Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
France et Allemagne : éviter la marginalisation de l’Europe
Deux semaines après la parution de son livre « La France est-elle finie ? » aux éditions Fayard (Commander "La France est-elle finie ?"), Jean-Pierre Chevènement peut être satisfait. Parmi les livres politiques, en dehors du livre de Stéphane Hessel, il est très bien classé en ce qui concerne la diffusion. Et les invitations dans les médias sont nombreuses (voir Agenda et médias).
Marie-Françoise Bechtel avait souligné l’importance de l’Allemagne dans le livre de Jean-Pierre Chevènement. « Comme François Mitterrand dans la première partie, l’Allemagne est le profil clé de cette deuxième partie. Mais c’est l’avenir de la France qui en est le pari ». Voir Marie-Françoise Bechtel présente le livre de Jean-Pierre Chevènement - 4 janvier 2011.
En introduction (voir Avec son livre, Chevènement se pose en acteur influent de la France - 13 janvier 2011), l’auteur prévient : « Ce livre ne confronte pas seulement deux visions et deux paris, l’un sur l’Europe, l’autre sur la France. Il est aussi une méditation sur la relation de la France à l’Allemagne, tant le sort de nos deux pays me paraît lié : ou bien l’un et l’autre se résignent à sortir de l’Histoire, ou bien, dans un contexte radicalement nouveau, ils parviennent ensemble à lui donner sens pour la poursuivre ».
Le chapitre VI est intitulé « 1990-2010 - le retour de l’Allemagne ». « L’Allemagne impose benoîtement ses choix. L’Europe d’aujourd’hui est germanocentrée. En France, c’est encore un gros mot, mais c’est l’évidence même ! Depuis vingt ans - sauf dans un domaine : la défense et les relations extérieures – l’Allemagne impose comme naturellement ses choix, qu’il s’agisse des contours de l’Europe, de la politique économique et monétaire, et, bien sûr, de son organisation interne ».
Le chapitre XI « 2010-2040 - France-Allemagne : sortir de l’Histoire ou la continuer ensemble ? » a pour conclusion : Ensemble continuer l’Histoire.
Ou bien l’Allemagne cèdera à l’illusion du « cavalier seul », qui lui permettrait de réussir, à travers une « domination douce », ce à quoi elle a échoué à deux reprises au XXème siècle à travers la guerre. Ou bien elle se convaincra que, pour différentes raisons, politiques, militaires et démographiques, ces temps sont révolus. Dans une « Europe des peuples », il n’y a pas de place pour un leadership national, mais il y a un intérêt général européen à définir et à servir. Nul ne contestera que l’Allemagne et la France ont à cet égard une responsabilité particulière, mais non exclusive. Plutôt que de « sortir de l’Histoire », elles pourraient alors ensemble la continuer.
Quel prodigieux destin pourrait alors s’ouvrir aux deux peuples issus du partage de l’Empire de Charlemagne en 843, s’ils parvenaient à s’entendre sur quelques défis communs :
• un modèle social préservé ;
• une défense autonome ; une alliance sans subordination avec les Etats-Unis;
• une main tendue à la Russie pour construire une grande Europe des peuples;
• un co-développement organisé avec la Méditerranée et l’Afrique ;
• une régulation économique mondiale tendant à instaurer une concurrence équitable entre les grands pays émergents, dont le développement, davantage orienté par leurs besoins, est naturel, et les vieux pays industrialisés, soucieux à juste titre de préserver leur modèle social.
Unissant leurs efforts et en entraînant d’autres, l’Allemagne et la France pourraient ainsi éviter la marginalisation de l’Europe, petit cap périphérique à l’extrémité de l’Eurasie.
Nous n’en sommes hélas pas là aujourd’hui. La France ne saurait subordonner le projet républicain dont elle a besoin pour se redresser à la réunion de conditions qui pourraient n’intervenir qu’à très long terme, quand nous serons tous morts. Seul l’énoncé clair et ferme d’une politique peut rapprocher l’échéance de sa mise en œuvre.
La Fondation Res Publica a publié les actes du colloque " Les choix de l'Allemagne " du 18 octobre 2010 (Voir Colloques de la Fondation Res Publica). Le président de la Fondation, Jean-Pierre Chevènement, a formulé ainsi sa position, en réponse à un intervenant, Patrick Artus.
Débat final (extrait de l’intervention de JP Chevènement)
La désindustrialisation frappe la Franceet plus encore l’Espagne et d’autres pays d’Europe du Sud. En France, le pourcentage de valeur ajoutée correspondant à l’industrie qui était de 28% à 29% en 1982, quand j’étais ministre de l’Industrie, est aujourd’hui tombé à 14%, ce qui témoigne de notre désindustrialisation quand la valeur ajoutée générée par l’industrie en Allemagne reste de 28% ou 30%. Quant aux pays du Sud de l’Europe, ils ont perdu ou sont en train de perdre ce qu’il leur reste d’industrie.
Je ne crois pas un instant qu’on puisse corriger cela par la voie du budget, dans une logique fédéraliste. Personne n’y est prêt. Le budget européen, de 1% du PIB européen total, suscite déjà de furieux débats. Les Anglais veulent baisser leur contribution, les Allemands considèrent qu’ils payent trop. Les Français considèrent qu’ils ne peuvent plus continuer à payer autant que les Allemands. On ne va donc pas du tout dans cette direction.
