Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Une enseignante-chercheuse a travaillé pour répondre à cette question
Le 24 février 2022, la guerre en Ukraine prenait une nouvelle dimension, à l'initiative de la Russie, qui voulait en finir avec la guerre latente dans l'est de l'Ukraine depuis 2014. Son objectif était clairement de mettre fin à l'évolution du régime ukrainien vers l'Occident européen (UE) et américain (OTAN).
Le site The Conversation a publié, le 23 février 2025, un texte de Anna Colin-Lebedev, enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés post-soviétiques. En voici des extraits.
Ce que la guerre a fait aux sociétés ukrainienne et russe
Il y a trois ans jour pour jour, la Russie lançait son invasion à grande échelle de l'Ukraine. L'opération, qui était censée s'achever en un rien de temps, est devenue une guerre effroyablement meurtrière et destructrice. Ces trois années ont, bien entendu, eu des conséquences colossales pour la société ukrainienne, qui a payé un très lourd tribut à l'agression commise par le gigantesque pays voisin ; mais elles ont aussi eu un impact profond sur la société russe. Alors que diverses tractations sont en cours, souvent sans même la participation de représentants ukrainiens, intéressons-nous à la façon dont les deux peuples vivent ce conflit dont on ne voit toujours pas la fin, quoi qu'en dise la nouvelle administration américaine.
Dans quelle mesure les sociétés des deux pays ont-elles été transformées par dix années de guerre, dont trois dernières années particulièrement violentes ?
Entretien avec Anna Colin-Lebedev, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Nanterre, spécialiste des sociétés post-soviétiques, autrice notamment de Jamais Frères ? Ukraine et Russie : une tragédie postsoviétique (Seuil, 2022).
Comment la guerre imprègne-t-elle les sociétés russe et ukrainienne au quotidien ?
De façon très différente, bien sûr. La guerre concerne directement la quasi-totalité du territoire de l’Ukraine : le pays est visé quotidiennement par des frappes aériennes russes. Que l’on soit tout près de la ligne de front, au centre ou dans l’ouest du pays, on sait qu’on peut être tué à tout moment. 70 % des Ukrainiens ont aujourd’hui un proche qui combat ou qui a combattu au front. À l’inverse, la guerre ne touche directement qu’une infime partie du territoire russe, et bien moins de familles. Au-delà de cette dimension évidente, on constate en Russie une invisibilisation de la guerre, voulue et entretenue par le pouvoir.
Contrairement à ce que l’on pense, l’objectif du Kremlin n’est pas de mobiliser la population dans une posture guerrière, mais plutôt de maintenir la société dans un état de démobilisation et de normalité. Le message est, pour résumer : « Malgré la guerre, tout va bien et tout est sous contrôle dans le pays. » Et ce message correspond à ce qu’une large majorité des gens souhaitent entendre. Les Russes préfèrent, dans la mesure du possible, ne pas voir la guerre et ne pas y penser.
Pourtant, les émissions de télévision russes, spécialement les grands talkshows du soir, ne parlent-elles pas quotidiennement, des heures durant, de « l’opération militaire spéciale » ?
Nous avons aujourd’hui une connaissance pointilliste de la Russie. Les chercheurs occidentaux ne peuvent quasiment plus s’y rendre et y enquêter sur la façon dont les Russes réagissent à la guerre. Mais nous avons quand même des collègues russes qui le font, de façon discrète. Je pense notamment au laboratoire de sociologie publique PS Lab, qui conduit des enquêtes ethnographiques masquées dans des villes de Russie.
Un sociologue – d’ailleurs, plutôt une sociologue, car ce sont souvent les femmes qui font ce travail – va s’installer dans une ville, dans différentes régions de Russie, pour un mois. Là, elle va au salon de coiffure, elle va sur la place publique, elle participe à des conversations de cuisine, elle observe. La conclusion à laquelle mes collègues arrivent, c’est qu’en dépit de la présence d’un discours glorificateur – et à ce propos, je pense que ces émissions très belliqueuses qu’on voit à la télévision russe, elles nous sont en large partie destinées à nous autres Occidentaux –, il y a une très forte volonté de la société de mettre la guerre le plus à l’écart possible. De faire en sorte qu’on n’en parle pas, qu’on n’y pense pas, qu’elle ne modifie rien dans la vie des gens. Mes collègues expliquent que les Russes emploient toute leur énergie à ne pas remarquer la guerre que leur pays est en train de conduire. Ce qui va tout à fait dans le sens de ce que souhaite le Kremlin.
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Et en Ukraine ? La parole des militaires s’y fait-elle entendre ?
La similitude qu’il y a aujourd’hui entre les combattants qui sont sur le front côté russe et côté ukrainien, c’est que les deux sont engagés pour une durée indéterminée. Côté ukrainien, la mobilisation est aussi en vigueur jusqu’à la fin de la loi martiale, sauf certaines exceptions, notamment les contrats pour les jeunes, avant l’âge de la mobilisation, qui sont désormais limités à un an.
La différence entre la Russie et l’Ukraine, c’est qu’en Ukraine les récits sur ce qui se passe sur la ligne de front circulent en permanence entre le front et l’arrière. Les combattants, y compris des commandants, prennent énormément la parole dans les médias. Pour parler des succès, mais aussi pour dénoncer des dysfonctionnements, pour critiquer le pouvoir et l’organisation de l’institution militaire. Les rotations sont régulières et les soldats rentrent souvent dans leur famille et racontent ce qu’ils ont vécu. Cette parole n’est pas muselée.
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Quelle est la place des femmes ukrainiennes et russes dans la guerre ?
Ce qui est très intéressant, c’est que nous sommes passés d’une situation similaire à une situation radicalement différente. En 1991, la Russie et l’Ukraine ont hérité de la législation soviétique sur la participation des femmes aux forces armées. Les femmes ont de tout temps fait partie des armées dans les deux pays, mais la législation leur interdisait d’accéder à des positions de combat. Résultat : dans les deux armées, les femmes ont exercé à l’arrière – comme comptables, infirmières, etc.
Le basculement a lieu pour l’Ukraine en 2014-2015. Beaucoup de femmes s’engagent dans les forces armées, officiellement en tant que blanchisseuses ou en tant que comptables ; dans les faits, elles prennent les armes et combattent bénévolement sur le front. Rapidement, il y a eu un intense lobbying de ces femmes-là, des femmes vétéranes, à la fois pour faire reconnaître leur expérience, mais aussi pour faire changer la législation. Cela a été fait dans la décennie 2010. Juridiquement, l’armée ukrainienne peut aujourd’hui employer des femmes à des fonctions combattantes. Les femmes peuvent avoir un grade d’officier, elles peuvent commander des unités militaires, et elles sont assez nombreuses à tous les niveaux de l’armée.
Désormais, les Ukrainiennes ne s’envisagent pas forcément à l’arrière. Pendant mes derniers séjours en Ukraine, j’ai beaucoup étudié les centres associatifs dans lesquels les civils ukrainiens s’autoforment à la conduite de la guerre, au maniement des armes, etc. Aujourd’hui, on y voit beaucoup plus de femmes que d’hommes. Pour certaines d’entre elles, pas pour toutes, c’est une préparation à leur engagement dans l’armée.
La Russie, elle, n’a pas changé ses lois, et seuls les hommes y vont au front.
Cet article est le 3467 ème sur le blog MRC 53 - le 10ème paru sur ce blog dans la catégorie Russie
Article paru le 24 février 2025 sur http://mrc53.over-blog.com/