L’indignation et la force de la raison pour changer le monde
L’impasse de la situation politique nationale italienne (voir En Italie, les élections reflètent le malaise des citoyens face à l'Europe - 26 février 2013) est à rapprocher de l’incapacité de la gauche en France à ouvrir des perspectives. Culturellement, économiquement et politiquement, sans parler de la géographie, les deux pays sont proches. Ils souffrent de la politique européenne, néolibérale et conservatrice, après avoir cru intensément que l’Europe était leur avenir.
La déception et le rejet de cette politique s’expriment par des canaux différents (Le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo en Italie, principalement le Front national de Marine Le Pen en France), qui sont plus les symptômes de la mauvaise santé de la politique que des solutions au problème.
Quand je militais au Ceres avec Jean-Pierre Chevènement dans les années 1970, j’avais pris connaissance de la pensée de Antonio Gramsci, écrivain et théoricien politique italien, fondateur du Parti communiste italien, mis en prison sous le régime mussolinien.
Il est utile de revenir sur le parti communiste italien et sur la pensée de Gramsci (Cahiers de prison).
Le Parti communiste italien s’est dissout en janvier 1991 à Bologne, donnant naissance au parti démocrate de la gauche et au parti de la refondation communiste.
Voir PARTI COMMUNISTE ITALIEN - Encyclopédie Universalis
Celui qui devint « le plus puissant parti communiste du monde non communiste » avait été fondé au congrès de Livourne en 1921. Le Parti communiste italien (P.C.I.) ne regroupe d'abord que la minorité ultragauche du Parti socialiste dirigé par Amadeo Bordiga et le groupe qui, autour d'Antonio Gramsci, avait publié à Turin la revue Ordine nuovo. Aux élections de mai 1921, il obtient seize sièges de député. Mais il n'est pas en mesure de s'opposer à l'avènement du fascisme. Au congrès de l'exil à Lyon (1926), la ligne sectaire suivie par Bordiga est condamnée ; Gramsci, puis Palmiro Togliatti, succèdent à Bordiga au poste de secrétaire général du parti.
Très fidèle à l'internationalisme prolétarien et à Moscou (contrairement à une idée reçue), le P.C.I. reste parfaitement orthodoxe. Mais il reconnaît depuis l'origine la nécessité d'une « voie italienne vers le socialisme », et les analyses, profondément originales, de Gramsci, mort en prison en 1937, placent sa spécificité dans son insertion dans un pays catholique. C'est ce qu'a proclamé avec lucidité Togliatti, l'un des principaux dirigeants du Kominform sous le pseudonyme d'Ercoli, dès son retour de Moscou où il était réfugié pendant la guerre. Toutefois un désaccord existait entre Togliatti et Gramsci sur le « niveau d'alignement » à observer à l'égard de la politique soviétique. Gramsci, à la fin de sa vie, semble bien avoir perdu confiance dans le « centre mondial ».
Durement éprouvé par la répression, le P.C.I., grâce à son action dans la résistance au fascisme, passe de dix mille membres en 1943 à cinq cent mille en 1945. Adjoint de Togliatti, Luigi Longo, alors chef des partisans en haute Italie, réorganise remarquablement l'appareil. Dès septembre 1944, renonçant à toute stratégie insurrectionnelle, Togliatti réclame la coopération avec les catholiques et la « marche légale vers le pouvoir. » (…)
Voir aussi dans un autre registre : Marcelle Padovani sur le communisme en Italie
Introduction à Antonio Gramsci
Journaliste et militant, Antonio Gramsci arrive à la tête du Parti communiste italien dans les années 1920, puis est arrêté et condamné à vingt ans de prison par le régime fasciste. Il s'éteindra dix ans plus tard, non sans avoir laissé à la postérité ses Cahiers de prison, plus de 2000 pages manuscrites d'incursions intellectuelles aussi audacieuses que profondes sur l'histoire, la culture, la politique ou la révolution.
Ce livre commence par retracer la trajectoire biographique d'Antonio Gramsci, avant d'aborder la conception gramscienne de la vie culturelle et des intellectuels, puis sa réflexion politique avec les notions clés de «société civile », de « guerre de mouvement/position », de « révolution passive » et de « césarisme ». Des éléments de philosophie gramscienne sont présentés, dont l'affirmation selon laquelle « tout homme est un philosophe », l'approche du « sens commun » et la reconstruction du marxisme comme « philosophie de la praxis ». Ainsi sont posés les jalons qui conduisent à la notion d' « hégémonie », idée force qui contient et approfondit les autres apports majeurs de la pensée gramscienne.
