Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.

Réflexions sur les politiques de la santé par Elie Arié le 8 juin (1ère partie)

 

La santé glisse par paliers dans le domaine du commerce

 Elie Arié, cardiologue, enseignant au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) était, en 2003-2004, secrétaire national du MRC à la santé. J’ai été destinataire du document de base de son intervention à Sedan le 8 juin dernier. Le voici, découpé en deux parties. La première traite de la situation actuelle en matière de santé. La seconde concerne les propositions. 

 1-   La santé, absente de la campagne : pourquoi ? 

Préoccupation majeure des Français, toujours absente des discours politiques, qui se limitent à « comment combler les déficits de l’assurance-maladie ? ». Confusion sur la pseudo-technicité, la santé souvent confiée à des médecins = démission des politiques.

 Or, dans « politique de santé », le mot important c’est politique, pas santé. La santé n’est pas la médecine, et la médecine n’est pas la santé.  La médecine curative (hors vaccinations) joue dans 15% de l’espérance de vie, et dépasse 0% depuis 1930 seulement.

Les autres déterminants de la santé : mode de vie, environnement au sens large, les conditions de travail, de logement, d’alimentation, le niveau d’éducation  (instituteurs et curés : les 2 professions à plus grande espérance de vie en France).

 Si les politiques ont peur de parler santé, c’est parce que : 

- ça touche à toute l’organisation de la société : organisation du travail, environnement au sens large, logement, alimentation, niveau d’éducation et d’information.

 - il faut se battre contre de nombreux corporatismes, pas seulement médicaux : autres acteurs de la santé  (transports sanitaires, pharmaciens, etc.), hôpitaux vides mais financés comme s’ils étaient pleins (emploi local), industrie pharmaceutique mondialisée (chantage à l’emploi).

 Il faut du courage politique pour dire que, si on veut améliorer l’état de santé d’une population, ce n’est pas dans le système de soins qu’il faut mettre de l’argent : tous les pays développés dépensent 10% de leur PIB pour leur système de soins comme la France (ou moins, comme le Japon, la Suède, les pays scandinaves), les Etats-Unis 15% avec de moins bons résultats en matière d’espérance de vie et de maladies que les autres.

 En matière de soins, « plus » n’égale pas « mieux » ; c’est mieux qui égale mieux.

 Un exemple : la Grande-Bretagne, qui dépense trop peu (7% du PIB) : les médecins anglais doivent gérer la pénurie ; et pourtant,  la proportion de femmes mourant à l’accouchement y est plus faible qu’en France : ça veut dire un meilleur dépistage et un meilleur suivi des grossesses à risques : une meilleure organisation sociale et médicale du système.

 Autre exemple : en France, à 35 ans, la différence d’espérance de vie entre un cadre et un travailleur manuel est de 8 ans : pourtant, ils ont tous la Sécu et les moyens de se faire soigner : c’est donc autre chose qui est en cause.

Ou encore : les Etats-Unis consacrent 15% de leur PIB au système de santé, la Grande-Bretagne 7% : or, le tiers des Anglais les plus pauvres vit plus longtemps que le tiers des Américains les plus riches.

2-   Le contexte mondial 

Avec la mondialisation, on est rentré dans un projet politique de financiarisation et de privatisation de toute l’économie, et, en particulier, des retraites et de la santé. Une grande partie de l’avenir de notre assurance-maladie solidaire se joue à l’ OMC. 

Pour l’instant, l’organisation de la santé reste, dans l’ UE, du domaine des Etats et des politiques nationales ; certains pays, dans le monde, luttent contre cette privatisation (Grande-Bretagne, le Canada et en particulier le Québec, le Japon, les pays scandinaves), d’autres non. 

Or, ce choix d’un système solidaire ou pas est un vrai choix de société, et un vrai clivage droite-gauche : on choisit 

-soit un système où chacun paye, en fonction de ses revenus, pour des soins en théorie identiques pour tous : c’est une forme de redistribution des richesses,

-soit un système où chacun paye selon ses moyens financiers : c’est une logique assurantielle

Le passage croissant d’un nombre de dépenses de l’assurance-maladie aux mutuelles entre dans cette logique : dans une mutuelle, on ne paye plus en fonction de ses revenus, pour une couverture égale pour tous ; on paye tous la même chose pour une couverture identique, somme multipliée par le nombre de personnes à assurer (il n’y a plus « d’ayant-droit »). 

 3-   Le faux argument séducteur du « libre choix de l’assurance privée » 

Argument séducteur (« je choisirai mon assurance en comparant ») mais trompeur (c’est votre assurance qui vous choisira en fonction de votre âge, vos maladies, vos facteurs de risque et vos moyens financiers).

 Les expériences étrangères : dès l’instant où il y a concurrence, il y a augmentation vertigineuse des dépenses de gestion, parce qu’il y a obligation de faire du marketing, qui doit représenter au moins 10 à 15% du chiffre d’affaires ; et c’est ainsi que les frais de gestion de l’assurance-maladie sont de 20% aux Etats-Unis, de 5,5% en France (3 grands régimes), de 3% au Québec (un système unique nationalisé) …et, en plus, il faut faire des bénéfices !

 Les pays les plus chers et les plus inflationnistes en dépenses de soins sont ceux où les assurances privées ont une part importante (Etats-Unis, Suisse), ou significative (Allemagne, France).

 Les assureurs ne peuvent faire des bénéfices qu’en sélectionnant leurs assurés : faire la chasse aux gens riches, jeunes et bien portants, éliminer ceux qui ne peuvent pas payer (les pauvres) et ce qui coûte cher (les vieux, les malades, ou les gens qui ont des facteurs de risque : tabac, alcool, maladies familiales).

