve une note d’information rédigée par Claude Pénit, ancien directeur de recherche au CNRS, qui pose le problème énergétique, globalement. En voici des extraits.
Le schiste comme source d'énergie : fausse solution
La ruée vers le gaz et le pétrole de schiste : fausse solution et modèle dépassé.
La mobilisation se développe dans le Sud de la France et dans le Bassin Parisien contre la prospection des hydrocarbures non conventionnels. Dans un contexte marqué par le pic pétrolier, cet engouement pour le gaz de schiste ressemble à la recherche désespérée d’une nouvelle source d’enrichissement des actionnaires des compagnies pétrolières.
Cette fuite en avant doit être refusée, non seulement à cause des risques qu’elle engendre pour les populations des régions concernées, mais aussi parce qu’elle retardera la transition nécessaire vers la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables. Cette lutte se heurtera à des difficultés, liées la capacité des compagnies en cause à offrir des compensations substantielles aux communes et aux propriétaires des terrains concernés, dans un contexte de paupérisation et de désertification rurales.
La lutte contre l'exploitation des gaz et huiles de roche mère doit s'insérer dans une problématique globale, qui ne laisse de côté aucun des aspects de la crise écologique actuelle, changement climatique et protection de la ressource en eau d’abord, mais elle doit être aussi liée à la défense des services publics des régions rurales et au maintien de leurs ressources financières.
L'attribution de permis de recherche de gaz de schiste (ou gaz de roche mère) dans de larges zones du Sud de la France (Ardèche, Gard, Hérault, Aveyron et Lozère) en mars et avril 2010, passée inaperçue sur le moment, a déclanché depuis quelques mois la mobilisation des populations concernées. D'autres permis avaient été accordés en 2008 et 2009 pour la recherche d'huiles de schistes dans le Bassin Parisien, en particulier dans la Brie où de modestes gisements de pétrole conventionnel sont exploités depuis les années 1960. Là aussi, des collectifs d'opposants se sont constitués récemment, alors que des forages exploratoires ont commencé en Seine et Marne. De nombreux collectifs se sont constitués comme par exemple en Ardèche et leur coordination nationale est en cours d’organisation, en particulier à partir de la pétition « Gaz de Schiste Non Merci ».
La Ministre de l'écologie vient de décréter la suspension des projets de prospection et l'exploitation des gaz de schiste sur le territoire Français jusqu'aux résultats d'une étude des risques potentiels, attendus en juin 2011. Elle prétend répondre ainsi à l'opposition manifestée par les élus et les populations des régions concernées, en confiant une mission d'expertise au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) qui, comme le rappelle Fabrice Nicolino sont respectivement les anciens Corps des Mines et des Ponts et Chaussées. Qu'attendre de ces « experts Mines-Ponts », responsables de la plupart des choix énergétiques et d'aménagement de la France comme le développement autoroutier et le tout nucléaire?
Dans le même temps se tenait à Paris, en toute discrétion, un « Sommet Européen sur les gaz non conventionnels », organisée par le lobby Energy Exchange avec pour sponsors toutes les compagnies gazières et pétrolières d'Europe regroupées dans Eurogaz (pour la France, Total, GDFSuez et EDF), ainsi que l'Institut Français du Pétrole.
Les hydrocarbures non conventionnels et leur extraction
Pour la définition des hydrocarbures non conventionnels, ainsi que pour la description détaillée des techniques d’extraction, de nombreux textes ont été publiés ces derniers mois. On se reportera au document du Centre Tyndall de recherche sur le changement climatique (Université de Manchester), critique, très détaillé et illustré mais en anglais, ou à la note de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) signée B. Weymuller et nettement favorable, mais en français.
Voici un résumé, forcément schématique, de la question.
Les hydrocarbures dont le charbon, le pétrole et le gaz résultent de la décomposition de dépôts sédimentaires végétaux (soit marins : algues et plancton, soit terrestres). Les premières étapes aboutissent à des gisements de surface de tourbe et de lignite. La tectonique des plaques a entraîné ces dépôts alluviaux à de grandes profondeurs sous la croûte terrestre et, sous l’effet des fortes pressions et des hautes températures qui y règnent, ils y ont poursuivi leur transformation en charbon, pétrole et gaz. Dans le cas des gisements conventionnels, pétrole et gaz, plus légers que les roches environnantes, remontent vers la surface jusqu’à être piégés dans des roches poreuses, sous des couches imperméables. Il suffit pour les extraire de forer un puits, et ils jaillissent en surface spontanément sous l’effet de la pression. Il n’en est pas de même pour les hydrocarbures non conventionnels. Ce terme regroupe divers types de gisements : gaz de schistes, huiles de roche mère, schistes et sables bitumeux, etc… Nombre d’entre eux sont déjà en exploitation comme les sables bitumeux dans le Nord-Ouest du Canada et le gaz de schistes (shale gaz) dans plusieurs états de l’Est et du centre des USA. Dans le cas des sables bitumeux, ce n’est pas l’accessibilité qui pose problème, puisque l’érosion les a fait affleurer en général à la surface, mais la transformation incomplète qui s’est arrêtée au stade de bitume très visqueux, voire solide à la température ambiante. Les sables bitumeux sont exploités à ciel ouvert, et sont rendus utilisables par chauffage.
