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Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.

Assemblée nationale : émotion plus que de raison, fièvre parlementaire

L'étude du Cepremap (période 2007-2024) montre un nouveau monde

 

L'agence Telos publie des articles à partir des contributions d'économistes, politologues, juristes, sociologues, français et étrangers. Le 31 janvier, elle a mis en avant les travaux de Yann Algan, Thomas Renault et Hugo Subtil (Cepremap) sous le titre :

Le vote de la motion de censure et la démission du gouvernement Barnier le 4 décembre 2024, constituent l'acmé d'une véritable révolution politique en France. Avec cette censure, quasiment inédite dans l'histoire de la Ve République, la polarisation de la vie politique a atteint un sommet.

 

Dans une note récente du Cepremap, «  La Fièvre parlementaire : ce monde où l'on catche  », nous utilisons des méthodes d'analyse textuelle et d'intelligence artificielle pour illustrer la métamorphose de l'Assemblée nationale à partir d'une analyse des deux millions de discours prononcés entre 2007 et 2024. L'ancien monde politique, marqué par l'alternance au pouvoir entre la gauche et la droite qui rythmait les débats parlementaires, a laissé place au nouveau monde. Celui-ci se caractérise par la fragmentation des partis et une polarisation très forte des débats à l'Assemblée depuis 2017. Cette polarisation a été exacerbée par l'irruption des réseaux sociaux dans l'antre de notre démocratie.

La rhétorique émotionnelle s'est imposée depuis 2017, et de façon encore plus marquée à partir de 2022, tandis que le débat rationnel recule, diminuant ainsi leur caractère délibératif. Aujourd'hui, plus de la moitié des discours se rapproche davantage de l'émotionnel que du rationnel. Les partis politiques populistes, tels que La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN), sont les principaux vecteurs de cette évolution, bien que leurs trajectoires divergent. Alors que LFI intensifie sa rhétorique émotionnelle, le RN, conformément à la « stratégie de la cravate » affichée par Marine Le Pen, amorce une normalisation progressive.

Cette hausse des émotions est dominée par la colère, qui constitue 75% des discours émotions chez LFI et le RN. Ce phénomène n'est pas isolé. Les groupes politiques du centre et de la droite républicaine montrent également une augmentation — plus modérée — des émotions dans leur discours, bien que les émotions positives comme la joie y soient plus présentes. Cependant, cette évolution marque une rupture avec l'ancien monde où les émotions étaient davantage liées à l'alternance au pouvoir : la gauche se montrait plus émotionnelle sous les gouvernements de droite, et vice versa. Aujourd'hui, tous les partis semblent être en colère.

Une deuxième leçon de cette radioscopie de l'Assemblée nationale est l'avènement d'une polarisation inédite des débats. Tout d'abord le fait que ce soit la colère qui domine les débats, en particulier aux deux extrémités de l'hémicycle, et non la peur ou la tristesse, rend toute marge de débats ou de réconciliation improbable. Les recherches les plus récentes en sciences cognitives et sciences sociales montrent que les individus dominés par la colère ne cherchent pas le compromis, mais à renverser la table dans une logique du « plus rien à perdre », et sont imperméables aux nouvelles informations contraires à leurs croyances initiales. Cela se retrouve dans la hausse vertigineuse de nos indices de polarisation des débats dans les thématiques, le lexique, et les attaques des autres camps. Selon nos mesures, la polarisation a été multipliée par cinq au cours des deux dernières décennies, et surtout à partir de 2017 puis 2022.

Cette polarisation croissante s'effectue malgré des contextes institutionnels très différents, qu'il s'agisse de la période de majorité absolue avec frondeurs (2012-2017), de celle de majorité absolue forte (2017-2022), et surtout de la période actuelle de majorité relative (2022-2024). Cette dernière période est particulièrement importante. Alors même que les oppositions auraient tout intérêt à être « convaincantes », car elles peuvent réellement faire basculer le vote d'un côté ou de l'autre (notamment droite et gauche), elles continuent à surjouer la colère et les oppositions. Tout se passe comme si les normes comportementales écrasaient le rôle des incitations institutionnelles. Pour en comprendre la logique profonde : il nous faut maintenant saisir pleinement le rôle des réseaux sociaux.

