Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Aller chercher les causes profondes et opérer les changements de fond
André PFLIMLIN est membre de l'Académie d'Agriculture de France après une carrière professionnelle à l'Institut de l'élevage. Il est l'auteur du livre « Europe Laitière. Valoriser tous les territoires pour construire l’Europe » (2010, Edition France Agricole). Voir aussi (blog CiViQ, 7 août 2015) : André Pflimlin et la guerre laitière.
Le 11 février, il a apporté sa contribution au débat proposé sur le site de MARS (Mouvement Agricole Rural et Solidaire) concernant les colères agricoles. Voir Lectures, rencontres, visites…. Voici une partie de son texte en trois points (le point 2 manquant à voir sur le site).
Maintenant que les gros tracteurs sont rentrés dans les fermes et que les médias prennent un peu plus de recul, après avoir relayé les surenchères faciles, on peut espérer un peu plus d’écoute pour l’analyse des causes profondes du malaise, aboutissant à la nécessité des changements de fond à mettre en œuvre au plus vite. La presse écrite et les médias en général commencent en effet à être plus critiques, plus lucides, sur la portée des mesures annoncées.
La libéralisation des marchés agricoles avec la multiplication des accords de libre-échange et la suppression des anciennes protections de la PAC, internes et externes, remplacées par les aides directes à l’hectare favorisant la course à l’agrandissement, se sont accentuées ces dernières années. Le Pacte vert annoncé fin 2019 par la Commission et son volet agricole « de la ferme à la table » avec un objectif chiffré de réduction des pesticides et des engrais azotés ont été mal acceptés par la plupart des organisations agricoles dont la FNSEA et le COPA, au nom de la souveraineté alimentaire. L’ouverture aux produits agricoles de l’Ukraine, sans droits de douane, ni quotas, suite à l’invasion russe en 2022, a renforcé les crispations du monde agricole.
Enfin, la répartition des aides PAC, en réduction pour la PAC 2023-27 et transférée au niveau des pays via les Plans stratégiques, s’est traduite par un transfert de responsabilité sans débat sur la redéfinition des objectifs et sans moyens supplémentaires.
Depuis 2020, la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine puis à Gaza, ont créé un contexte de plus en plus anxiogène, renforcé par le retour de l’inflation. Les hausses de coûts de production (énergie, engrais, aliments, etc.) ont généré beaucoup d’incertitudes. Mais elles ont été bien compensées globalement par la hausse des prix de vente des produits agricoles, avec de bons revenus moyens, surtout en en 2021 et 2022, mais aussi des inégalités croissantes avec davantage de revenus nuls ou négatifs. Et depuis deux ans, ce sont les produits Bio, les plus vertueux pour l’environnement, qui ont été les plus pénalisés.
La crise climatique, avec les sécheresses de 2020 et 202 et les inondations de 2023 et début 2024, est désormais admise et ressentie plus concrètement par toute la société, surtout par les agriculteurs. Cependant la réduction du cheptel pour abaisser les émissions de GES, notamment le méthane des herbivores, comme principale solution suggérée par la Cour des Comptes, a été très mal vécue par les éleveurs. À cela, se sont rajoutées des causes plus régionales notamment dans le Sud-Ouest : la maladie hémorragique des bovins, les difficultés de la viticulture, une nouvelle sécheresse et des litiges sur le stockage de l’eau, etc. Il n’est pas étonnant que le feu ait pris dans cette région, avant de se propager bien au-delà.
Ainsi, ces incohérences flagrantes entre les politiques commerciales et environnementales, sans visibilité sur les prix et les coûts dans un contexte international de plus en plus anxiogène pour les agriculteurs, ont constitué le terreau de toutes les révoltes paysannes.
Pour juger de la pertinence de ces mesures, il est nécessaire de les resituer par rapport aux causes profondes de cette crise agricole et aux enjeux plus globaux. Pour garder une planète vivable pour nos enfants, pour faire face aux urgences climatiques, à la perte de biodiversité, à la pollution de l’air et de l’eau, face à la raréfaction des ressources naturelles et fossiles et au pillage des pays du Sud entrainant des flux croissants de migrants, la sobriété est devenue une nécessité qui s’impose à tous et dans tous les secteurs, y compris l’agriculture. Le volet agricole du Pacte vert « de la ferme à la table » visait à apporter une réponse européenne plus cohérente à ces enjeux en associant les changements des pratiques et des systèmes agricoles avec ceux de l’alimentation, moins de viande rééquilibrée par des protéines végétales via les légumineuses à graines, moins de produits transformés et plus de fruits et légumes… Ce nouveau système alimentaire peut préserver notre souveraineté alimentaire malgré une baisse probable des rendements de l’ordre de 10 % mais avec une baisse des engrais azotés de 20 % et des pesticides de 50% au bénéfice de la santé des hommes et de la nature. En suspendant le plan Ecophyto français, le gouvernement Attal a-t-il cédé pour éteindre le feu ou a-t-il changé de cap ?
Les mesures annoncées sont une réelle régression en regard du droit de l’environnement et des objectifs affichés par la France. C’est un très mauvais signal pour la transition agroécologique qui était déjà à la peine faute de moyens adéquats. Et cette fois, c‘est le gouvernement français qui fait marche arrière, à la demande de la FNSEA et de la Coordination Rurale. La grande majorité des Français qui avait été plutôt bienveillante face à cette révolte des tracteurs malgré le blocage des autoroutes, devrait réaliser assez rapidement que l’addition est bien lourde pour eux et pour leurs enfants car se faisant aux dépens de la qualité de leur alimentation et de leur santé, de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique.
C’est un changement de cap du gouvernement avec retour au productivisme du siècle dernier, avec autant voire plus de chimie et un brin de modernité grâce à la génomique, au numérique et à la robotique, une trilogie chère au président Macron. Cela va accélérer la course aux volumes et aux hectares pour produire plus de « minerai » à bas prix pour l’agroalimentaire et pour l’export.
Cela ne manquera pas d’engendrer de nouvelles crises agricoles, par la disparition des petites fermes, mais aussi par le surendettement des plus grosses, et de freiner davantage la reprise et l’installation des jeunes. Dans ce contexte de relance de la course aux volumes aux dépens de la qualité, donc de prix bas, ce n’est pas la meilleure application de la loi Egalim 2 par des contrôles renforcés qui permettra de garantir de meilleurs prix et un revenu décent pour un métier de plus en plus exigeant.
De nombreux points restent à préciser dans les prochains mois pour finaliser le projet de loi agricole mais, sauf à reprendre complètement la copie pour rendre plus cohérentes les politiques agricoles, commerciales et environnementales, au niveau français et européen, cette nouvelle loi agricole ne peut être qu’une série de rustines sur un système productiviste, ne répondant pas aux grands enjeux sociaux et environnementaux et donc incapable d’éviter de nouvelles révoltes.
Rappel (blog MRC 53, 31 janvier 2024) : Colères agricoles : le MRC soutient les mouvements de protestation
Cet article est le 3329 ème sur le blog MRC 53 - le 481ème, catégorie AGRICULTURE et PAC