Ce processus entraîne une dégradation catastrophique du paysage et de l’écosystème, et nécessite de grandes quantités d’énergie.
Dans le cas des gaz et pétrole de schiste, la roche mère, trop dense, a retenu les hydrocarbures à grande profondeur. Pour les exploiter, il ne suffit pas de forer, mais il faut aussi les « libérer » de la roche mère. La technique utilisée est la fracturation hydraulique, qui est déjà pratiquée pour pousser jusqu’au bout l’exploitation des gisements conventionnels. Un forage vertical à grande profondeur (3000 à 4000 m) est poursuivi par plusieurs forages horizontaux de plusieurs centaines de mètres de longueur. On injecte dans le puits de forage de grandes quantités d’eau sous forte pression, pour provoquer des fractures dans la roche. En plus de l’eau, le liquide injecté contient du sable, pour maintenir ouvertes les fractures, et divers produits plus toxiques les uns que les autres pour éviter le développement de bactéries et faciliter la circulation de l’eau. La plus grande partie de l’eau reste en profondeur, mais une partie variable remonte en surface et doit être stockée dans des réservoirs, avant retraitement ou réinjection dans un autre puits ou dans le même pour refracturation. Cette eau contient les produits initialement injectés, souvent très nocifs pour l’environnement, plus des polluants récupérés en profondeurs, comme des métaux lourds ou radioactifs, de l’arsenic, etc…
L’ensemble de l’opération doit être répétée dans la même région, un nombre variable de fois selon la taille du gisement. Bien entendu, et comme dans tous les cas de forage, les puits traversent les nappes aquifères, et doivent être rendus hermétiques par des gaines cimentées pour éviter les fuites.
On voit que l’exploitation des gaz et pétroles de roche mère n’est pas une petite affaire : elle est coûteuse, agressive pour l’environnement et fortement consommatrice d’eau. Mais il faut savoir que les réserves de ces hydrocarbures, sont potentiellement très importantes (…).
Comment lutter contre cette nouvelle offensive des multinationales pétrolières et gazières?
Étant donné la composition de la commission d’évaluation créée par la ministre de l'écologie, il est fort probable que des permis de forages d'exploration seront accordés. La preuve : CAP 21 nous apprend que le Conseil des Ministres du 19 janvier a approuvé une ordonnance modifiant le code minier en vue de « moderniser et simplifier les dispositions applicables aux exploitations minières en veillant à leur intégration dans l’environnement ». Selon CAP21, l’analyse de ce texte montre en réalité que le gouvernement a décidé de brader le sous-sol et ses ressources en simplifiant les procédures et sans prendre les garanties qui s’imposent. Il faut donc développer la mobilisation, déjà bien engagée dans les départements de l’Ardèche, le Languedoc, les Causses et les Cévennes, ainsi que plus récemment en Ile de France et en Picardie.
Comme l'écrit Hervé Kempf dans le Monde du 9 février 2011, « le gaz sert à se chauffer, à s'éclairer et à se nourrir. Or, indique la dernière note de conjoncture énergétique du Commissariat au développement durable, la consommation de gaz en France a augmenté de 3 % en 2010 (en données corrigées du climat) ». Le refus de l'exploitation des gaz de schiste doit donc être accompagné par la revendication d'une politique concertée et efficace de baisse de la consommation d'énergie et de priorité absolue au développement des énergies renouvelables. La cohérence nécessite alors d'évaluer les priorités et les alliances possibles. Il faut aller au-delà du mot d'ordre « Pas de ça chez nous! », qui risque d’entraîner des conflits, par exemple entre les propriétaires de résidences secondaires inquiets de voir diminuer la valeur de leurs biens et les paysans à la recherche de l’équilibre financier. Il n’est pas non plus très satisfaisant de voir se multiplier les forages dans les pays pauvres, ou dans lesquels la société civile est moins bien organisée, pour fournir la ressource aux pays qui auraient évité les forages chez eux.
En conclusion, la lutte contre l'exploitation des gaz et huiles de roche mère est juste, et s’insère dans une problématique globale, qui ne laisse de côté aucun des aspects de la crise écologique actuelle, changement climatique en tête, mais aussi dégradation des paysages, atteintes à la ressource en eau et à la biodiversité. Cette lutte est liée à la défense des services publics, démantelés et/ou en cours de privatisation, pour éviter la paupérisation et la désertification des territoires ruraux, propices aux fuites en avant du type de celle à laquelle nous assistons dans le cas des gaz de schistes. Il n’en reste pas moins que nous avons besoin d’énergie pour vivre bien, et que la phase de transition vers une société plus sobre ne fera pas dans un premier temps diminuer la consommation. La cohérence nécessite donc, en même temps que la mobilisation contre les foreurs à tout va, le soutien au développement des parcs d’éoliennes et centrales photovoltaïques, même si eux aussi entraînent des modifications pas toujours heureuses des paysages.
De même, le refus de l’extension du réseau autoroutier et des aéroports implique le soutien au transport ferroviaire des marchandises et des personnes, par l’extension et l’amélioration du réseau classique en priorité, mais aussi des lignes TGV.
Cet article est le 59ème paru sur ce blog dans la catégorie Climat énergies environnement