"Comment les institutions de la Vème République peuvent-elles évoluer ?"
"Sur le plan institutionnel, je crois quand même que l’on ne peut plus continuer à ignorer le fait que l’élection du Président de la République au suffrage direct a été interprétée et pratiquée de façon dévoyée dont nous payons les effets. Il faut le dire clairement, le régime de la Ve République a fonctionné en marge des institutions contra legem [contre la loi].
Le général de Gaulle a conçu un couple de fait Président-Peuple, qui s’est ajouté au couple constitutionnel Gouvernement-Parlement et qui l’a absorbé. Mais cette extension des pouvoirs du Président, effectivement inconstitutionnelle (Mitterrand avait raison sur ce point), était compensée sous de Gaulle par la responsabilité du Président devant le peuple. C’est-à-dire que tout reposait dans la conception gaullienne sur la confiance et l’adhésion populaire dans la personne et la politique présidentielle dans un régime effectivement plébiscitaire. Souvenons-nous de la phrase du général de Gaulle : « Bien entendu, si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, je cesserai immédiatement d’exercer mes fonctions de chef de l’État. »
Il y a un problème que beaucoup de constitutionnalistes soulèvent depuis longtemps qui est un problème de responsabilité politique d’un président qui exerce tous les pouvoirs et qui s’accroche cependant comme une bernique sur son rocher quand il est clairement sanctionné par le suffrage universel. Là il y a quelque chose qui ne va pas. Un président, avec un « programme » rejeté par les urnes, continue d’aller à Bruxelles, de proposer des commissaires européens, de tenir des discours dans les sommets européens, alors même que son parti et lui ont été laminés aux dernières élections européennes et législatives.
On ne peut pas donc nier qu’il y ait un problème institutionnel. Celui-ci vient du fait que nous avons conçu l’élection du Président au suffrage universel direct non pas comme les Portugais, les Autrichiens, les Irlandais et autres pour désigner un arbitre, un « sage » qui a sa carrière politique derrière lui.
Nous élisons un candidat sur un programme politique, un programme législatif, qu’il ne pourra mettre en œuvre que s’il est suivi par une majorité de députés acquise à son parti. On arrive évidemment, lorsque cette majorité de députés n’existe plus, à des situations abracadabrantesques de confusion totale, et de déni de la responsabilité politique qui est le cœur de la démocratie. Il y a incontestablement un problème institutionnel qui vient de la conception que nous avons de l’élection présidentielle.
Tant que les leaders politiques des partis politiques viseront l’Élysée et non pas Matignon, la confusion demeurera. Dans les autres régimes parlementaires qui nous entourent, les grands leaders politiques veulent être chefs de gouvernement et non pas chefs d’État. Cela c’est la place du roi, de la reine ou d’un arbitre républicain comme le président allemand ou italien. Tant que nous élirons des présidents qui veulent gouverner au lieu de régner avec, de surcroît, une sociologie politique médiocre et un paysage partisan plus éclaté qu’auparavant, je crains que nous nous enfoncions dans l’impuissance politique.
Mais changer le comportement opportuniste et clientéliste des partis et des acteurs politiques ne se décide pas par décret. Corriger l’idée que l’on se fait de l’élection présidentielle et de ce qu’elle veut dire, c’est-à-dire désigner un président pour présider et non pour gouverner, ne se décide pas non plus en cotant une loi. Il y aura de plus en plus de divorces entre l’élection présidentielle et les élections législatives.
Nous fonctionnons hors normes sur un système hérité d’un géant hors normes qu’était le général de Gaulle. Mais cela ne marche plus avec des nains qui se décrètent désormais irresponsables et entendent conserver leur « domaine réservé » alors même qu’ils ont été battus dans les urnes".
Une question dans la salle : "N’y a-t-il pas une énorme contradiction entre la volonté du peuple et le démantèlement de la démocratie du fait d’une construction européenne qui empêche de facto l’expression de la souveraineté populaire et, par conséquent, détruit les fondements de la légitimité populaire ?"
La réponse de Jean-Éric Schoettl.
"On en a beaucoup parlé ici. La refonte des traités est indispensable pour passer d’une logique des institutions (avec, aujourd’hui, des souverainetés nationales et des sensibilités nationales bridées) à une logique des coopérations. Il ne s’agit pas de mettre en cause l’Europe mais son mode de construction, son ADN actuel qui est purement institutionnel. Il faudrait construire une Europe fondée sur des coopérations, nécessairement à géométrie variable, tirant sa force, non pas comme aujourd’hui de l’effacement des États membres mais tout au contraire de consciences nationales retrouvées et convergentes. Cela voudrait dire que rien ne serait jamais obligatoire et que tout se fonderait sur des accords à géométrie variable. Ce serait en définitive le retour de l’Europe des nations !"
Voir Les actes de colloques.
Cet article est le 3400 ème sur le blog MRC 53 - le 92ème catégorie République Parlement
Article paru le 12 décembre 2024 sur http://mrc53.over-blog.com/