331 voix : motion de censure de la gauche votée par l'extrême droite
L'effet de surprise n'était pas au rendez-vous ce 4 décembre à l'Assemblée nationale. Le RN avait annoncé sa décision de faire tomber le gouvernement de Michel Barnier en votant la motion de censure déposée par les quatre groupes de gauche composant le Nouveau Front populaire.
Voir Public Sénat : Le gouvernement de Michel Barnier renversé après l'adoption de la motion de censure du NFP
Récit de Hadrien Mathoux sur le site du journal Marianne, ce 4 décembre 2024.
Chacun a joué sa partition jusqu’au bout, et le résultat attendu est tombé après 20 heures ce mercredi 4 décembre : Michel Barnier est censuré par l’Assemblée nationale, une première depuis 1962.
Est-ce la fin d’un homme, ou celle d’un régime ? Une atmosphère sépulcrale flottait sur le Palais-Bourbon, ce mercredi 4 décembre, alors que le gouvernement de Michel Barnier vivait ses dernières heures d’existence. L’issue semblait inéluctable, après que les oppositions pour une fois coalisées, du Rassemblement national à la France insoumise, avaient promis de faire chuter l’exécutif en début de semaine.
Pas de surprise de dernière minute : par 331 voix, les députés ont voté la censure du gouvernement. Michel Barnier devient le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Il est surtout le deuxième à être congédié par l’Assemblée sous la Ve, après Georges Pompidou en 1962. Mais cette fois-ci, aucune dissolution de la chambre basse ne viendra replacer le Savoyard aux manettes. L’ancien négociateur en chef de l’Union européenne était au contraire l’homme qui venait après le chaos. Force est de constater qu’il a échoué à y mettre fin.
En début d’après-midi, les parlementaires s’acquittent du traditionnel exercice des questions au gouvernement. Drôle d’ambiance : les députés défilent au micro pour interroger des ministres ayant toutes les chances de perdre leur portefeuille dans les heures qui viennent. (...) Les députés votent tout de même le projet de loi de fin de gestion pour 2024, élaboré par la commission mixte parlementaire. Bref répit pour l’exécutif.
Après une courte interruption de séance, le gros morceau commence : les présidents de groupe défilent, tour à tour, pour se positionner sur les deux motions de censure déposées contre Michel Barnier. Comme il y a onze groupes, l’exercice est fastidieux. Mais il est animé par la présence d’un invité de marque : Jean-Luc Mélenchon a été convié à assister à la chute du gouvernement.
Le chef des insoumis a senti l’odeur du sang. Il se place dans les tribunes, positionné dans l’axe du regard des orateurs. Calme, sourire aux lèvres, il commence par soutenir en hochant la tête son vieil ami Éric Coquerel, qui ouvre le bal pour le groupe LFI. L’expérimenté président de la commission des Finances ne laisse aucun doute sur ses intentions : LFI votera la censure. « Séditieux ! », éructe le jeune député macroniste Pierre Cazeneuve. « Le chaos est déjà là », rétorque Coquerel.
Marine Le Pen succède à l’insoumis. « La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget, un tel gouvernement, un tel effondrement », assure celle qui a obtenu des concessions de Michel Barnier, mais finit par baisser le pouce. Une main sur la banquette, l’autre sur sa joue, Mélenchon ne la quitte pas des yeux. À quoi pense-t-il ? Le tribun a toujours répété qu’il se voyait affronter « MLP » au second tour de la présidentielle, pour un ultime duel. Il semble être venu jauger sa rivale. D’ailleurs, quand celle-ci en termine, il s’en va : le discours du socialiste Boris Vallaud ne semble pas l’intéresser.
Le député des Landes confirme ce qu’on pressentait : le PS, sur lequel les macronistes n’ont cessé de mettre la pression en sa qualité de « parti de gouvernement », ne sauvera pas Barnier. Il cingle « l’échec de la méthode » d’un homme à qui il reproche de n’avoir jamais tendu la main à la gauche, et d’avoir préféré « céder aux plus viles obsessions de l’extrême-droite ». Trois orateurs, trois contempteurs du gouvernement.
L’hémicycle se vide progressivement, au fur et à mesure des prises de parole. L’électricité des premiers débats s’évapore lentement. Chacun joue sa partition. Marc Fesneau, du MoDem, proclame son discours de soutien au gouvernement devant une Assemblée largement dégarnie. Quelques applaudissements isolés accompagnent ses exhortations à éviter la censure. Les insoumis et le RN, à qui il s’adresse, sont partis depuis belle lurette. Les seconds ne reviendront que pour écouter l’offensif discours d’Éric Ciotti, leur seul allié. Celui-ci dénonce un « budget socialiste ». Il proteste toutefois également contre la désindexation partielle des pensions de retraite, comme le RN.
C'est au tour de Gabriel Attal, qui a prononcé en début d’année son discours de politique générale en tant que Premier ministre, de monter sur l’estrade pour représenter le groupe macroniste. Il s’attaque aux « extrêmes », les accuse de commettre « une erreur devant l’histoire », se tourne vers les socialistes pour les pousser à renoncer à la censure. La plupart d’entre eux – François Hollande, Olivier Faure, Philippe Brun, Jérôme Guedj – ne sont pas là pour l’entendre.
Vient enfin le tour de Michel Barnier. Il s’avance, de sa démarche raide, pour ce qui ressemble au dernier discours de sa carrière politique, à 73 ans. Les députés du « socle commun » sont debout pour l’acclamer. Visuellement, l’impression est immédiate : ils sont trop peu à vouloir sauver le Premier ministre. Barnier se dit « très touché » par leur attitude. Il choisit de ne pas se battre : pas de grandes envolées, pas de supplications inutiles. Pour ses ultimes instants, le chef du gouvernement offre l’image d’un homme digne et résigné (...)
Les députés s’éclipsent pour quarante-cinq minutes. Seuls les élus favorables à la censure prennent part au vote. Retour dans l’hémicycle. Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, a l’air grave. Elle annonce que 331 députés ont voté pour la censure du gouvernement, bien plus que la majorité requise (288 voix). Tonnerre de cris de joie du côté de la France insoumise. Les députés écologistes, socialistes et RN, qui ont voté la censure, restent silencieux. Michel Barnier s’éclipse, sobrement, sous les ultimes applaudissements de ses soutiens. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 est rejeté, et le Premier ministre doit remettre sa démission, seulement 2 mois et 29 jours après sa nomination. La France plonge dans l’inconnu.
Cet article est le 3393 ème sur le blog MRC 53 - le 91ème catégorie République Parlement
Article paru le 04 décembre 2024 sur http://mrc53.over-blog.com/