Rappel de quelques principes de base et interrogations
Conseillère municipale de Nantes et secrétaire nationale du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), chargée de la citoyenneté et des droits des femmes, Christine Meyer m’a transmis ses réflexions sur le rapport entre citoyenneté et « droit au mariage » ou « mariage pour tous », réflexions qu’elle a adressées aux parlementaires MRC (les trois députés Marie-Françoise Bechtel, Christian Hutin et Jean-Luc Laurent, et le sénateur Jean-Pierre Chevènement).
Remarque préalable
Il est dommage que ce débat, comme beaucoup d’autres, soit préempté par le clivage politique entre droite et gauche, renvoyant en principe à celui entre conservatisme et progressisme.
Il s’agit là d’une véritable question anthropologique dans laquelle il est vraiment trop facile de répondre avec ces catégories toutes faites et qui évitent de réfléchir.
Pour dire les choses autrement, il ne faudrait pas, en général, que le principe démocratique, qui est celui du libre débat (et du débat tout court) soit occulté par celui de la « bonne » réponse a priori.
Rappel de quelques principes
Le débat me semble assez pauvre, surtout à gauche, et mal engagé, car il se fonde sur une conception contestable de l’égalité citoyenne et mélange la question des institutions et celle des droits individuels.
Plus précisément, il occulte totalement le sens même de l’idée d’institution pour n’en faire qu’un service au « service » des individus et de leur demande personnelle.
Le mariage est une institution de la République, destinée à une fonction précise : assurer l’ordre de la filiation.
Il ne s’agit ni d’un contrat entre 2 individus, en particulier qui serait fondé sur des relations affectives, ni non plus d’un « service public », auquel tous les citoyens auraient par principe accès.
Il ne peut y avoir de « droit au mariage » de même type que le droit à la santé. Le fait que le mariage soit limité à l’union entre un homme et une femme n’est pas nécessairement une entrave au principe d’égalité, de même que le mariage est réservé aux adultes de plus de 18 ans, et interdit entre membres d’une même famille, quelles que soient les profondes et sincères relations d’amour pouvant exister entre ces personnes et même entre enfants ou entre adultes et enfants.
Cette limitation renvoie malgré tout au fait même aujourd’hui, avec toutes les techniques de PMA possibles, il faut toujours une cellule mâle et femelle pour engendrer un enfant (sauf à promouvoir le clonage). A ce titre, on pourrait aussi considérer que le fait pour un homme de ne pouvoir porter un enfant est une atteinte au principe d’égalité (ou pour une femme ménopausée de ne plus pouvoir avoir d’enfant). Il ne s’agit pas de fonder le droit social sur la nature, mais de ne pas considérer toutes les limitations naturelles comme des injustices qui doivent être corrigées par le droit.
L’égalité des droits est celle existant entre les citoyens et non entre tous les individus, dans leur existence privée. Le fait d’être « gay » ou « homo » relève d’abord d’une inclination personnelle qui, certes, doit être protégée comme toute forme de vie privée qui ne porte pas atteinte aux droits des autres citoyens et ne doit entraîner aucune discrimination dans l’accès aux services publics, mais non nécessairement au mariage.
Il faut rappeler aussi que le débat est totalement faussé par le fait que l’on présente ce « mariage pour tous » comme la réparation d’une injustice et discrimination vis-à-vis des homosexuels. Or, l’humanité n’est pas séparée entre homosexuels et hétérosexuels, mais entre hommes et femmes, nécessaires à l’engendrement, et qui peuvent chacun avoir des inclinations plutôt vers un sexe ou plutôt vers l’autre, chaque inclination étant en elle-même parfaitement légitime, mais ne donnant en elle-même aucun droit spécifique par rapport à la citoyenneté et aux institutions.
Si telle inclination affective ou sexuelle ouvre au mariage, alors effectivement, je peux demander un mariage à 3 (ou plus) sous prétexte que j’aime sincèrement 2 hommes ou 2 femmes (ce qui peut être vrai et même une relation très riche)
Aujourd’hui, le mouvement culturaliste vise à nous montrer que les différences présentées comme « naturelles » sont en fait culturelles et étendent ce point de vue à la différence des sexes (théories du genre). Si certaines dénonciations sont justes, il faut quand même rappeler que toute culture, quelle qu’elle soit, quel que soit le rôle attribué à chaque sexe (et qui varie énormément, certes) renvoie à une différenciation des sexes.
Il y a une volonté d’abolir toute idée de nature, c'est-à-dire de donné initial sur lequel l’homme ne peut rien, qui relève d’une vision totalement prométhéenne de l’homme. Or, ce qui est étonnant, et jamais remarqué, c’est que ce sont les mêmes (les écologistes) qui dénoncent les dégâts de cette vision prométhéenne et défendent en même temps toutes les formes les plus extrêmes de modification des données naturelles en ce qui concerne la procréation. Toute société articule un certain rapport entre nature et culture.
En conclusion, ce débat mérite de soulever d’autres enjeux que celui du combat des progressistes et « réactionnaires ». Ces enjeux sont les suivants :
- le statut des institutions par rapport à celui de la revendication des droits individuels,
- la question du rapport entre nature et culture : aujourd’hui le statut du donneur (de sperme ou d’ovocyte) débouche sur un grand vide juridique et aussi psychologique qui donnera sans doute beaucoup de clients aux psychanalystes,
- la question de la finalité de la médecine : corriger, réparer les imperfections de la nature ou créer une « seconde nature ».
Malgré tout, il me semble très difficile d’enrayer ce mouvement visant à étendre toujours plus les droits individuels et à transformer le citoyen en « ayant droit ».
- D’une part, le développement de toutes les formes de PMA ne pourra être limité et conduit à une procréation de plus en plus « technique ».
- D’autre part, il y a aujourd’hui la possibilité pour les célibataires (quasi exclusivement les femmes) d’adopter des enfants. Ce fait me semble à lui seul, par contre, à la fois une profonde injustice, et aussi, il faut bien le reconnaître, souvent une grande hypocrisie.
C’est une injustice, car je ne vois pas au nom de quoi une femme seule serait plus à même d’élever un enfant qu’un couple homo; en effet, lorsqu’on reste dans le cadre de l’adoption (c'est-à-dire avec une différence claire entre les géniteurs et les parents adoptifs), il n’y a pas de raison de refuser aux uns ce qu’on accorde aux autres.
Enfin, c’est une hypocrisie car, du moins pour les femmes, ces adoptions peuvent très bien masquer une vie de couple homosexuel. C’est pourquoi il me paraît, de fait, aujourd’hui impossible et injuste de ne pas reconnaître la possibilité d’une adoption simple d’un enfant par les couples de même sexe, mais avec un statut particulier pour le conjoint de l’adoptant (position de S.Agacinsky).
Adoption simple, sans mariage. Conclusion un peu paradoxale et difficile à tenir politiquement. Je laisse le débat ouvert.
Cet article est le 43ème paru sur ce blog dans la catégorie République Parlement.