 Il est facile, pour un assureur, de contourner l’interdiction de sélectionner les malades, en faisant du marketing sélectif : Neuilly-sur-Seine et oublier Aubervilliers.

 Et c’est ainsi que, dans un pays développé comme les Etats-Unis, on a 18% de la population (50 millions d’Américains) qui n’ont strictement aucune assurance-maladie (en France, ça ferait 11 millions de personnes). Moyennant quoi, évidemment, le système n’est pas déficitaire.

 Cela peut aller loin : avec la possibilité, aujourd’hui, d’étudier l’ ADN de chacun, on peut connaître très exactement les facteurs de risque de chacun ; pour l’instant, c’est interdit, aux Etats-Unis, aux assureurs : mais pour combien de temps ? L’horreur sociale absolue. 

 4-   La signification de la franchise médicale  

La "franchise" est une pratique aussi courante qu'universelle de l'assurance. Quand elle existe, l'assuré s'efforce en effet d'éviter tout accident, car il sait qu'il la paiera toujours de sa poche. Il se comporte alors comme s'il n'était pas assuré.

 Les experts disent que l'on limite ainsi le "risque moral", autrement dit le changement de comportement des gens assurés qui pourraient, parce qu'ils sont assurés, prendre plus de risques. Cette intéressante idée est-elle transférable à l'assurance-maladie ? Le candidat Sarkozy le pensait, son gouvernement annonce qu'il va la mettre en oeuvre dès le 1er janvier 2008.

 Car, de deux choses l'une : ou bien cette mesure ne sera pas financièrement dissuasive pour la consommation de soins ­ il ne s'agirait alors que d'une nouvelle forme de baisse des remboursements des soins, venant s'ajouter à bien d'autres, et son effet de «responsabilisation» n'est qu'une astuce de communication ; ou bien son montant sera effectivement dissuasif sur la consommation, et on est là en pleine incohérence.

 ­ Economiquement, on ne peut responsabiliser par l'argent une consommation qui est, pour l'essentiel, une consommation subie et non choisie (on ne choisit pas d'être malade) : qui a les compétences nécessaires pour juger qu'un scanner ou un médicament prescrits par son médecin ne sont pas indispensables ?

 La dissuasion financière frappera aveuglément les consommations médicales aussi bien abusives qu'indispensables des revenus les moins élevés, elle sera sans effet sur les consommations médicales abusives des revenus les plus élevés ; rappelons aussi que 70% des dépenses de soins sont provoquées par 10% des assurés : ce sont les grands malades, qui ne sont pas « responsables » de leur cancer ou de leur diabète.

 ­ Sanitairement, en freinant la consommation médicale des malades aux revenus les plus faibles, elle contribuera à rendre les diagnostics plus tardifs, et à transformer des maladies traitées trop tardivement en maladies plus graves, donc plus chères ; elle s'opposerait à tous les discours sur la prévention, qui implique les consultations régulières avant même d'être malade, et qui ont amené la plupart des pays développés (la Grande-Bretagne, le Japon, ou l'Espagne) à faciliter financièrement le plus possible le recours au médecin généraliste, en supprimant tout ticket modérateur ou toute avance de frais de la part des patients.

 ­ Et si l'objectif est de responsabiliser par l'argent, la seule mesure efficace consisterait à responsabiliser les vrais ordonnateurs de dépenses, qui sont les médecins. Ce qui est fait en Allemagne, avec le système des lettres-clés flottantes et les récentes réformes introduites par Angela Merkel sur le coût moyen des ordonnances ; en Grande-Bretagne, par le système des General Pratictioners Fundholders introduit par Margaret Thatcher (sans toucher à la gratuité des prestations pour les malades) : mais, voilà, ce gouvernement ne veut pas et ne va pas  toucher aux médecins : Xavier Bertrand se vante d’avoir réussi à réconcilier les médecins avec la droite, avec laquelle ils étaient fâchés depuis le plan Juppé : mais qu’est-ce que les Français en ont à cirer ?

Alors, ça paraît absurde ; mais non, c’est un choix, car l’essentiel n’est pas dit : cette franchise est appelée à évoluer en fonction du budget de l’ Assurance- Maladie : plus il augmentera, plus la franchise augmentera : contrairement à d’autres pays, même de droite, les médecins feront ce qu’ils voudront, l’industrie pharmaceutique fera ce qu’elle voudra en matière de marketing et d’incitation à des prescriptions abusives,  ce sont les assurés seuls, et qui n’y peuvent rien, qui devront payer.

 Le résultat, c’est évidemment l’évolution vers une privatisation rampante et progressive du système : plus la franchise augmentera, plus les assurés se tourneront vers des assurances complémentaires. L´option choisie aujourd´hui est de faire glisser la santé dans le domaine du commerce par paliers. La référence constante aux mécanismes du marché, la comparaison entre santé et téléphonie mobile, l´oubli systématique du mot "solidaire" quand on dit "assurance-maladie", tout cela participe de ce glissement, qui se fait d´abord dans les mots, puis dans les têtes.

 À noter que ce sera habilement fait : Martin Hirsch obtiendra que les plus faibles revenus soient dispensés de franchise ; on ira vers un système à l’américaine : il existe une assurance gratuite d’Etat pour les plus pauvres, pour les retraités et pour les handicapés : les 50 millions d’ Américains qui n’ont aucune assurance sont ceux qui sont situés juste au-dessus du seuil de pauvreté, les revenus faibles ou moyens. En France aussi, la franchise médicale fera souffrir ceux qui sont  "un peu moins pauvres que les plus pauvres".

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article