Vingt ans au maximum pour changer vraiment Grâce à Gérard Pierre (MRC 21 et collectif Sauvons le climat), je peux mettre en ligne sur ce blog le texte publié par Bernard Tissot et ses collègues de l’Académie des sciences, qui ont travaillé sur les questions énergétiques. Compte tenu des enjeux politiques de ces questions (en rapport avec le réchauffement climatique et ses conséquences d’une part, et la contestation de l’énergie nucléaire par des groupes défendant l’environnement d’autre part), il est de la plus haute importance de connaître l’avis des scientifiques. Le texte complet (40 pages) est accessible sur le site du MRC 21 sous le titre « Energies 2007-2050, les choix et les pièges », Académie des sciences (Institut de France) (http://www.mrc21.org/energies.html). Un résumé est présenté par les auteurs, soucieux de mettre leurs connaissances à la portée de tous. C’est ce résumé que j’ai scindé en deux parties. La première a été publiée hier sur ce blog. Elle traite principalement des sources de l’énergie électrique. La seconde, ci-après, aborde les transports et l’habitat, ainsi que l’économie et la sociologie. Voici l’introduction à la publication du rapport de l’Académie des sciences, puis la 2ème partie du résumé du rapport. « L’Académie des sciences a adopté le 15 février 2005 un rapport global sur l’énergie et le 1er mars 2005 une déclaration sur les problèmes de recherche qui s’y rattachent. Depuis, nous disposons de nouvelles données et des conclusions du IPCC/GIEC sur le changement climatique et son ampleur prévisible. D’autre part, de nombreux scénarios énergétiques ont été présentés par des organismes nationaux ou internationaux. Il nous a donc paru utile de faire la synthèse de ces nouveaux travaux et de mettre en évidence les avantages, les inconvénients et les contraintes introduits par les choix énergétiques des prochaines années ». RÉSUMÉ (suite) (…) L’accroissement de l’efficacité énergétique, aux divers stades de la conversion de l’énergie et de l’utilisation finale, est la voie qui, dans tous les domaines, offre les meilleures perspectives pour assurer un équilibre durable. Cet accroissement est cependant plus lié à des problèmes sociologiques (style de vie, longévité des habitations) ou économiques (prix excessif des matériels à faible consommation) qu’à des problèmes scientifiques ou techniques. C’est dans les transports terrestres que les économies seront les plus difficiles. Ce domaine est déjà le plus fort émetteur annuel de CO2 au niveau mondial et consomme actuellement environ 50 % des produits pétroliers dans les pays en développement, et près de 70 % dans les pays industrialisés. Il présente la plus forte croissance annuelle. La solution la plus efficace à long terme, notamment dans les agglomérations de plusieurs millions d’habitants, est le transport électrique en site propre (train, métro, tramway ou combinaison de ces divers modes). Sur les longues distances, le trajet Paris-Marseille génère pour un passager 5 kg de CO2 en TGV, 20 fois plus en avion et 30 à 50 fois plus en voiture. Le mode de transport par rail est privilégié au Japon. Le fret routier s’est largement développé, notamment en Europe, réduisant la part des transports ferroviaires et de la voie d’eau. L’élargissement de l’Union européenne a renforcé cette tendance. Ce mode de transport est gros consommateur d’énergie, et le captage du CO2 n’est pas possible. Le seul choix reste entre l’émission toujours croissante de GES et le transfert modal : les charges lourdes (matériaux de construction, véhicules neufs, conteneurs et équipements divers) seront transportables par des voies ferrées électrifiées, puis livrées au client par route sur quelques dizaines de kilomètres. La Suisse a ainsi trouvé un équilibre qui lui permet d’économiser sur l’entretien coûteux d’un réseau routier de montagne. À diverses reprises, on a préconisé les carburants liquides qui pourraient être préparés à partir du charbon, sans éliminer pour autant les émissions de GES, et seraient compétitifs à partir d’un prix du pétrole évalué successivement à30, puis 40 $/bl, etc., alors que ce prix n’est pas redescendu à ces valeurs depuis deux ans et est resté le plus fréquemment supérieur à 60 $/bl. De plus, les émissions de C02 sont réparties entre l’usine de fabrication et le véhicule utilisateur, mais ne diminuent pas pour autant. Les systèmes énergétiques reposant sur l’hydrogène et les piles à combustibles, dont on parle beaucoup, apparaîtront peut-être à titre expérimental vers 2020-2030, mais n’occuperont encore qu’une place mineure au milieu du siècle. Dans le domaine résidentiel et tertiaire, le chauffage solaire de l’eau sanitaire dans des panneaux posés sur des toitures ou des façades est déjà largement appliqué dans certains pays européens ou méditerranéens. Les pompes à chaleur permettent de réduire les dépenses de chauffage. Cependant les uns et les autres rencontrent en France des difficultés sociologiques. La biomasse intervient ordinairement dans le bilan énergétique par son utilisation traditionnelle comme combustible de chauffe. Il s’agit certainement là de l’utilisation la plus directe et les pays industrialisés pourraient reconsidérer cet usage. Dans les grandes villes, des réseaux de chauffage urbain en permettraient l’utilisation. L’usage des biocarburants issus de cultures dédiées peut faciliter une période de transition. Néanmoins, la totalité des terres arables du monde ne suffirait pas en 2030 à faire rouler le parc de véhicules. Il existe, à terme, un risque certain de compétition entre la production de carburants pour les véhicules et celle de nourriture pour 9 milliards d’habitants au milieu du siècle. Une autre forme de compétition s’installerait entre l’usage de l’eau (qui n’est pas inépuisable) pour les cultures alimentaires et son usage pour celles visant la production de biocarburants. De