Le système de financement remis en cause
Dans cette 3ème partie, François Martot, délégué national MRC au logement, aborde la question européenne qui est, de fait, une menace sur le financement du logement social en France. B)- Les défis européens 1- Quelles missions pour le logement social ? Si le logement n'est pas une compétence européenne, et ne disposait pas dans le projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe de chapitre spécifique dans la partie III traitant des politiques et du fonctionnement de l'Union comme l'avaient l'agriculture, les transports, la recherche, l'énergie…Si le logement n'est pas un "domaine où l'Union peut décider de mener une action d'appui, de coordination ou de complément"…il n'a pas pour autant été absent des préoccupations européennes… L'existence d'un secteur aidé par l'Etat, missionné et régulé par l'Etat, doté d'opérateurs parfois puissants, ne pouvait pas ne pas être confronté à la logique de libre concurrence sous tendue par l'ensemble des traités européens : "le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux est assurée conformément à la Constitution". Si le rejet par deux peuples fondateurs du projet de Constitution est une donnée politique majeure, la philosophie des traités antérieurs n'en a pas disparu pour autant. Des acquis ont été obtenus tout récemment et sont identifiés sous le nom de "paquet MONTI" : - les aides au logement social n'ont pas à être notifiées préalablement à la Commission et sont exclues du champ de la directive "services" - le logement social est éligible aux fonds structurels ainsi que les investissements liés à la maîtrise de l'énergie et au développement des énergies renouvelables. Ces acquis ne règlent pas tout, loin s'en faut : - Si le principe de l'exclusion du logement social de la directive services est acquis, le passage à l'acte induit une définition précise du champ d'action du secteur du logement social. Sur ce point, Parlement, Commission et Conseil divergent entre une définition "ouverte" préservant l'essentiel de l'activité du secteur et une définition beaucoup plus restrictive limitant par exemple l'action des opérateurs HLM SEM au logement des plus démunis. - Tous les opérateurs bailleurs sociaux se satisfont d'un des socles de la politique française de logement social : son financement à partir de l'épargne populaire centralisée par la Caisse des Dépôts et Consignations grâce aux collectes opérées par les réseaux de la Caisse d'Epargne, du Crédit Mutuel et de la Poste. Ce dispositif a toujours répondu aux attentes du secteur y compris en période de plan de relance ou d'engagement collectif. Si la faiblesse de l'aide à la pierre venant de fonds publics a souvent été un obstacle à l'équilibre financier des opérations, il n'en a pas été de même pour les financements à long terme qui n'ont jamais manqué, les fonds de collecte se trouvant ainsi régulés. Or, ce système est aujourd'hui remis en cause : le monopole à trois "tripole" est rejeté par la Commission qui le considérant comme non nécessaire à l'accomplissement des missions d'intérêt général a adressé une mise en demeure à la France. Il est pourtant à craindre que si la Commission obtenait gain de cause, si la collecte de cette épargne était banalisée et soumise à la concurrence de tous les réseaux bancaires, un système de financement pérenne et sécurisé qui a fait ses preuves s'en trouverait grandement déstabilisé. La fin de l'année 2006 et l'année 2007 seront donc essentielles et le secteur professionnel doit apprécier avec lucidité ses marges de manœuvre pour arrêter la stratégie la plus efficace. 2- Les choix étrangers Trois pays européens symbolisent des choix alternatifs en matière de logement social - le "modèle" britannique Pour les Britanniques très imprégnés de philosophie libérale, le modèle dominant d'accès au logement est la propriété. Les opérateurs bailleurs sociaux historiques ont été conviés à vendre massivement leur parc et le logement social est limité au logement des plus démunis qui ne peuvent accéder à la propriété, quelle qu'en soit la forme. Dans ce contexte, pas besoin d'opérateurs immobiliers sociaux puissants – du type mouvement HLM – la mission relève du caritatif et doit être assurée par des associations. - le "modèle" allemand Dans la société allemande, le poids du secteur locatif est très élevé et les évolutions récentes ont conduit à banaliser la fonction de bailleur ; les spécificités des bailleurs sociaux ont été gommées, et l'ensemble du secteur locatif – public et privé – est régulé par des dispositifs publics : plafonnement des loyers, conventionnement. Les règles du jeu sont donc connues des investisseurs et plusieurs "stadtwerke" équivalent des SEM ou des offices publics ont vendu (Dresde) ou sont sur le point de vendre leur patrimoine à des investisseurs privées, y compris des fonds de pensions américains. Simultanément, un droit au logement opposable existe : dans le cadre de leur devoir de police, les collectivités locales ont l'obligation d'assurer à tous un hébergement. - le "modèle" néerlandais Il est le plus proche du modèle français et est actuellement dans le collimateur de la commission de Bruxelles. Il repose sur des opérateurs immobiliers sociaux puissants et sur une définition large d'une mission de service public permettant aux opérateurs de faire jouer des péréquations selon la solvabilité des ménages logés et la qualité des logements. La commission voit dans ces péréquations des dispositifs d'aides publiques allant au delà d'une mission d'intérêt général.