Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Langues de l’Europe, pas de la République
C’est écrit à l’article 75-1 de la Constitution révisée le 21 juillet* : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Cette courte phrase n’a pas fait l’unanimité parmi les parlementaires. Les députés étaient pour, en bloc, mais les sénateurs étaient contre, en bloc
Voici ce qu’on pouvait lire (extraits) dans « Profession Politique » le 25 juin dernier sous le titre « Les langues de la discorde ».
« Rébellion feutrée au Sénat, qui a détricoté, en première lecture, plusieurs points de la réforme des institutions. La question de la reconnaissance des langues régionales, votée à la quasi-unanimité par les députés et évacuée par les sénateurs, a creusé le fossé entre les deux chambres. Au risque de faire échouer toute la réforme voulue par le chef de l’État.
C’est une gifle qu’ont infligée les sénateurs aux députés, en supprimant une disposition qui avait été votée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale. Une phrase qui complétait l’article premier de la Constitution, ainsi rédigée : "Les langues régionales appartiennent [au] patrimoine" de la Nation. Un vote qui a dépassé les clivages, puisque cette décision est venue des bancs de la majorité sénatoriale, des centristes, des radicaux, des communistes et des socialistes (…).
Le débat sur les langues régionales est rouvert, avec toute sa virulence. Un débat dans lequel même l’Académie française a cru bon d’intervenir –fait rarissime–, jugeant que cette reconnaissance portait "atteinte à l’identité nationale".
Un débat qui s’est cristallisé, ces dernières années, entre adversaires et partisans de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. La France l’a signée, mais ne l’a pas ratifiée, après la décision du Conseil Constitutionnel du 15 juin 1999, selon laquelle la Charte n’était pas compatible avec la loi fondamentale, notamment parce que ces clauses étaient "contraires à l’article 2 de la Constitution dans la mesure où elles tendent à conférer le droit d’employer une langue autre que le français dans la « vie publique », notion dans laquelle la Charte inclut la justice et les « autorités administratives et services publics »” (…).
Pour en savoir plus : Un serpent de mer depuis vingt-sept ans
A noter un article, favorable aux langues régionales, de Jean-Louis Andreani, dans le quotidien Le Monde (édition du 3 juin 2008) « La revanche des langues régionales »
« Si le projet de loi de révision constitutionnelle, assorti de l'amendement surprise adopté à l'Assemblée nationale le 22 mai, va au bout de son parcours parlementaire, la Ve République reviendra, pour une part, sur le chemin emprunté par la IIIe. Soucieux de cimenter définitivement l'unité nationale, les instituteurs, les "hussards noirs" de cette République-là, avaient mis beaucoup d'énergie, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à extirper de la vie quotidienne des élèves de l'école publique tout ce qui était patois et parlers locaux.
Un siècle après, les régionalistes prennent une petite revanche sur les instituteurs républicains. Parti, il y a une vingtaine d'années, des seules mouvances régionalistes, autonomistes, voire indépendantiste pour la Corse, le militantisme en faveur des langues régionales s'est élargi pour gagner les sphères politiques classiques. Jusqu'à déboucher sur le vote presque unanime des députés, désireux d'inscrire dans la Constitution que les langues régionales font partie du "patrimoine" de la France (…).
Pour tous les militants ou sympathisants des langues régionales, le symbole d'une garantie constitutionnelle est bien sûr très fort. Toutefois, le pas décisif, de leur point de vue, reste à franchir. Il s'agit de la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
En France, l'affaire de la charte a fourni la matière d'un long feuilleton. Ce texte a été adopté par le Conseil de l'Europe en 1992. Il est signé par dix-neuf Etats membres, ratifié par quinze. Au départ, la France ne figure dans aucune des deux listes. Jacques Chirac en 1996, puis M. Jospin en 1998, ont tenté de faire bouger les lignes, mais le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel se sont toujours opposés à la ratification. En effet, depuis une révision constitutionnelle de 1992, l'article 2 du texte fondamental précise que "la langue de la République est le français". Conçu au départ pour lutter contre l'envahissement de l'anglais, cet ajout s'est retourné contre les langues régionales (…) ».
Dans un autre registre, tout aussi favorable aux langues régionales, Elisabeth Cestor en partenariat avec La Pensée de Midi, écrit dans Rue89, le 2 août dernier, Les langues régionales ne sont-elles que littérature? Le cas de la langue catalane y est abordé très précisément. Cet article éclaire le sujet d’un point de vue historique et régionaliste.
Je conclus par la position de Anicet Le Pors, ancien ministre, membre du Conseil d’Etat, républicain d’origine bretonne. Il a reproduit sur son blog, le 1er août dernier, le texte qui avait été publié en décembre 1999 par l’hebdomadaire Témoignage chrétien.
Les partisans de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires jouent sur une ambiguïté qu’il faut lever d’entrée.
Est-il souhaitable de soutenir la connaissance et l’apprentissage des langues régionales en tant qu’elles appartiennent à notre patrimoine culturel et qu’elles répondent à une demande d’une partie de la nation ? La réponse est oui.
Est-il souhaitable de ratifier la Charte européenne en tant qu’elle confère des droits spécifiques à des “groupes” de locuteurs de ces langues à l’intérieur de “territoires” et en reconnaissant un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la “vie privée” mais également dans la “vie publique” (justice, autorités administratives et services publics) ? La réponse est non.