plus, il serait très important de disposer, dans chaque cas, de données précises et fiables sur l’énergie fossile consommée dans l’ensemble du cycle de vie du produit, pour faire un bilan énergétique « du sol à la roue ». Le bilan énergétique est nettement positif au Brésil, où l’on peut produire, à partir de la canne à sucre, jusqu’à 8 litres d’éthanol par fermentation pour un litre de produits pétroliers consommé. En revanche, l’utilisation de l’ensemble de la biomasse ligno-cellulosique, comme des futaies à courte rotation, pourrait privilégier des terres peu favorables à la production alimentaire. Cette voie plus complexe permettrait à long terme de produire par gazéification le mélange CO+H2, puis, par une synthèse chimique de type Fischer-Tropsch, des carburants de haute qualité, en particulier pour les moteurs diesel. Il faut cependant réaliser que l’ajout au carburant habituel d’une quantité mineure de biocarburant relève d’une adaptation, voire d’une auto-adaptation des moteurs, ce qui s’applique aussi bien au parc ancien. L’ajout d’une quantité majeure de biocarburant (notamment 85 % d’éthanol) est une réelle diversification du véhicule mis sur le marché, avec des moteurs adaptés. Gardons toujours à l’esprit que le plus grand apport de la biomasse dans la lutte contre le changement climatique existe et nous le détruisons : il s’agit de la forêt primaire qui joue un rôle capital dans les échanges de CO2 entre l’atmosphère, la végétation et les sols. En l’absence de mesures reconnues par tous les principaux pays consommateurs d’énergie, la situation sera gravement compromise bien avant le milieu du siècle. Même si l’on arrive à ramener, en 2050, les émissions de GES à leur niveau actuel, le poids des premières décennies du siècle subsistera. En effet, la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère est d’ordre séculaire : les concentrations atmosphériques seront en 2050 bien plus élevées qu’à l’époque actuelle et les températures et les désordres climatiques aussi. Il est urgent de développer un effort de recherche scientifique et technique très ambitieux pour pallier tous les manques évoqués dans le texte, tant sur le climat qu’on ne connaît pas suffisamment pour les besoins prévisionnels, que sur les technologies de l’énergie. Science et technologie sont indispensables, mais l’économie et la sociologie devraient, elles aussi, être l’objet d’une recherche nouvelle, face à un bouleversement majeur de nos modes de vie. Pour être en mesure de faire face à des évènements imprévisibles, et être capables de réagir vite, il importe avant tout de considérer que, dans cette perspective difficile, les valeurs sociales sont plus importantes que les valeurs économiques. Les conséquences dramatiques pour les personnes âgées de la canicule de 2003 en France, la longue attente des secours et des mesures d’aide après le cyclone Katrina, et la crise sociologique qui l’a accompagné, illustrent ce problème. On peut aussi craindre d’importants déplacements de populations : la submersion des zones les plus basses du Bengladesh poserait un problème majeur d’accueil de plusieurs millions de réfugiés. L’installation et le soutien d’immenses camps de personnes déplacées à l’intérieur d’un pays déjà pauvre seraient un problème d’une difficulté extrême pour la collectivité internationale. Les modèles destinés à évaluer les conséquences de l’évolution climatique et les moyens d’adaptation ne prennent pas en compte les « effets non marchands » (santé humaine, environnement, personnes déplacées). Un partage équitable des rôles entre nations et générations sera une tâche difficile. Les investissements des 20 prochaines années auront une influence déterminante sur la situation de la planète au milieu du siècle et même bien au-delà. La capture et le stockage du CO2 coûteront cher et demanderont des réponses à de nombreux problèmes techniques qui ne seront pas tous prévus. Si les États laissent construire de grandes centrales thermiques au charbon, sans capture et stockage des émissions, et capables de fonctionner pendant 40 ou 60 ans, notre avenir est irrémédiablement compromis. S’il est difficile d’empêcher la construction de telles installations, il est encore bien plus difficile de les fermer prématurément. Il est également important de se prémunir contre la « délocalisation » du CO2, c'est-à-dire le transfert des installations vers un pays voisin moins soucieux des contraintes d’environnement, pour importer ensuite de l’énergie électrique, ou encore importer de pays lointains des produits industriels à fort contenu énergétique. Le rôle des droits d’émission (ETS, emission trading scheme) est encore ambigu et la cote est assez confuse. De plus, le prix du carbone émis n’est pas pris en compte dans les décisions d’investissement. Dans l’état actuel des connaissances, toutes les sources d’énergie seront mises à contribution. Cependant, un ordre de priorité et des conditions nécessaires à leur mise en œuvre devront être observés : En nucléaire : Gestion des déchets nucléaires. Charbon : Séparation et gestion à long terme du CO2. Hydraulique, Géothermie : Les sites se font rares et sont souvent éloignés de la demande la plus forte. Biomasse : Ne pas entrer en compétition avec la production de nourriture pour 9 milliards d’habitants au milieu du siècle. Autres énergies : Majoritairement intermittentes (éoliennes, photovoltaïque), donc limitées à une fraction du parc (15 à 20 % ?). Le stockage de l’énergie changerait la donne. Nous ne sauverons notre mode de vie et nos moyens d’existence ni avec l’ignorance, ni avec l’idéologie, ni avec des déclarations ou des incantations. L’idéologie ne saurait prévaloir sur la science, la technique et l’économie. Tout retard sera coûteux et désastreux, et l’inaction qui se cache derrière la formule « business as usual » serait une politique inacceptable.