Celui-ci n'est pas seulement un auteur classique des sciences sociales ; c'est aussi un passage obligé en vue d'une élucidation critique du capitalisme contemporain.
«Pourquoi je hais l'indifférence», Antonio Gramsci (Mohammed Yefsah, 28 février 2013)
La raison et le cœur pour transformer le monde
La publication d'une nouvelle anthologie du penseur italien Antonio Gramsci (22 janvier 1891 - 27 avril 1937) tombe à pic. La trentaine d'articles rassemblés par les éditions Rivages, sous le titre «Pourquoi je hais l'indifférence », sont un lointain écho du passé qui prend son ampleur dans le présent.
A l'indignation qui implique le simple sentiment du cœur, Antonio Gramsci préfère l'indignation de la raison. La grandeur du cœur se conjugue alors à la force de la raison pour comprendre le monde et le changer. Les textes rassemblés, nouvelle traduction de Martin Rueff, témoignent de cet élan. « Un homme ne peut vivre véritablement sans être un citoyen et sans résister. L’indifférence, c'est l'aboulie, le parasitisme, et la lâcheté, non la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents. L’indifférence est le poids mort de l’histoire » (p.55). L'indifférence, synonyme de fatalité, d’absentéisme politique travaillant pour l'intérêt du petit nombre de possédants, est un état qui peut être brisé par l'invention du collectif, la renaissance de l'action.
La défaite des ouvriers de Fiat, le 8 mai 1921, se transforme sous la plume de Gramsci en une sorte de chant à leur gloire. À cette époque où l'industrie automobile s'est massivement implantée en Italie, avec son lot d'exploitation et de résistance des travailleurs pauvres, Gramsci rend un émouvant hommage à la lutte des ouvriers de la fabrique de Turin : « Ils ont résisté pendant un mois. Ils étaient exténués physiquement parce que cela faisait des semaines et des mois que leurs salaires avaient été réduits et ne suffisaient plus au soutien de la famille, et pourtant ils ont résisté pendant un mois. Ils étaient complètement coupés de la nation, submergés par un poids général de fatigue, d’indifférence, d’hostilité, et pourtant ils ont résisté pendant un mois. (…) ils se savaient condamnés à la défaite et pourtant ils ont résisté pendant un mois » (pp.75-76).
Dans le verbe de Gramsci, l'adverbe « pourtant » permute la défaite en une victoire et la bataille d'un mois résonne comme une très longue durée. Ce qui montre la profondeur de son humanité, exprimée avec une sublime écriture conjuguant l'intelligence et le sentiment. Pour lui, l'implication dans la vie de la cité et la politique sont une affaire sérieuse. « Si un savant se trompe dans ses hypothèses au fond, c'est un moindre mal : une certaine quantité de richesses de choses est perdue : une solution a précipité, un ballon a éclaté. Si un homme politique se trompe dans ses hypothèses, c'est la vie des hommes qui est en danger, c'est la faim, c'est la révolte, c'est la révolution pour ne pas mourir de faim » (p.61).
En effet, Antonio Gramsci, philosophe et homme politique (député de Turin de 1924 à 1926), est parmi les grands penseurs du XXe siècle. Membre fondateur du Parti Communiste Italien (PCI), journaliste de talent, la grande partie de ses œuvres ont été écrites en prison. « Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans », est la tristement célèbre phrase du procureur fasciste Isgro qui, le 4 juin 1928, condamne Gramsci à cette peine de prison, un an et demi après son arrestation. Sa réflexion foisonnante aborde divers sujets : la religion, le fascisme, le mouvement ouvrier, la paysannerie, la philosophie, la linguistique, la littérature, la politique, l'idéologie, le droit. Il développe le concept d'hégémonie culturelle pour expliquer la domination de la bourgeoisie et celui de praxis en tant que moyen de lutte des masses. Pendant ses onze années de captivité, il n'a cessé d'écrire et de tenir une riche correspondance. Ses écrits seront publiés en de monumentaux volumes, sous le titre de Carnets de prison ou parfois Cahiers de prison, Écrits politiques, Textes, par différentes maisons d'édition et avec différentes traductions.
Gramsci ravagé par la maladie, tuberculose et artériosclérose, est transféré dans une clinique en octobre 1933, après une campagne internationale de solidarité en sa faveur. Préparant sa sortie de clinique à Rome et son retour en Sardaigne, sa région natale, il meurt le 27 avril 1937.
Cet article est le 56ème sur ce blog dans la catégorie Etats Union européenne