La Cour constitutionnelle de Karlsruhe qu’a citée M. Weigel tout à l’heure a été très claire dans son arrêt de juin 2009 : le Parlement européen n’a pas de légitimité démocratique au sens où il n’exprime pas la volonté d’un peuple européen. Il y a plusieurs peuples en Europe qui restent les détenteurs de la souveraineté. On peut ajouter tous les codicilles qu’on voudra, cela a été dit de la manière la plus claire dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe – sur lequel tout le monde a fait le plus grand silence – qui précise les conditions dans lesquelles le traité de Lisbonne peut être accepté et qui comporte notamment le refus des clauses passerelles prévues par le dit traité de Lisbonne.
Je pense que, pour l’instant en tout cas, la voie du fédéralisme en Europe est coupée. Il n’y a vraisemblablement aucun avenir dans cette direction.
Cela pose sous un jour nouveau la question de l’euro. En effet, dans la guerre des monnaies qui fait rage, l’euro est la variable d’ajustement. Le yuan veut rester collé au dollar en faisant marcher la planche à billets, comme M. Bernanke en a exprimé l’idée (contribuant, par cette annonce, à accélérer la chute du dollar). Actuellement, avec un euro à 1,42 dollar, nous sommes revenus à la situation antérieure à la crise grecque. Pour ma part, je ne vois pas comment nous pourrions inverser cette tendance.
Nous le redoutions depuis longtemps. Dés 2005-2006, des études de la Fondation, portant notamment sur l’avenir du dollar et l’avenir de l’euro le laissaient plus ou moins pressentir, pour autant qu’on puisse juger dans ces domaines complexes.
À quel taux l’Espagne, dont nous connaissons la fragilité (la dette espagnole, c’est trois fois celle de la Grèce), peut-elle emprunter ? Si la Grèce n’était pas soutenue à bout de bras par l’Europe, elle devrait aujourd’hui emprunter à 6% ou 7% alors que l’Allemagne et la France empruntent à 2,8%. Il y a là un ciseau qui, à mon sens, pèse sur l’avenir de la zone euro et sur plusieurs pays. On se demande même comment l’Irlande, avec un déficit de 32% de son PIB arrive à tenir le choc.
Je ne vois pas comment une hausse de l’euro qui se poursuivrait ne poserait pas le problème de la cohésion de la zone euro. Et je pose la question de la pertinence du choix fait au traité de Maastricht en faveur de la monnaie unique parce qu’il y a une union monétaire mais pas d’union économique.
Qu’est-ce qu’une union économique qui ne peut pas s’appuyer sur ce que certains appellent le « fédéralisme budgétaire » ? Mais, soyons sérieux : s’il n’y a pas de budget, il n’y a pas de fédéralisme ! Je ne fais que poser cette question.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, a émis l’idée que l’avenir de la monnaie unique était très compromis, que des pays comme l’Espagne ou la Grèce seraient vraisemblablement amenés à reprendre leur liberté monétaire, à restructurer leur dette, à dévaluer une monnaie nationale ressuscitée ... Ce sont des choses qu’il faut se dire, qu’il faut envisager.
Cela ne change rien aux rapports politiques que nous entretenons. La France et l’Allemagne peuvent coexister, et même avoir des projets communs, dans des conditions très différentes.
Je voudrais terminer par le projet géopolitique. Aujourd’hui, il faut « raisonner mondial » et notre projet géopolitique doit être commun, notamment vis-à-vis de la Russie. De même, nous aurions intérêt à avoir des projets communs vis-à-vis des pays de la Méditerranée et de l’Afrique. Si nous raisonnons à l’échelle mondiale, l’Europe doit se défendre face à la montée des puissances de l’Asie, face à la puissance américaine – qui utilise le dollar à ses fins – faute de quoi nous allons périr dans l’étau du G2. Nous devons avoir une pensée géopolitique qui nous permette d’avoir des relations étroites avec nos grands voisins. Parmi eux, la plus grande puissance est la Russie.
Une des faiblesses de la politique allemande est selon moi que, aspirant à une coresponsabilité mondiale et à une codécision dans les affaires du monde, elle ne s’en est pas donné les moyens sur le plan d’une politique extérieure concertée avec les autres Européens, notamment sur le plan de la défense. L’Allemagne a un budget de défense très faible (1%). Le nombre de soldats allemands est un peu supérieur à 200 000 mais si on allait au bout des projets de son ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, qui veut supprimer le service national, il tomberait à 150 000. Ce serait une très petite puissance militaire qui pourrait à peine envoyer quelques milliers de soldats dans l’Hindou-Kouch, ce qui ne donne pas vraiment barre sur la décision mondiale.
Je reviens à l’idée que si nous voulons exister comme acteur global dans le monde d’aujourd’hui, nous devons trouver une entente européenne, notamment, entre la France et l’Allemagne parce que c’est le domaine où nous pouvons encore peser ensemble.
Le choix historique auquel nous devons faire face est de savoir si nous voulons encore peser ensemble ou si nous voulons sortir de l’Histoire ensemble. Un brillant essayiste allemand, Peter Sloterdijk explique que nous sommes des nations post-historiques. Je ne partage pas cette vue que je juge dangereuse.
J’ai posé beaucoup de questions qui peuvent paraître inquiétantes mais ce qui serait vraiment inquiétant, c’est une autosatisfaction permanente ignorant les changements survenus depuis trente ou quarante ans. Nous sommes dans un nouveau monde qui émerge d’une manière indécise. Pour faire face à ce monde qui vient, nous avons vraiment intérêt à resserrer nos liens.