La crise a percuté le projet libéral de Sarkozy
L’élection de Sarkozy en 2007 a été une rupture en ce sens qu’elle a porté au sommet de l’Etat, pour la première fois, un homme politique qui n’est pas un homme d’Etat. Il continue d’être une personne privée, solidaire de ses amis détenteurs du pouvoir économique, incapable de s’imprégner de la chose publique, de l’intérêt général et de ce que représente la France.
Je viens de résumer, à ma façon, la pensée de Marcel Gauchet (Le Monde, 17 juillet : Marcel Gauchet : "Cette affaire réactive le contentieux entre le peuple et les élites"). L'historien et philosophe estime que l'affaire Woerth-Bettencourt constitue une "remise en question du pouvoir sarkozien".
Cette affaire marque-t-elle une étape dans le mandat de Nicolas Sarkozy ?
Marcel Gauchet : Elle me semble marquer l'arrivée de la facture de la crise. C'est ce qui explique son retentissement. La crise prend complètement à contre-pied le dispositif politique de Sarkozy, à savoir le projet d'une banalisation libérale de la France, pour sortir d'une exception jugée dommageable par les élites.
Cela se résumait dans l'idée chère à Sarkozy de décomplexer le rapport des Français à l'argent, sur le thème "laissez faire les gens bien placés pour gagner beaucoup d'argent, et vous en profiterez tous" Son tour de force a été de présenter cela comme une forme de justice "si vous vous donnez du mal, vous gagnerez, seuls les paresseux perdront." Il avait trouvé un thème de campagne très efficace, en conciliant libéralisme et justice.
La crise a réduit à néant cette belle construction. Dans un premier temps, Sarkozy s'en est très bien tiré, en affichant son volontarisme. Mais les belles paroles n'ont pas eu de suite. Nous savons que la facture de la rigueur va être lourde et que nous allons tous devoir payer plus d'impôts. Cela repose le problème de la justice fiscale et sociale en de tout autres termes, et cela jette une autre lumière, rétrospectivement, sur les intentions initiales. L'affaire Woerth-Bettencourt restera peut-être sans aucune suite, mais elle révèle quelque chose de profond. Elle fait surgir au grand jour la désillusion de l'opinion à l'égard de la promesse sarkozienne.
Au-delà de cette affaire, avez-vous le sentiment d'une remise en question des principes démocratiques ?
Non, au contraire. Ce n'est pas la démocratie en tant que telle qui est remise en question, c'est la manière dont certains en profitent. Le culte de la chose publique est plus fortement intériorisé en France que partout ailleurs. Les gens sont donc très choqués quand les individus au pouvoir se comportent en individus privés. La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il n'a pas le sens de l'institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n'arrive pas à être un homme d'Etat.
Un autre texte, publié le 16 juillet sur le site du quotidien Le Monde, sous la signature de Philippe Corcuff, sociologue, Sandra Demarcq, syndicaliste, Caroline Mécary, avocate et Willy Pelletier, sociologue, présente un point de vue complémentaire. Voir La retraite des pouvoirs.
L’affaire Woerth-Bettencourt fait découvrir ce qui était déjà visible : les relations intimes entre un régime économique qui concentre les richesses et un régime politique qui concentre les pouvoirs. Il y a interpénétration quotidienne entre l’Etat et le monde des affaires (les classes dominantes).
Les auteurs vont plus loin, décelant une remise en cause du capitalisme et la possibilité, après la crise financière, puis la crise politique, que s’amorce, à la rentrée de septembre, une crise sociale.
(…) Toutefois la crise politique du sarkozysme, qui appelle une répartition radicalement démocratique et libertaire des pouvoirs, ne constitue qu'une des dimensions des incapacités structurelles de nos sociétés. La récente crise financière du capitalisme a mis en évidence les dérèglements et les faiblesses constitutives de ce mode d'organisation axé sur le profit à court terme (…).
A la rentrée, dans le sillage de ces constats critiques, un mouvement social d'ampleur sur les retraites pourrait faire avancer la perspective d'une autre répartition des richesses. Au-delà même, après la parenthèse de la prétendue "fin de l'histoire" des années 1980-1990, l'horizon de l'émancipation individuelle et collective dans des conditions écologiques vivables au sein d'une société post-capitaliste est de nouveau en jeu.
Voir Financement frauduleux de campagnes présidentielles : Sarkozy affaibli - 7 juillet 2010
et Michel Sorin (CIVIQ) au peuple français : la République est en danger - 16 juillet 2010.
Lu dans la presse sur l’affaire Woerth-Bettencourt
Woerth & CO : Fraudes à tous les étages ! (Politique Actu). Un «Genevagate» menace Mme Bettencourt et les Woerth - par ÉLISABETH ECKERT (2 juillet).
Woerth, sorti de l’ombre et brûlé par la lumière (Libération, 14 juillet). Adepte de la discrétion et de la sobriété, le ministre du Travail découvre les projecteurs avec l’affaire Bettencourt. Retour sur un parcours ambigu.
La femme qui ne craignait pas le conflit d’intérêts (Libération, 14 juillet). Selon nos sources, Florence Woerth a proposé ses services à deux banques suisses en 2009.
Affaire Bettencourt : Maistre mouille Woerth, qui dément (Rue89, 17 juillet). Le gestionnaire de fortune de l'héritière a dit aux policiers avoir rencontré le ministre. Qui aurait suggéré d'embaucher sa femme.
Cet article est le 29ème paru sur ce blog dans la catégorie La droite en France.