Ces deux questions sont en effet totalement distinctes. Et qu’on ne dise pas que le gouvernement n’a accepté de souscrire qu’à 39 des dispositions de la Charte, voulant ignorer les autres. La ratification une fois acquise sur ces bases, c’est à l’ensemble de la Charte que la France aurait été réputée avoir souscrit.
Ainsi en a justement décidé le Conseil constitutionnel le 15 juin dernier après un avis donné dans le même sens par le Conseil d’Etat le 24 septembre 1996. Réaction jacobine ? En aucune façon. Cette décision se borne à rappeler que, selon l’article 2 de la Constitution, “La langue de la République est le français” et que la République ne reconnaît pas de droits spécifiques à des groupes, communautés ou minorités plus ou moins directement rattachés à des pays ou des régions.
Le choix de la France est de fonder le principe d’égalité des droits sur l’égalité des citoyens et non sur celle de communautés définies par l’un ou l’ensemble des critères suivants : la culture, la langue, la religion, ou l’ethnie.
Cela ne signifie pas pour autant que ces critères doivent être ignorés dans l’organisation de la vie en commun de l’ensemble des ressortissants de la nation. Ainsi n’est-il pas réellement contesté qu’en matière de culture, la diversité est richesse et qu’aucune limite ne doive être opposée au développement de toutes les cultures concourant à la pensée universelle.
En ce qui concerne la langue, le dépérissement des plus faibles doit être combattu et le Conseil constitutionnel a justement fait remarquer, qu’à l’exception des dispositions anticonstitutionnelles indiquées ci-dessus, la plupart des engagements souscrits par la France “se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France”. En matière religieuse, la loi de séparation des Églises et de l’Etat de 1905 a réglé la question sur la base du principe de laïcité. Quant à l’ethnie, c’est un principe constant, qu’aucune discrimination ne saurait être admise sur la base de ce critère qui confine à la discrimination raciale.
Nous disposons donc de références juridiques et d’une tradition républicaine qui permet dans la clarté et avec audace un développement culturel sans entrave. Alors pourquoi ce procès trouble et délibérément passionné ? Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui, légitimement attachés à leur culture d’origine et à la langue qui peut lui servir de support, veillent à ce que rien ne leur porte atteinte ; en l’espèce, ce n’est pas le cas.
On ne saurait admettre, en revanche, que d’autres, poursuivant de tout autres objectifs, profitent de ce débat pour mettre en cause des principes républicains qui fondent notre conception de la démocratie et de la souveraineté au profit de l’idéologie communautariste qui domine actuellement la construction de l’Union européenne ignorant notamment, voire récusant, le service public, la laïcité et le droit du sol comme fondements de l’égalité des citoyens.
“Plutôt cette Europe que la République française”, tel pourrait être, en résumé, l’axe de la démarche des communautaristes qui avancent trois types de revendications : disposer d’une autonomie de gestion des affaires propres de la communauté ; établir par-dessus les frontières des relations organiques avec des ressortissants de la même ethnie, concurrençant et, le cas échéant, contestant les États de droit respectifs ; et pour cela faire de la langue le vecteur d’un droit à la différence poussé jusqu’à la différence des droits des communautés. C’est donc une remise en cause complète du pacte républicain et, dans l’esprit des plus farouches, de la République elle même. C’est cela qui est inadmissible et qui doit être dénoncé, comme l’attribution à un collège d’enseignement en breton ( Diwan ) de la banlieue brestoise du nom de Roparz Hamon, condamné à dix ans d’indignité nationale en 1945 !
Il ne s’agit donc en rien d’une revendication de modernité mais de la résurgence sporadique de ce que ce pays compte de plus réactionnaire et qui profite de toutes les circonstances que lui offre une situation politique décomposée pour enfoncer autant de coins dans l’édifice républicain. Il est navrant que des représentants de la gauche officielle prêtent la main à de telles entreprises. Ils oublient que, s’il est vrai que les langues régionales ont parfois été maltraitées dans le cours d’une histoire qui a vu l’affirmation de la République, c’est cette histoire aussi qui a, grâce au français, dégagé les citoyens des obscurantismes et des fatalismes, fait progresser les libertés publiques et individuelles, favorisé les échanges culturels entre les régions, fait respecter les mêmes règles de droit sur l’ensemble du territoire national, donné au mouvement pour la démocratie économique et sociale toute son ampleur.
Il est facile dans ces conditions, afin de provoquer des réflexes conformistes d’assentiment, de s’en prendre aux Jacobins, ce qui dispense de toute argumentation sérieuse. Qu’il me soit permis de rappeler à ceux-là et à ceux qui les suivent sans trop réfléchir, qu’avant de s’installer dans la bibliothèque du couvent dont ils prirent le nom, rue Saint-Honoré à Paris, le 27 octobre 1789, le Club des Jacobins avait son siège à Versailles et s’appelait … le Club breton.
Anicet LE PORS . Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives (1981-1984). Conseiller d’État. Président d’honneur de l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France. Auteur du Que sais-je ? : “La citoyenneté”, P.U.F., 1ère éd .1999, 3ème éd. 2003.
Anicet Le Pors était notre invité à St-Berthevin en mai 2003. Voir La citoyenneté selon Anicet Le Pors - 15 mai 2003 à St-Berthevin - 17 juillet 2006