L'avènement des réseaux sociaux est en effet l'un des principaux catalyseurs de cette mutation. L'Assemblée nationale est aujourd'hui devenue une scène de spectacle où les députés cherchent à capter l'attention de leurs partisans bien plus que celle de leurs collègues ou des journalistes. Les interventions se raccourcissent : en moyenne, elles comptent désormais 150 mots, un format idéal pour les vidéos de moins d'une minute, taillées sur mesure pour TikTok et X (anciennement Twitter). Les interruptions se multiplient, les applaudissements et les teintes triplent, et les discours longs et argumentés cèdent la place à des punchlines destinées à créer du contenu viral. Les insultes et les menaces remplacent les arguments, tandis que les rappels à l'ordre explosent : près de 83% des sanctions disciplinaires depuis 1958 ont été prononcées entre 2017 et 2024.

Cette transformation n'est pas anodine. Elle reflète une désinstitutionnalisation de l'Assemblée nationale, qui, loin d'être un espace d'échange d'idées, devient un lieu où s'opposent des ennemis plus que des contradicteurs. La démocratie parlementaire est à la fois un mode de gouvernement et un art de vivre ensemble. Toute l'histoire de la démocratie représentative a consisté en une longue lutte pour sublimer les conflits légitimes entre citoyens dans un champ programmatique et raisonné, grâce à des intermédiaires institutionnels tels que les partis et les élus à l'Assemblée nationale.

Certes les débats à l'Assemblée dans l'histoire parlementaire française n'ont jamais été un long fleuve tranquille, en particulier tout au long de la IIIe République, la démocratie était encore jeune et marquée par les guerres. Dans son livre de référence, La Fièvre hexagonale, Michel Winock rappelle de façon magistrale la permanence des fièvres et des troubles en France à travers les grandes crises du XXe siècle. Et la dimension théâtrale à l'Assemblée nationale semblait aussi présente dans l'ancien monde.

Mais ce qui a le plus changé entre l'ancien et le nouveau monde, ce n'est pas le théâtre, c'est le public. Le théâtre était, dans l'ancien monde, à destination des journalistes qui rendaient compte des débats. Il y avait donc une médiation qui obligeait, pour être considéré par la presse comme un « bon député », à tenir des discours plus rationnels pour montrer sa compétence, son talent oratoire, sa force d'entraînement politique, sa capacité à mettre en difficulté. l'adversaire…

Le public, ce sont désormais les followers, et plus qu'un théâtre, l'Assemblée semble être devenue un studio d'enregistrement pour réseaux sociaux. Loin d'être imperméable aux réseaux, c'est à eux que les députés semblent s'adresser. Tout se passe comme si les codes des réseaux sociaux,avaient contaminé l'antre même de la démocratie représentative, avec une génération plus jeune de députés tiktokers, extrapolant à l'Assemblée ce constat amer d'Edgar Morin sur les réseaux sociaux : « Nous assistons depuis deux décennies dans le monde et également en France à la progression du manichéisme, des visions unilatérales, des haines et des mépris » (...).

Colère surjouée, discours de plus en plus courts, interruptions incessantes : autant de symptômes d'une mutation profonde. Cette évolution interpelle quant à l'avenir de la démocratie représentative et le caractère encore gouvernable de notre pays, y compris avec des réformes institutionnelles (par exemple la proportionnelle), tant que la fièvre des passions et les codes des réseaux sociaux écraseront toute culture du débat et du compromis.

Alors que les oppositions auraient tout intérêt à convaincre rationnellement lors d'une période de majorité relative, elles privilégient des stratégies émotionnelles. Cette dérive, loin d'être anodine, menace de transformer durablement les pratiques parlementaires et, avec elles, la manière dont les Français conçoivent le débat public et la gouvernance collective, et de renforcer toujours un peu plus leur défiance envers le politique.
 

Cet article est le 3446 ème sur le blog MRC 53 - le 101ème catégorie République Parlement

Article paru le 03 février 2025 sur http://mrc53.over-blog.com/

Assemblée nationale : émotion plus que de raison, fièvre parlementaire
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